Plutarque Vies des hommes illustres
Il y a encore, sur ces faits, et à propos d’Ariadne, une foule d’autres traditions, mais qui n’ont aucun caractère d’authenticité. Ainsi les uns disent qu’Ariadne, abandonnée par Thésée, se pendit de désespoir ; d’autres que, conduite par des matelots dans l’ile de Naxos, elle y épousa Œnarus, prêtre de Bacchus, et que Thésée l’abandonna pour un nouvel amour.
Il était agité d’un violent amour pour Églé, fille de Panopéus.
Héréas de Mégare[44] dit que Pisistrate retrancha ce vers, d’entre ceux d’Hésiode, comme aussi, pour faire plaisir aux Athéniens, il ajouta celui-ci, dans l’évocation des morts par Homère :
Thésée et Pirithoüs, illustres enfants des dieux[45].
Suivant quelques autres, Ariadne eut de Thésée deux fils, Oenopion et Staphylus. C’est le sentiment d’Ion de Chios[46], qui dit, de sa patrie :
La ville que fonda Œnopion, fils de Thésée.
Thésée, après avoir enseveli son père, s’acquitta de son vœu envers Apollon, le 7 du mois Pyanepsion[52] ; car c’est le jour qu’ils rentrèrent sains et saufs dans Athènes. L’usage de faire bouillir ce jour-là des légumes vient, dit-on, de ce que les jeunes gens firent cuire, dans une même marmite, tout ce qui leur restait de vivres, et les mangèrent ensemble. On porte aussi, dans ces fêtes, l’irésione, branche d’olivier entourée de laine[53], comme faisaient les suppliants d’alors. Elle est garnie des prémices de toutes sortes de fruits, en mémoire du temps où la stérilité cessa dans l’Attique ; et l’on chante les vers suivants :
Irésione, porte des figues, et des pains nourrissants,
Et du miel dans une cotyle[54], et l’olive bonne à cuire,
Et une coupe de vin pur, pour t’enivrer et t’endormir.
D’autres veulent pourtant que ces vers aient été faits parce que les Héraclides avaient été nourris de cette manière par les Athéniens. J’ai suivi la tradition la plus commune.
Le navire à trente rames sur lequel Thésée s’était embarqué avec les jeunes enfants, et qui le ramena heureusement à Athènes, fut conservé par les Athéniens jusqu’au temps de Démétrius de Phalère. Ils en ôtaient les pièces de bois, à mesure qu’elles vieillissaient, et ils les remplaçaient par des pièces neuves, solidement enchâssées. Aussi les philosophes, dans leurs disputes sur la nature des choses qui s’augmentent, citent-ils ce navire comme un exemple de doute, et soutiennent-ils, les uns qu’il reste le même, les autres qu’il ne reste pas le même.
Après la mort d’Égée, il conçut une grande et merveilleuse entreprise : il s’agissait de réunir en un seul corps de ville tous les habitants de l’Attique, et d’en former un seul peuple, dans une seule cité. Dispersés auparavant en plusieurs bourgs, il était difficile de les assembler pour délibérer sur les affaires publiques : souvent même ils étaient dans un mutuel désaccord, et ils se faisaient la guerre les uns aux autres. Thésée parcourut lui-même chaque dème et chaque famille, pour faire agréer son projet. Les simples citoyens et les pauvres l’adoptèrent sans balancer. Pour déterminer les puissants, il leur promit un gouvernement sans roi, où le peuple serait souverain : lui, Thésée, ne s’y réservait que le commandement militaire et la garde des lois ; chaque citoyen, pour tout le reste, jouirait des mêmes droits que lui-même. Il en persuada quelques-uns : les autres, craignant sa puissance, qui était déjà considérable, et aussi son audace, aimèrent mieux s’y prêter de bonne grâce que de s’y voir forcés. Il fit abattre, dans chaque bourg, les prytanées et les édifices où se tenaient les conseils, cassa les magistrats, bâtit pour tous un prytanée et une salle des délibérations dans le lieu où ils sont encore aujourd’hui, donna à la ville et à la citadelle le nom d’Athènes[56], et établit les Panathénées[57], fête de tout le peuple athénien. Il institua aussi le sacrifice appelé Métœcie[58], pour le seizième jour du mois Hécatombéon[59] et qui se célèbre encore de notre temps. Il abdiqua ensuite la royauté, comme il l’avait promis, et il s’occupa de régler les affaires de l’État. Il commença par les dieux ; et voici les destinées que l’oracle de Delphes, en réponse à ses questions, prédit à la ville :
O Thésée, fils d’Égée et de la fille de Pitthéus,
Mon père a décidé que bien des villes auraient leurs intérêts et leur sort enchaînés à votre ville.
Ne va donc pas livrer ton cœur au ravage
Des soucis : comme l’outre, malgré la tourmente, tu traverseras les mers.
Longtemps après, la Sibylle, à ce qu’on raconte, rendit le même oracle à la ville d’Athènes :
Comme l’outre, tu te mouilles ; mais tu ne saurais enfoncer.
Dans le dessein d’accroître encore davantage la population de la ville, il appelait à l’égalité des droits civiques tous ceux qui voulaient y habiter ; et la proclamation : « Peuples, venez tous ! » est, dit-on, celle dont se servit jadis Thésée, quand il fit d’Athènes comme le rendez-vous de tous les peuples. Mais il ne permit point que cette multitude, qui accourait de toutes parts pêle-mêle, fût, pour la république, une cause de désordre et de confusion ; et il institua trois classes différentes de citoyens : les nobles, les laboureurs, les artisans. Il donna à la noblesse les fonctions religieuses, les magistratures, la préparation des lois et l’interprétation des rites sacrés. Cette classe se trouva ainsi sur un pied d’égalité avec les deux autres : les nobles l’emportaient par les honneurs, les laboureurs par l’utilité de leur profession, et les artisans par le nombre. Thésée est le premier, suivant Aristote, qui ait incliné vers le gouvernement de la multitude, et qui se soit démis de l’autorité royale. Homère semble lui-même témoigner du fait ; car, dans le dénombrement des navires, il donne aux seuls Athéniens le nom de peuple[60]. Thésée fit frapper une monnaie[61] qui portait l’empreinte d’un bœuf, soit à cause du taureau de Marathon, ou du général de Minos[62], soit pour inspirer aux citoyens le goût de l’agriculture. C’est cette monnaie qui a donné, dit-on, naissance à la locution : « Cela vaut cent bœufs ; cela vaut dix bœufs[63]. »
Il unit à l’Attique, par un lien solide, le territoire de Mégare, et il dressa dans l’isthme cette fameuse colonne, sur laquelle il grava deux vers trimètres[64], inscription qui déterminait les limites des deux pays. Il y avait, sur le côté oriental :
Ce n’est pas ici le Péloponnèse, mais l’Ionie ;
et, sur le côté occidental :
C’est ici le Péloponnèse, non l’Ionie.
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- Loose-Sutures
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- 7 septembre 2024 à 04:18:44
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