Plutarque Vies des hommes illustres
Solon fixa cent ans de durée à l’autorité de ses lois, et on les écrivit sur des pièces de bois en forme d’essieux, qui tournaient dans les cadres où elles étaient enchâssées. On en conserve encore quelques petits fragments, dans le Prytanée ; et, suivant Aristote, ces essieux portaient le nom de cyrbes. Le poète Cratinus[56] a dit aussi quelque part :
Par Solon et Dracon, dont aujourd’hui
Les cyrbes nous font déjà frire les grains d’orge.
Solon avait remarqué l’inégalité des mois ; il avait vu que jamais le mouvement de la lune ne s’accorde ni avec le lever du soleil, ni avec son coucher, et que souvent, en un même jour, elle atteint et devance le soleil. Il régla que ce jour serait appelé vieille et nouvelle lune[58] ; et il attribua au mois qui finissait la partie du jour antérieure à la conjonction, et la partie qui suivait au mois commençant. Solon est le premier, à mon avis, qui ait bien compris le sens de ce vers d’Homère :
Lorsqu’un mois finit, lorsqu’un mois commence[59].
Il appela le jour suivant néoménie[60] ; mais, à partir du 20, il compte les jours, non plus par addition, mais par soustraction, en suivant toujours le décours de la lune, jusqu’au trentième jour du mois.
Dès que les lois eurent été publiées, Solon se vit assailli à chaque instant de gens qui louaient son œuvre, ou qui la critiquaient, ou qui le priaient d’y ajouter ou d’en retrancher telle ou telle chose à leur gré. Un plus grand nombre encore venaient lui demander des explications, et voulaient qu’il leur développât le sens de chaque loi, et la manière dont il les fallait entendre : il eût été déraisonnable de refuser ; consentir, c’était s’exposer à l’envie. Pour éviter ces difficultés, et pour se dérober aux importunités et aux plaintes ; car, comme il le disait lui-même :
Dans les grandes affaires, il n’est pas aisé de plaire à tout le monde ;
il demanda aux Athéniens un congé de dix ans, et il s’embarqua, sous prétexte qu’il voulait commercer sur mer. Il espérait que ce temps suffirait, pour qu’on s’accoutumât à ses lois. Il alla d’abord en Égypte, où, comme il le dit, il demeura quelque temps
Sur un bras du Nil, près des rives de Canope.
Là, il eut de fréquents entretiens sur la philosophie avec Psénophis l’Héliopolitain et Sonchis le Saïte, les plus savants d’entre les prêtres. C’est d’eux qu’il entendit, suivant Platon, le récit sur l’Atlantide[61], qu’il se proposa de mettre en vers, pour le faire connaître aux Grecs.
De là il passa en Cypre, où il se lia d’amitié avec Philocyprus, un des rois de l’Île, qui habitait une petite ville bâtie par Démophon, fils de Thésée, près du fleuve Clarius. C’était un endroit fort d’assiette, mais, du reste, un terrain stérile et ingrat. Solon persuada au roi de transporter la ville dans une belle plaine située plus bas, et de l’agrandir en la rendant plus agréable. Il aida même à la construire, et à la pourvoir de tout ce qui pouvait y faire régner l’abondance et contribuer à sa sûreté. Philocyprus eut bientôt un si grand nombre de sujets, qu’il encourut la jalousie des rois voisins. Aussi, par une juste reconnaissance pour Solon, donna-t-il à sa ville, qui s’appelait d’abord Épia[62], le nom de Soli. Solon parle lui-même de cette fondation. Voici comment il s’adresse à Philocyprus, dans ses Élégies :
Puisses-tu régner ici, à Soli, de longues années,
Paisible dans ta ville, toi et tes descendants !
Pour moi, que mon rapide vaisseau, loin de cette île célèbre,
M’emporte sain et sauf, protégé par Cypris à la couronne de violettes.
Puisse cette fondation me valoir, par la déesse, reconnaissance, gloire
Illustre, et un heureux retour dans ma patrie !
Cependant Pisistrate s’était blessé lui-même, et il s’était fait porter sur la place dans un chariot : il souleva la multitude, en faisant entendre que c’étaient ses ennemis qui l’avaient traîtreusement frappé, pour le punir des services qu’il rendait à la république. Mais, au moment où la foule commençait à faire éclater son indignation par des cris, Solon s’approcha de Pisistrate, et lui dit : « Fils d’Hippocratès, tu copies mal l’Ulysse d’Homère ; car il se blessa pour tromper les ennemis ; et toi, tu l’as fait pour tromper tes concitoyens. » La populace, pour soutenir Pisistrate, était près d’en venir aux mains ; et il y eut une assemblée générale du peuple, où Ariston proposa qu’on accordât à Pisistrate cinquante hommes armés de bâtons, pour la sûreté de sa personne. Solon se leva, et il combattit avec force la proposition. On retrouve quelque chose de ce discours dans ses poésies :
Vous ne regardez qu’à la langue, qu’aux paroles d’un homme artificieux ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[65]
Chacun de vous a, pour ses intérêts, la marche du renard ;
Mais, réunis, vous n’êtes qu’une troupe imbécile.
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- Loose-Sutures
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- 7 septembre 2024 à 04:18:44
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