Plutarque Vies des hommes illustres
Ils honorent encore une autre Larentia ; et voici à quel sujet.
Un jour, le gardien du temple d’Hercule imagina, sans doute dans un moment d’ennui où il ne savait que faire, de proposer au dieu une partie de dés, à condition que, s’il gagnait, Hercule lui accorderait une grâce à son choix, et que, s’il perdait, il donnerait au dieu un festin splendide, et lui amènerait une belle femme pour coucher avec lui. L’arrangement fait, il jette les dés, d’abord pour Hercule, ensuite pour lui, et il perd manifestement la partie. Pour tenir sa parole et remplir ses engagements, il dresse au dieu un repas magnifique, et il fait venir, en payant, Larentia, qui était dans toute sa jeunesse, et peu renommée encore. Le lit du festin était dressé dans le temple. Le repas fini, il y enferma Larentia, pour que le dieu jouît de ses faveurs. On dit qu’en effet Hercule posséda la femme, et qu’il lui ordonna d’aller dès le matin sur la place, d’embrasser le premier homme qu’elle rencontrerait, et d’en faire son ami. Le premier qu’elle rencontra fut un citoyen déjà vieux et fort riche, qui avait passé jusque-là sa vie dans le célibat : il se nommait Tarrutius. Il fit bon accueil à Larentia, et il s’attacha tellement à elle, qu’en mourant il lui laissa des biens considérables, dont elle donna, par testament, la plus grande partie au peuple romain. Elle avait déjà un nom célèbre, dit-on, et on l’honorait comme l’amie d’un dieu, lorsqu’elle disparut tout à coup, près du lieu où était enterrée la première Larentia. C’est aujourd’hui le Vélabre : ce nom vient de ce que, le Tibre étant sujet à se déborder, on traversait en bateau dans cet endroit, pour se rendre au Forum ; manière de passer l’eau qui s’appelle velatura[9]. Il y en a qui disent que ceux qui donnaient des jeux au peuple faisaient tendre de toiles les rues qui mènent de la place au Cirque, à commencer par cet endroit-là : or, les Romains donnent à une toile le nom de velum. Telle est l’origine des honneurs qu’on rend, chez les Romains, à la seconde Larentia.
À l’instant même où les deux frères s’apprêtaient à bâtir la ville, il s’éleva entre eux une contestation, au sujet de l’emplacement. Romulus fonda ce qu’on appelle Rome carrée[14] ; et c’est là qu’il voulait qu’on se fixât. Romus avait choisi, sur le mont Aventin, un lieu fort d’assiette, qui prit de lui le nom de Rémonium[15], et qu’on appelle aujourd’hui Rignarium[16]. Ils convinrent de s’en remettre de leur litige au présage des oiseaux favorables, et ils allèrent se poster chacun de leur côté. Il apparut, dit-on, six vautours à Romus, et douze à Romulus. D’autres prétendent que Romus vit véritablement les siens, mais que Romulus trompa son frère, et qu’il ne vit les douze vautours qu’après que Romus se fut approché de lui. Quoi qu’il en soit, voilà d’où vient qu’aujourd’hui encore, les Romains préfèrent, à tous les autres augures, les augures par les vautours. Hercule aussi, suivant ce qu’écrit Hérodore de Pont, était charmé quand il voyait, au début d’une entreprise, un vautour se montrer à lui. En effet, le vautour est, de tous les animaux, le moins nuisible : il ne fait tort à rien de ce que les hommes sèment, plantent et nourrissent ; il vit de corps morts, et il ne tue ni ne blesse aucun être qui ait vie ; il ne touche pas aux oiseaux, même morts, et il respecte en eux son espèce : différent en cela des aigles, des hiboux et des éperviers, qui attaquent et déchirent tout vivants les oiseaux mêmes. Or, comme dit Eschyle :
L’oiseau qui a mangé un oiseau peut-il être pur[17] ?
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- Loose-Sutures
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- 7 septembre 2024 à 04:18:44
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