Topic de Loose-Sutures :

Plutarque Vies des hommes illustres

En général, les lois de Solon sur les femmes renferment, ce semble, bien des inconséquences. Par exemple, il permet de tuer celui qu’on surprend en adultère ; tandis que celui qui a ravi une femme libre et lui a fait violence, il ne le condamne qu’à une amende de cent drachmes[46]. Si le ravisseur la prostitue, il payera vingt drachmes[47], à moins qu’elle ne soit de ces femmes qui se vendent publiquement, autrement dit des courtisanes, des femmes qui s’abandonnent sans honte au premier qui les paye. Solon défend de vendre sa fille ou sa sœur, à moins qu’on ne l’ait surprise en faute avant d’être mariée. Or, il est déraisonnable de punir le même crime, tantôt avec la plus grande rigueur, tantôt avec une douceur extrême, comme si c’était un jeu, en ne condamnant qu’à une légère amende.
Au reste, on peut dire que la rareté de l’argent à Athènes, et la difficulté de s’en procurer, rendaient vraiment onéreuses les amendes pécuniaires ; car, dans l’estimation des frais des sacrifices, Solon évalue au même taux un mouton, une drachme, et un médimne de blé[48]. Le vainqueur des jeux Isthmiques recevait, d’après sa loi, cent drachmes ; celui des jeux Olympiques, cinq cents. Il donne cinq drachmes, à celui qui apportera un loup, et une drachme si c’est une louve. Cinq drachmes étaient, suivant Démétrius de Phalère[49], la valeur d’un bœuf, et une drachme celle d’un mouton. Dans la seizième table des lois de Solon, le prix des victimes d’élite est plus fort ; mais ce n’est rien en comparaison de ce qu’elles coûtent aujourd’hui.
C’est de toute antiquité que les Athéniens font la guerre aux loups ; car l’Attique est plus propre à la nourriture des troupeaux qu’à la culture du blé. Même les tribus d’Athènes, suivant quelques-uns, n’ont pas pris leurs noms des fils d’Ion, mais des différents genres de vie qui avaient d’abord partagé les habitants en autant de classes. Les gens de guerre furent des Hoplites, les artisans des Èrgades ; et il y avait encore deux autres classes : les Gédéontes, ou laboureurs, et les Egicores, ou bergers[50].
L’Attique n’a pas de ces fleuves qui ne tarissent jamais ; on y trouve très-peu de lacs ou de fontaines, et presque partout on n’y a d’autre eau que celle des puits creusés à la main. Solon fit donc une loi qui permettait à ceux qui ne seraient éloignés d’un puits public que d’une course de cheval, c’est-à-dire de quatre stades[51], d’y aller puiser de l’eau. S’ils en étaient à une plus grande distance, il leur fallait chercher de l’eau dans leur propre fonds ; mais si, après avoir creusé jusqu’à dix brasses, ils n’en trouvaient pas, alors ils pouvaient aller au puits le plus prochain, et y puiser, deux fois par jour, une cruche de six conges[52]. Solon croyait juste de fournir au besoin, mais non d’entretenir la paresse.
Il régla aussi, en homme qui s’y entendait, les distances à observer dans les plantations. Les arbres ordinaires devaient être à cinq pieds[53] du champ voisin, et à neuf, si c’était un figuier ou un olivier, arbres qui poussent très-loin de leurs racines, et dont le voisinage ne convient pas à toutes les plantes : il y en a dont ils absorbent la nourriture, et d’autres auxquelles ils nuisent par leurs émanations. Si l’on voulait creuser une fosse ou un fossé, la distance jusqu’au fonds voisin devait, d’après sa loi, être égale à la profondeur de l’excavation ; et l’on ne pouvait établir de nouvelles ruches qu’à trois cents pieds de celles qu’un autre aurait déjà placées.
De toutes les productions indigènes, Solon ne permit de vendre aux étrangers que l’huile, et il défendit l’exportation des autres. Il chargea l’archonte de prononcer les imprécations contre ceux qui contreviendraient à la loi, sous peine de payer lui-même au trésor public une amende de cent drachmes. Cette loi est dans la première de ses tables. Ce n’est donc pas tout à fait sans fondement qu’on a dit qu’il était défendu autrefois d’exporter des figues de l’Attique, et que les délateurs de ceux qui en avaient exporté étaient appelés sycophantes[54]
Il fixa pareillement la réparation du dommage causé par les animaux. Tout chien qui avait mordu quelqu’un, le maître était tenu de le lui livrer avec un billot au cou, de quatre coudées de long ; moyen assez bien imaginé pour prévenir les accidents.
J’ai des doutes sur le vrai sens de la loi relative à la concession du droit de cité. Les seuls qui pouvaient devenir citoyens, c’étaient des gens bannis à perpétuité de leur pays, ou qui seraient venus s’établir à Athènes avec toute leur famille, pour y exercer un métier. Voici toutefois l’explication qu’on donne à cette loi. Solon voulait, non pas éloigner les étrangers, mais, au contraire, les attirer à Athènes, par la certitude où ils seraient de devenir citoyens. Ceux qu’il appelait étaient les gens à qui l’on pouvait le plus se fier : les uns, parce qu’ils avaient été forcés de quitter leur patrie, sans espoir d’y retourner ; les autres, parce qu’ils y avaient renoncé volontairement. Une loi particulière à Solon, c’est l’institution des repas aux frais du public, ce qu’il nomme parasiter[55]. Il défend que le même y aille souvent, et il établit une peine contre qui n’y va pas à son tour. L’un, à ses yeux, était pure avidité, et l’autre, mépris des coutumes publiques.

