Topic de Loose-Sutures :

Plutarque Vies des hommes illustres

THÉSÉE

(On peut placer l’époque où vécut Thésée entre les années 1249 et 1199 avant J.-C.)
Quand les historiens décrivent la terre, mon cher Sossius Sénécion[1], ils suppriment, aux extrémités de leurs cartes, les contrées sur lesquelles ils n’ont pas de renseignements précis ; et des notes à la marge expliquent leurs raisons : « Au delà de ces limites, sables arides, pleins de bêtes féroces ; » ou bien : « Marais couverts de ténèbres ; » ou bien encore : « Frimas de la Scythie ; » ou bien enfin : « Mer prise par les glaces. » Moi aussi, en composant ces Vies comparées, je pourrais, à leur exemple, après avoir parcouru les temps où la vraisemblance est permise au discours, et où le récit historique s’appuie sur des faits certains, dire des âges qui ont précédé : « Au delà de ces limites, c’est le pays des prodiges et des tragédies, habité par les poëtes et les mythologues ; nulle vraisemblance, nulle authenticité. » Toutefois, ayant publié les Vies de Lycurgue le législateur et du roi Numa, j’ai cru avoir quelque raison de remonter jusqu’à Romulus, puisque je venais de faire l’histoire presque d’un contemporain. Or, en considérant, comme dit Eschyle :

Contre un tel guerrier qui pourrait lutter ;
Qui j’opposerais à cet homme ; qui suffirait à l’œuvre[2] ?

il m’a paru que le fondateur de la belle et renommée ville d’Athènes devait être mis en lutte et en parallèle avec le père de l’invincible et glorieuse Rome. J’émonderai, je l’espère, ce que cette vie a de fabuleux ; j’y mettrai le vrai en lumière ; j’y répandrai la couleur de l’histoire ; mais, s’il arrive quelquefois que le récit se refuse obstinément à devenir croyable, et que le caractère de la vraisemblance y fasse défaut, alors j’aurai recours à l’indulgence des lecteurs, et je les prierai d’accueillir sans trop de sévérité ces antiques traditions.

Donc Thésée et Romulus m’ont semblé avoir entre eux plus d’un trait de ressemblance. Tous deux, nés secrètement d’une union clandestine, ils ont passé pour les enfants des dieux,

Vaillants tous les deux, chacun de nous le sait[3],

à la force ils ont joint la sagesse. Des deux cités les plus illustrée du monde, Rome et Athènes, Romulus a bâti l’une, et Thésée a constitué en corps les habitants de l’autre[4]. Tous deux ils ont enlevé des femmes ; et, pas plus l’un que l’autre, ils n’ont été exempts de calamités privées, de dispensions domestiques ; même ils ont fini, l’un comme l’autre, par s’attirer la haine de leurs concitoyens, si toutefois les traditions mêmes qui semblent le moins fabuleuses peuvent servir à fonder quelque certitude.
Thésée, par son père, remontait à Érechthée et aux premiers autochthones. Du côté de sa mère, il était Pélopide. Pélops avait été le plus puissant des rois du Péloponnèse, moins encore par ses richesses que par le nombre de ses enfants. Il maria plusieurs de ses filles aux hommes les plus considérables du pays, et il dissémina la plupart de ses fils dans les gouvernements des villes. Pitthéus, l’un d’eux, aïeul maternel de Thésée, fonda la petite ville de Trézène[5]. Il acquit le renom d’homme sensé et sage entre tous. La sagesse alors en estime consistait, je crois, en sentences morales du genre de celles qui ont fait là célébrité du poëme d’Hésiode sur les travaux et les jours. C’est là que se trouve la maxime suivante, qu’on dit être de Pitthéus[6] :

Paye à leur valeur les services de ton ami.

Le philosophe Aristote lui-même la lui attribue ; et Euripide, en appelant Hippolyte le disciple du saint Pitthéus[7], nous montre quelle réputation Pitthéus s’était acquise.

Égée[8] n’avait point d’enfants, et il désirait d’en avoir ; et la Pythie lui avait, dit-on, rendu cet oracle si connu, qui lui défendait d’avoir commerce avec aucune femme avant son retour à Athènes. Mais le sens des paroles lui sembla manquer un peu de clarté ; et, comme il passait par Trézène, il fit part à Pitthéus de l’ordre du dieu, qui était ainsi conçu :

Ne délie pas le pied qui sort de l’outre, ô puissant dominateur des peuples,
Avant d’être rentré dans Athènes.