Solon fixa cent ans de durée à l’autorité de ses lois, et on les écrivit sur des pièces de bois en forme d’essieux, qui tournaient dans les cadres où elles étaient enchâssées. On en conserve encore quelques petits fragments, dans le Prytanée ; et, suivant Aristote, ces essieux portaient le nom de cyrbes. Le poète Cratinus[56] a dit aussi quelque part :

Par Solon et Dracon, dont aujourd’hui
Les cyrbes nous font déjà frire les grains d’orge.

Quelques-uns prétendent qu’on ne donnait le nom de cyrbes qu’aux tables où se trouvaient les règlements des cérémonies de la religion et des sacrifices : les autres étaient simplement appelées tables. Le conseil s’engagea, par un serment commun, à maintenir les lois de Solon ; et chacun des Thesmothètes[57] fit en particulier le même serment sur la place publique, près de la pierre des proclamations, s’obligeant, s’il venait à transgresser une seule de leurs dispositions, de consacrer, dans le temple de Delphes, une statue d’or de son poids.

Solon avait remarqué l’inégalité des mois ; il avait vu que jamais le mouvement de la lune ne s’accorde ni avec le lever du soleil, ni avec son coucher, et que souvent, en un même jour, elle atteint et devance le soleil. Il régla que ce jour serait appelé vieille et nouvelle lune[58] ; et il attribua au mois qui finissait la partie du jour antérieure à la conjonction, et la partie qui suivait au mois commençant. Solon est le premier, à mon avis, qui ait bien compris le sens de ce vers d’Homère :

Lorsqu’un mois finit, lorsqu’un mois commence[59].

Il appela le jour suivant néoménie[60] ; mais, à partir du 20, il compte les jours, non plus par addition, mais par soustraction, en suivant toujours le décours de la lune, jusqu’au trentième jour du mois.

Dès que les lois eurent été publiées, Solon se vit assailli à chaque instant de gens qui louaient son œuvre, ou qui la critiquaient, ou qui le priaient d’y ajouter ou d’en retrancher telle ou telle chose à leur gré. Un plus grand nombre encore venaient lui demander des explications, et voulaient qu’il leur développât le sens de chaque loi, et la manière dont il les fallait entendre : il eût été déraisonnable de refuser ; consentir, c’était s’exposer à l’envie. Pour éviter ces difficultés, et pour se dérober aux importunités et aux plaintes ; car, comme il le disait lui-même :

Dans les grandes affaires, il n’est pas aisé de plaire à tout le monde ;

il demanda aux Athéniens un congé de dix ans, et il s’embarqua, sous prétexte qu’il voulait commercer sur mer. Il espérait que ce temps suffirait, pour qu’on s’accoutumât à ses lois. Il alla d’abord en Égypte, où, comme il le dit, il demeura quelque temps

Sur un bras du Nil, près des rives de Canope.

Là, il eut de fréquents entretiens sur la philosophie avec Psénophis l’Héliopolitain et Sonchis le Saïte, les plus savants d’entre les prêtres. C’est d’eux qu’il entendit, suivant Platon, le récit sur l’Atlantide[61], qu’il se proposa de mettre en vers, pour le faire connaître aux Grecs.

De là il passa en Cypre, où il se lia d’amitié avec Philocyprus, un des rois de l’Île, qui habitait une petite ville bâtie par Démophon, fils de Thésée, près du fleuve Clarius. C’était un endroit fort d’assiette, mais, du reste, un terrain stérile et ingrat. Solon persuada au roi de transporter la ville dans une belle plaine située plus bas, et de l’agrandir en la rendant plus agréable. Il aida même à la construire, et à la pourvoir de tout ce qui pouvait y faire régner l’abondance et contribuer à sa sûreté. Philocyprus eut bientôt un si grand nombre de sujets, qu’il encourut la jalousie des rois voisins. Aussi, par une juste reconnaissance pour Solon, donna-t-il à sa ville, qui s’appelait d’abord Épia[62], le nom de Soli. Solon parle lui-même de cette fondation. Voici comment il s’adresse à Philocyprus, dans ses Élégies :

Puisses-tu régner ici, à Soli, de longues années,
Paisible dans ta ville, toi et tes descendants !
Pour moi, que mon rapide vaisseau, loin de cette île célèbre,
M’emporte sain et sauf, protégé par Cypris à la couronne de violettes.
Puisse cette fondation me valoir, par la déesse, reconnaissance, gloire
Illustre, et un heureux retour dans ma patrie !