Pitthéus, évidemment, l’interpréta à sa manière ; car il fit tant, soit persuasion, soit adresse, qu’Éthra eut commerce avec Égée. Celui-ci apprit ensuite que c’était la fille de Pitthéus ; et, se doutant bien qu’elle était grosse, il laissa, à son départ, une épée et des brodequins, qu’il cacha sous une grande pierre, assez creuse pour contenir ce dépôt. Il ne communiqua son secret qu’à Éthra seule ; et il lui recommanda, si elle accouchait d’un fils, et que, parvenu à l’âge viril, il fût assez fort pour lever la pierre et prendre ce que son père aurait laissé, de le lui envoyer, muni de ces signes de reconnaissance, sans que personne s’en doutât, et avec le plus grand secret possible ; car il redoutait fort les embûches des Pallantides (c’étaient les cinquante fils de Pallas[9], qui le méprisaient parce qu’il n’avait point d’enfants.

Il partit ; et Éthra mit au monde un fils. L’enfant, selon les uns, fut nommé immédiatement Thésée, à cause des signes de reconnaissance déposés par son père ; mais, suivant d’autres, il ne reçut ce nom qu’à Athènes, après qu’Égée l’eut reconnu pour son fils[10]. Son éducation fut dirigée, chez Pitthéus, par un gouverneur nommé Connidas, auquel les Athéniens sacrifient encore aujourd’hui un bélier, la veille des fêtes théséennes : marque honorable de souvenir, plus justement méritée que les honneurs qu’ils rendent à Silanion et à Parrhasius, le sculpteur et le peintre des images de Thésée[11].

C’était encore alors l’usage des jeunes gens d’aller à Delphes, au sortir de l’enfance, pour y consacrer à Apollon les prémices de leur chevelure. Thésée s’y rendit ; et le lieu où il fit cette cérémonie s’appelle encore aujourd’hui, de son nom, Théséa. Mais il ne se tondit que le devant de la tête, comme dit Homère que faisaient les Abantes[12] ; et c’est de là que cette façon de se couper les cheveux fut nommée théséide. Les Abantes adoptèrent les premiers cet usage ; et ils ne l’avaient emprunté ni aux Arabes, comme l’ont cru quelques auteurs, ni aux Mysiens. Les Abantes étaient des peuples très belliqueux, qui serraient de près l’ennemi dans la bataille, et qui excellaient dans les combats corps à corps, comme Archiloque[13] le témoigne en ces vers :

Il n’y a, chez eux, ni cette multitude d’archers, ni ces nombreux soldats
Armés de frondes, alors que Mars engage la bataille
Dans la plaine : c’est l’épée à la main qu’ils iront dans la mêlée cruelle ;
Car tel est le combat où excellent
Les belliqueux maîtres de l’Eubée.

Aussi se tondaient-ils, pour que leur chevelure n’offrit point de prise aux mains des ennemis. Ce fut, dit-on, pour un semblable motif qu’Alexandre de Macédoine commanda à ses généraux de faire raser la barbe des Macédoniens. C’est par là, en effet, qu’on peut le plus aisément saisir un homme dans le combat.

Pendant longtemps Éthra cacha avec soin la véritable origine de Thésée ; et Pitthéus faisait courir le bruit qu’il était fils de Neptune. Neptune est en grande vénération chez les Trézéniens : ils regardent ce dieu comme le protecteur de leur ville ; c’est à lui qu’ils consacrent les prémices de leurs fruits, et ils ont un trident pour la marque de leur monnaie. Mais, lorsque Thésée, parvenu à l’adolescence, eut montré qu’à la force du corps, au courage et à la grandeur d’âme, il joignait la sagesse et le bon sens, Éthra le mena au lieu où était la pierre, lui découvrit le secret de sa naissance, lui dit de retirer les signes de reconnaissance laissés par son père, et lui conseilla de s’embarquer pour Athènes. Thésée souleva facilement la pierre ; mais il refusa de s’en aller par mer, bien que cette route fût la plus sûre, et malgré les instances de son aïeul et de sa mère ; car il était dangereux de se rendre par terre à Athènes : le chemin était infesté, d’un bout à l’autre, par des voleurs et des brigands. Ce siècle avait produit des hommes d’une adresse, d’une agilité, d’une force de corps incomparable, puis-je dire, et invincible ; mais, au lieu d’employer ces qualités naturelles à quelque fin honnête et utile, ils faisaient leurs délices de l’outrage et de l’impudence ; et tout le fruit qu’ils tiraient de leur supériorité, c’était l’assouvissement de leur cruauté et de leur rage, l’asservissement, l’oppression, la destruction de ceux qui tombaient sous leurs mains. Persuadés que la plupart des hommes ne louent la pudeur, l’égalité, la justice et l’humanité, que parce qu’ils n’ont pas la hardiesse de commettre des injustices, ou parce qu’ils craignent d’en éprouver, ils croyaient que toutes ces vertus n’étaient pas faites pour ceux qui peuvent avoir sur les autres un avantage décidé. Hercule, en courant par le monde, avait exterminé une partie de ces brigands ; les autres, saisis d’épouvante à son approche, s’enfuyaient devant lui, et ils n’osaient plus paraître ; aussi méprisait-on ces scélérats humiliés. Mais, quand Hercule eut eu le malheur de tuer Iphitus, il se retira en Lydie, et il y demeura pendant longtemps esclave d’Omphale : c’était l’expiation qu’il s’était lui-même imposée pour son crime. La Lydie jouit alors d’une paix profonde et d’une pleine sécurité ; mais, dans les contrées de la Grèce, on vit les brigandages renaître et déborder de tous côtés, dès qu’il n’y eut plus personne pour les réprimer, et pour s’opposer à ces violences. C’était donc risquer sa vie que de voyager par terre du Péloponnèse à Athènes ; et Pitthéus, pour persuader à Thésée de partir par mer, lui dépeignait chacun de ces brigands, et lui racontait les traitements cruels qu’ils faisaient souffrir aux étrangers.

Mais depuis longtemps le cœur de Thésée s’était secrètement enflammé, ce semble, à la pensée de l’héroïque renom d’Hercule : Hercule avait toute son admiration ; il écoutait avec le plus vif intérêt ceux qui lui parlaient d’Hercule, et qui lui décrivaient sa personne, surtout ceux qui l’avaient vu et entendu, et qui avaient été les témoins de ses hauts faits. On voyait alors sensiblement en lui ces vives impressions que Thémistocle éprouva, bien des années plus tard, et qui lui faisaient dire que le trophée de Miltiade l’empêchait de dormir. De même Thésée, plein d’enthousiasme pour le courage d’Hercule, rêvait la nuit à ses exploits, et, pendant le jour, se sentait transporté d’émulation et piqué d’un vif désir d’en faire autant. D’ailleurs Hercule et lui étaient parents ; ils étaient enfants de deux cousines-germaines : Éthra était fille de Pitthéus ; Alcmène avait pour mère Lysidice, et Lysidice était sœur de Pitthéus, étant née comme lui d’Hippodamie et de Pélops. C’eût donc été, selon lui, un déshonneur insupportable, si, pendant qu’Hercule courait partout après les brigands, pour en purger la terre et les mers, lui, au contraire, il eût évité les combats qui se présentaient sur son chemin ; s’il eût fait rougir, par cette fuite à travers les mers, le dieu que l’opinion publique lui attribuait pour père ; s’il eût porté à son père véritable, pour uniques signes de sa naissance, des brodequins, une épée que le sang n’aurait point encore rougie, et non pas des hauts faits et des exploits qui fissent resplendir sur-le-champ les marques de sa noblesse.

Il partit donc, avec l’intention et la résolution bien arrêtées de n’attaquer personne, mais de repousser vigoureusement toute violence.

Et d’abord, comme il traversait le territoire d’Épidaure, un brigand nommé Périphétès, armé ordinairement d’une massue, et qu’on surnommait pour cela Corynète[14], l’arrêta, et voulut l’empêcher de passer. Thésée le combattit et le tua ; et, charmé de la massue, il la prit et s’en arma, et il la porta toujours depuis, comme Hercule portait la peau du lion : la dépouille du lion montrait à tous les yeux quel énorme monstre Hercule avait tué ; et Thésée faisait voir qu’il avait pu conquérir la massue, mais qu’entre ses mains elle serait invincible.