Quelques-uns regardent comme controuvée son entrevue avec Crésus, et ils prétendent en prouver l’anachronisme. Pour moi, je suis d’avis qu’un trait aussi fameux, et que confirment un si grand nombre de témoignages, si analogue d’ailleurs aux mœurs de Solon, et si digne de sa grandeur d’âme et de sa sagesse, ne doit pas être rejeté par la seule raison qu’il ne s’accorde point avec telles ou telles tables chronologiques, comme on les nomme, quand mille savants, jusqu’à nos jours, ont entrepris de réformer la chronologie, sans en avoir pu concilier les contradictions[63]. Voici l’histoire. Solon s’était rendu à Sardes, sur l’invitation de Crésus. Là, il fit à peu près comme cet homme du continent, qui, la première fois qu’il alla voir la mer, prenait pour la mer chaque rivière qu’il rencontrait sur sa route. Solon aussi, quand il vit, en traversant les appartements du palais, tous ces gens du roi, magnifiquement vêtus, et marchant avec faste entourés de serviteurs et de gardes, prenait chacun d’eux pour Crésus. Enfin il arriva jusqu’au roi, qui s’était paré, ce jour-là, de ce qu’il avait de plus précieux, de plus recherché, en pierreries, en étoffes de riche couleur, en bijoux d’or artistement façonnés, afin de se montrer à Solon dans un imposant et magnifique appareil. Mais Solon, en paraissant devant Crésus, ne marqua, contre l’attente du roi, ni surprise ni admiration ; et ceux qui avaient quelque sens virent bien qu’il méprisait toutes ces vanités et ces petitesses d’esprit. Alors Crésus commanda qu’on lui montrât ses trésors, et qu’on étalât à ses yeux toute la richesse et la magnificence de ses meubles ; mais il suffisait à Solon, pour juger Crésus, de voir Crésus lui-même. On ramena Solon vers Crésus, après qu’il eut bien tout contemplé ; et Crésus lui demanda s’il avait connu quelqu’un de plus heureux que lui : « Oui, lui répondit Solon, l’Athénien Tellus. Tellus, ajouta-t-il, vécut en homme de bien, et il laissa des enfants estimés de tous ; et, après avoir été toute sa vie au-dessus du besoin, il mourut avec gloire, en combattant pour sa patrie. » Déjà Crésus prenait pour un stupide et un grossier cet homme qui, au lieu de mesurer le bonheur à la quantité de l’or et de l’argent, préférait la vie et la mort d’un simple particulier à une si grande puissance et à un tel empire. Cependant il lui demanda encore s’il avait vu, après ce Tellus, un autre homme plus heureux que lui. Solon répliqua : « J’ai vu Cléobis et Biton. C’étaient deux frères, qui s’aimaient tendrement, et qui avaient pour leur mère une affection non moins profonde. Un jour de fête, comme les bœufs tardaient à venir, ils s’attelèrent eux-mêmes au joug, et ils traînèrent le char de leur mère au temple de Junon. La mère était ravie ; et tout le monde la félicitait d’avoir de tels enfants. Les deux frères, après le sacrifice et le banquet, allèrent se coucher ; mais, le lendemain, ils ne se levèrent pas : on les trouva qui avaient expiré, après une si glorieuse journée, d’une mort paisible et sans douleur. » Alors Crésus perdit patience : « Hé quoi ! dit-il, tu ne me comptes donc pas au nombre des hommes heureux ? » Solon, qui ne voulait ni le flatter ni l’irriter davantage, lui répondit : « Ô roi des Lydiens ! nous avons reçu de Dieu en partage, nous autres Grecs, toutes choses en une moyenne mesure ; surtout notre sagesse est ferme, simple, et pour ainsi dire populaire ; elle n’a rien de royal ni de splendide : son caractère, c’est cette médiocrité même. En nous faisant, voir la vie humaine agitée par des vicissitudes continuelles, cette sagesse ne nous permet ni de nous enorgueillir des biens que nous possédons nous-mêmes, ni d’admirer, dans les autres, une félicité que le temps peut détruire. Il n’est pas d’homme à qui l’avenir n’amène mille événements imprévus. Celui donc à qui les dieux ont accordé jusqu’à sa fin de la vie une constante prospérité, voilà le seul que nous estimions heureux. Mais l’homme qui vit encore, et qui est exposé à tous les périls de la vie, son bonheur est aussi incertain, aussi peu en son pouvoir, que le sont, pour l’athlète qui combat encore, la proclamation du héraut et la couronne. » Ces paroles affligèrent Crésus, mais ne le corrigèrent point ; et Solon se retira.
Le fabuliste Ésope était alors à Sardes, où Crésus l’avait attiré et le traitait avec honneur. Fâché du mauvais accueil fait à Solon, il lui dit, en forme d’avis : « Solon, il faut ou ne jamais approcher des rois, ou ne leur dire que des choses agréables. - Dis plutôt, répondit Solon, qu’il faut ou ne pas les approcher, ou ne leur dire que des choses utiles. »