Dans l’isthme de Corinthe, il fit périr Sinnis, le ployeur de pins, par le même supplice que Sinnis avait infligé à tant d’autres[15] ; non pas que ce fût, chez Thésée, parti pris ou habitude de cruauté : il voulait seulement prouver que la vertu est supérieure à l’art même le plus exercé. Sinnis avait une belle et grande fille, nommée Périgune. Voyant son père mort, elle avait pris la fuite ; et Thésée la cherchait de tous côtés, dans un bois épais, rempli d’épines et d’asperges sauvages, où elle s’était jetée. Avec une véritable simplicité d’enfant, elle leur adressait des prières, comme si ces plantes l’eussent comprise : elle leur promettait avec serment, si elles lui sauvaient la vie et la dérobaient à la vue de Thésée, de ne jamais les couper ni les brûler. Cependant Thésée l’appelait à haute voix, et il lui donnait sa parole qu’il la traiterait bien, et qu’il ne lui ferait aucun mal. Rassurée par ses promesses, elle sortit du bois, et elle vint le trouver. Thésée, de son commerce avec elle, eut un fils, Mélanippus ; mais, dans la suite, elle s’unit à Déionée, fils d’Eurytus d’Œchalie, à qui Thésée la céda. De Ménalippus naquit Ioxus, qui alla, avec Ornithus, s’établir dans la Carie[16]. De là l’usage conservé par les Ioxides, hommes et femmes, de ne point brûler les asperges sauvages ni les épines : ils les honorent, et leur rendent une sorte de culte.
Il y avait, à Crommyon, une laie nommée Phéa[17], animal dangereux et plein de courage, et dont il n’était pas aisé de venir à bout. Thésée, pour ne point paraître agir uniquement par nécessité, l’attendit et la tua, alors qu’il pouvait continuer son chemin. Il croyait, d’ailleurs, qu’un homme de cœur ne doit combattre les hommes que pour repousser les attaques des méchants, mais qu’il doit provoquer les animaux courageux, et s’exposer contre eux à tous les dangers. Quelques-uns disent aussi que Phéa était une femme meurtrière et débauchée, qui habitait à Crommyon ; qu’on lui avait donné le surnom de laie, à cause de ses mœurs et de son genre de vie, et qu’ensuite elle périt sous les coups de Thésée.
Sur les confins de Mégare, Thésée donna la mort à Sciron, en le précipitant du haut d’un rocher dans la mer. Suivant l’opinion la plus reçue, Sciron était un brigand qui pillait les étrangers ; selon d’autres, cet homme impudent et superbe leur présentait ses pieds, et il les forçait de les lui laver ; puis, pendant l’opération, il les précipitait d’un coup de talon dans la mer. Les écrivains de Mégare combattent cette tradition, et, faisant la guerre, selon l’expression de Simonide[18], à la longue autorité des temps, ils disent que Sciron ne fut ni un brigand ni un scélérat, mais, au contraire, le destructeur des méchants, le protecteur et l’ami des hommes justes et vertueux. Éacus, ajoutent-ils, passe pour l’homme le plus saint de la Grèce ; Cychrée de Salamine reçoit à Athènes les honneurs divins ; la vertu de Pelée et de Télamon n’est ignorée de personne. Or, Sciron fut gendre de Cychrée, beau-père d’Éacus, et grand-père de Pelée et de Télamon, nés l’un et l’autre d’Endéis, fille de Sciron et de Chariclo. Or, il n’est pas vraisemblable que les personnages les plus vertueux se soient alliés au plus méchant des hommes ; qu’ils aient voulu lui donner et recevoir de lui ce que les hommes ont de plus cher et de plus précieux. Ces mêmes auteurs disent encore que Thésée ne tua pas Sciron durant son premier voyage à Athènes, mais longtemps après, lorsqu’il s’empara d’Éleusis, occupée alors par les Mégariens, et en chassa Dioclès, qui y commandait. Tels sont les récits contradictoires sur le fait en question.
Arrivé à Éleusis, Thésée vainquit à la lutte Cercyon d’Arcadie, et le tua. Passant de là à Érinnéus, qui en est peu éloigné, il fit mourir Damaste, qu’on appelait aussi Procruste, en l’allongeant à la mesure de son lit, comme il allongeait lui-même ses hôtes. En cela Thésée imitait Hercule, qui infligeait à ses agresseurs le même supplice qu’ils lui avaient destiné. C’est ainsi qu’Hercule avait sacrifié Busiris, étouffé Antée à la lutte, tué Cycnus en combat singulier, et brisé la tête à Termérus, d’où est venue l’expression mal termérien[19] : Termérus, à ce qu’il paraît, cassait la tête aux passants, en les heurtant de la sienne. De même Thésée, pour punir les méchants, employait contre eux le genre de violence dont ils usaient eux-mêmes, et il les condamnait avec justice au même supplice qu’ils faisaient injustement souffrir aux autres.
Parvenu, dans sa route, jusqu’aux bords du Céphise, il rencontra des hommes de la famille des Phytalides, qui lui adressèrent les premiers le salut. Il les pria de le purifier : ils le firent avec les cérémonies d’usage ; et après le sacrifice propitiatoire, ils le reçurent à leur foyer. C’était la seule fois qu’on lui eût encore fait bon accueil durant son voyage.
Il arriva, dit-on, à Athènes, le huitième jour du mois Cronius, appelé aujourd’hui Hécatombéon[20]. Il y trouva les affaires publiques bouleversées par les dissensions civiles, et les affaires même d’Égée et toute sa maison dans le désordre. Médée, exilée de Corinthe, vivait avec le roi, à qui elle avait promis de lui faire avoir des enfants, par la vertu de certains remèdes. Elle eut bien vite pénétré les desseins de Thésée, et elle voulut le prévenir, avant qu’Égée eût le temps de le reconnaître. Elle persuada au vieillard, affaibli par l’âge, et que remplissaient toutes sortes de craintes au sujet de la sédition, d’inviter Thésée au festin des hôtes, et de l’empoisonner. Thésée vint au repas, avec le projet de ne pas dire lui-même le premier qui il était. Il voulait que la reconnaissance vint d’abord de son père ; et, afin de lui en donner l’occasion, il lui laissa voir l’épée[21], en tirant son couteau pour couper les viandes qu’on avait servies. Égée la reconnaît à l’instant, et renverse la coupe ou était le poison. Il interroge Thésée ; et, sur ses réponses, il le salue son fils ; puis il le reconnaît devant l’assemblée des citoyens, qui le reçurent avec joie, vu le renom de sa valeur. On dit que le poison, à la chute de la coupe, se répandit dans cet endroit du quartier Delphinien, qui est aujourd’hui enfermé de murailles[22] : c’est là qu’habitait Égée ; et l’Hermès qui est à l’orient du temple[23] s’appelle, encore à présent, l’Hermès de la porte d’Égée.
Les Pallantides avaient toujours espéré jusque-là de s’emparer de la royauté, si Égée mourait sans enfants ; mais, quand Thésée eut été proclamé son héritier, ils ne purent souffrir qu’Égée, simple fils adoptif de Pandion, et qui ne tenait en rien à la famille des Érechthides, non content d’avoir régné lui-même, voulût faire régner après lui Thésée, qui n’était aussi qu’un étranger et un intrus. Ils se préparèrent donc à la guerre. Ils se partagent en deux bandes, afin de charger les ennemis de deux côtés différents. Les uns s’avançaient à découvert, le père en tête, du côté de Sphette[24] ; les autres s’étaient mis en embuscade à Gargettus[25]. Il y avait, dans le parti, un héraut d’Agnuse[26], nommé Peuple[27], qui découvrit à Thésée le dessein des Pallantides. Thésée, sans perdre un instant, tombe sur la troupe qui était en embuscade, et la taille en pièces. Ceux qui suivaient Pallas se dispersèrent à cette nouvelle. Depuis ce temps-là, dit-on, ceux du dème de Pallène[28] ne contractent jamais mariage avec les Agnusiens ; et, dans les annonces publiques, on ne crie point, chez eux, ces mots qui sont en usage dans les autres dèmes : « Écoutez, Peuple ! » tant ils ont ce nom en horreur, à cause de la trahison du héraut.
Thésée, pour exercer son courage et gagner en même temps l’affection du peuple, alla combattre le taureau de Marathon, qui nuisait beaucoup aux habitants de la Tétrapole[29]. Il le prit vivant ; et, après l’avoir promené en spectacle dans toute la ville, il le sacrifia à Apollon Delphinien. Ce qu’on raconte d’Hécalé, de l’hospitalité et du festin qu’elle donna à Thésée, ne paraît pas entièrement dépourvu de vérité ; car les dèmes des environs se rassemblaient jadis, pour faire à Jupiter Hécaléen un sacrifice qu’on appelait hécalésien, où ils honoraient Hécalé, et lui donnaient le nom diminutif d’Hécalène, par imitation de ce qu’elle-même avait fait. Lorsqu’elle reçut Thésée, qui était encore fort jeune, elle l’avait embrassé, et elle lui avait donné, suivant l’usage des vieilles gens, de ces petits noms d’amitié. Elle avait voué un sacrifice à Jupiter, si Thésée revenait vainqueur du combat où il allait s’engager ; mais elle mourut avant son retour, et Thésée institua la solennité, en reconnaissance de l’hospitalité qu’il avait reçue. Tel est le récit de Philochorus[30].