Crésus, en ce temps-là, montra donc un grand mépris pour Solon. Mais lorsque, dans la suite, vaincu par Cyrus, il eut vu l’ennemi maître de Sardes ; lorsque lui-même, prisonnier et condamné à être brûlé vif, il montait déjà, les mains liées, sur le bûcher, en présence de Cyrus et de tous les Perses, alors il éleva la voix, aussi haut que ses forces le lui permettaient, et il s’écria trois fois : « Ô Solon ! » Cyrus, étonné, lui envoya demander quel homme ou quel dieu c’était que ce Solon, le seul qu’il implorât dans la dernière extrémité. Crésus, sans rien déguiser, répondit : « C’était un des sages de la Grèce. Je le fis venir, non pour l’écouter et pour apprendre de lui ce que j’avais besoin de savoir, mais afin qu’il contemplât ma puissance, et qu’il allât ensuite vanter dans la Grèce cette félicité, dont la perte me cause aujourd’hui plus de mal que sa jouissance ne m’a jamais fait de bien : je ne goûtais alors qu’un bonheur imaginaire ; tandis que le revers de la fortune m’a plongé dans un malheur aussi réel qu’irrémédiable. Cet homme augurant, d’après la manière dont je vivais alors, ce qui m’arrive aujourd’hui, m’avertissait d’envisager la fin de ma vie, de ne me pas laisser aller aux élans de l’orgueil, et de me défier de ce bonheur incertain. » On rapporta cette réponse à Cyrus ; et celui-ci, plus sage que Crésus, et qui voyait la parole de Solon confirmée par un si frappant exemple, ne se contenta pas de rendre à Crésus sa liberté : il le traita d’une manière honorable tout le reste de sa vie ; et Solon eut, par un seul mot, la gloire de sauver la vie à un roi, et de donner à un autre une sage leçon.
Plutarque, te voilà enfin.
Cependant l’absence de Solon laissait Athènes en proie aux séditions d’autrefois. Les habitants de la plaine avaient Lycurgue à leur tête ; Mégaclès, fils d’Alcméon, était chef des habitants de la côte, et Pisistrate de ceux de la montagne. À ces derniers s’était jointe la tourbe des Thètes, les plus âpres ennemis des riches. La ville observait encore, il est vrai, les lois de Solon ; mais tous les citoyens comptaient sur une révolution, et désiraient une autre forme de gouvernement : non qu’aucun parti voulût faire régner la justice ; mais chacun d’eux espérait gagner au changement, et dominer sans rival les partis contraires. Voilà où en étaient les choses, quand Solon revint à Athènes. Il fut reçu de tout le monde avec honneur et respect. Comme il ne pouvait plus, à cause de son grand âge, ni parler ni agir comme auparavant en public, et qu’il ne l’essayait même plus, il eut, avec les chefs des factions, des conférences particulières, et il s’efforça de terminer leurs différends et de les réconcilier ensemble. Pisistrate surtout paraissait entrer dans les vues de Solon. Il y avait, dans la parole de Pisistrate, quelque chose d’insinuant et d’affectueux ; il était secourable aux pauvres, doux et modéré envers ses ennemis. Les qualités que la nature lui avait refusées, il les imitait, et si parfaitement, qu’on y croyait, en lui, bien plus qu’en ceux qui les avaient réellement : aussi passait-il pour un homme modeste, réservé, zélé partisan de la justice et de l’égalité, ennemi déclaré de ceux qui voulaient quelque réforme, ou qui aspiraient à une révolution. Cette dissimulation en imposait au peuple ; mais Solon eut bientôt pénétré le caractère de Pisistrate, et deviné son dessein. Il ne rompit pourtant point avec lui : il essaya de l’adoucir, de le ramener par ses conseils. Il lui disait souvent, à lui-même et à d’autres, que, si l’on pouvait déraciner de son âme cette ambition démesurée, et le guérir de cette passion de la tyrannie, il n’y aurait pas, dans Athènes, un homme mieux fait pour la vertu, ni un meilleur citoyen.
Thespis, dans ce temps-là, commençait à changer la tragédie[64] ; et la nouveauté du spectacle attirait la foule, n’y ayant point encore de concours, où les poëtes vinssent se disputer le prix. Solon, naturellement curieux, et qui, dans sa vieillesse, se livrait davantage aux passe-temps et aux jeux, et même à la bonne chère et à la musique, alla entendre Thespis, lequel, suivant l’usage des anciens poëtes, jouait lui-même ses pièces. Après le spectacle, il appela Thespis, et lui demanda s’il n’avait pas honte de faire si publiquement de si énormes mensonges. Thespis répondit qu’il n’y avait point de mal à ses paroles ni à sa conduite, puisque ce n’était qu’un jeu. « Oui, dit Solon en frappant avec force la terre de son bâton ; mais, si nous souffrons, si nous approuvons le jeu, nous trouverons la réalité dans nos contrats. »

Cependant Pisistrate s’était blessé lui-même, et il s’était fait porter sur la place dans un chariot : il souleva la multitude, en faisant entendre que c’étaient ses ennemis qui l’avaient traîtreusement frappé, pour le punir des services qu’il rendait à la république. Mais, au moment où la foule commençait à faire éclater son indignation par des cris, Solon s’approcha de Pisistrate, et lui dit : « Fils d’Hippocratès, tu copies mal l’Ulysse d’Homère ; car il se blessa pour tromper les ennemis ; et toi, tu l’as fait pour tromper tes concitoyens. » La populace, pour soutenir Pisistrate, était près d’en venir aux mains ; et il y eut une assemblée générale du peuple, où Ariston proposa qu’on accordât à Pisistrate cinquante hommes armés de bâtons, pour la sûreté de sa personne. Solon se leva, et il combattit avec force la proposition. On retrouve quelque chose de ce discours dans ses poésies :

Vous ne regardez qu’à la langue, qu’aux paroles d’un homme artificieux ;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[65]
Chacun de vous a, pour ses intérêts, la marche du renard ;
Mais, réunis, vous n’êtes qu’une troupe imbécile.

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Loose-Sutures
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7 septembre 2024 à 04:18:44
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