Peu de temps après, des députés vinrent de Crète chercher pour la troisième fois le tribut. Androgée, fils de Minos, ayant été tué en trahison dans l’Attique, Minos avait fait aux Athéniens une guerre impitoyable. En même temps les dieux avaient frappé le pays de tous les fléaux : partout la stérilité et les maladies ; enfin les rivières avaient tari. L’oracle d’Apollon annonça que la colère des dieux ne s’apaiserait, et qu’il n’y aurait de trêve à ces maux, qu’après qu’on aurait apaisé Minos, et fait la paix avec lui. On lui envoya donc des hérauts, pour le supplier d’accorder la paix. Il y consentit, à condition que, pendant neuf ans, les Athéniens lui payeraient un tribut de sept jeunes garçons et d’autant de jeunes filles. Voilà sur quoi la plupart des écrivains sont d’accord. S’il faut en croire le récit le plus tragique, ces enfants, transportés en Crète, étaient dévorés par le Minotaure, dans le Labyrinthe, ou bien ils mouraient égarés dans ce palais, faisant de vains efforts pour en trouver l’issue. Quant au Minotaure, c’était, suivant le mot d’Euripide,

Un corps double, un être monstrueux ;

et encore :
Le mélange de deux natures, le taureau et l’homme[31].

Tu vas nous copier tout Plutarque sale tarax ? Parce que y a 20 volumes
Mais, suivant Philochorus, les Crétois ne conviennent pas de ce fait. Ils disent que le Labyrinthe était une prison, où l’on n’avait d’autre mal que de ne pouvoir s’enfuir, quand on y était enfermé. Minos, ajoutent-ils, avait institué, en l’honneur de son fils, des combats gymniques, où les vainqueurs recevaient pour prix ces enfants, qui restaient, jusqu’à cet instant, détenus dans le Labyrinthe. Aux premiers jeux, le vainqueur avait été un des principaux favoris du roi, un général d’armée nommé Taurus, homme de mœurs dures et farouches, et qui avait traité les enfants des Athéniens avec insolence et cruauté. Aristote, dans sa République des Bottiéiens[32], ne croit pas non plus que ces enfants fussent mis à mort par Minos, mais qu’ils vieillissaient en Crète, asservis à des travaux mercenaires. Et il advint que les Crétois, pour acquitter un ancien vœu, envoyèrent un jour à Delphes leurs premiers-nés : les descendants des prisonniers athéniens se joignirent à cette troupe, et tous quittèrent ensemble le pays. Mais, n’ayant pas trouvé à Delphes les moyens de subsister, ils passèrent d’abord en Italie, et ils s’établirent près du promontoire Iapygien[33] ; puis, retournant sur leurs pas, ils se transportèrent dans la Thrace, et ils prirent le nom de Bottiéiens. C’est pour cela que les filles des Bottiéiens, dans un de leurs sacrifices, terminent les chants par ces mots : « Allons à Athènes ! »
On voit, au reste, combien il est dangereux de s’attirer la haine d’une ville qui sait parler, et qui cultive les arts. Minos a toujours été décrié et couvert d’outrages, sur les théâtres d’Athènes. Rien ne lui a servi d’avoir été appelé, par Hésiode, le plus grand des rois, et, par Homère, le familier de Jupiter. Les poëtes tragiques ont prévalu ; et, du haut du logéum[34] et de la scène, ils ont fait pleuvoir sur lui l’opprobre, et ils l’ont fait passer pour un homme dur et violent ; et pourtant Minos est, à les entendre, le roi et le législateur des enfers, tandis que Rhadamanthe n’y est que l’exécuteur des arrêts portés par Minos.
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Loose-Sutures
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7 septembre 2024 à 04:18:44
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