Topic de Loose-Sutures :

Plutarque Vies des hommes illustres

Au reste, il rapporte lui-même en ces termes les railleries que bien des gens faisaient de lui, quand il eut refusé la tyrannie :

Solon n’a été ni un sage, ni un homme de sens :
Les biens que lui offraient les dieux, il les a refusés.
Le poisson pris, il a regardé, tout ébahi, et il n’a point tiré le grand filet.
Il a perdu sa raison ; il ne se connaît plus :
Autrement, pour posséder en maître tant de trésors,
Et pour régner sur Athènes un seul jour,
Il eût voulu être écorché vif, et que sa race périt tout entière.

Voilà comment il fait parler sur son compte les hommes du vulgaire et les méchants.

Toutefois, pour avoir repoussé la tyrannie, il n’en devint ni lâche ni mou dans l’administration des affaires. Il ne céda rien par faiblesse aux puissants, et il ne chercha pas à flatter, dans ses lois, ceux qui l’avaient élu. Il n’appliqua pas le remède aux parties saines ; et il ne voulut pas trancher dans le vif, de peur qu’après avoir changé et bouleversé tout l’État, il n’eût pas assez de force pour le rétablir et le réformer. Il ne se permit que les changements qu’il crut pouvoir faire adopter par persuasion ou imposer d’autorité, en unissant, comme il le disait lui-même, la force à la justice. On lui demandait, quelque temps après, s’il avait donné aux Athéniens les lois les meilleures : « Oui, dit-il, les meilleures qu’ils pussent recevoir. »
Les Athéniens, comme le remarquent certains modernes, adoucissent l’odieux de certaines choses, en leur donnant des noms honnêtes et innocents : ainsi, ils appellent les prostituées des amies, les impôts des contributions, les soldats de garnison des gardiens, la prison une maison. Ce fut là, dans l’origine, suivant toute apparence, une invention de Solon. Il avait donné le nom de décharge à l’abolition des dettes, la première de ses réformes politiques. Par le décret, toutes les dettes antérieures furent abolies, et les engagements pécuniaires affranchis, pour l’avenir, de la contrainte par corps. Cependant quelques-uns ont écrit, entre autres Androtion[28], que Solon n’abolit pas les dettes ; qu’il en réduisit seulement les intérêts, et que les pauvres, ainsi soulagés, donnèrent eux-mêmes à ce bienfait le nom de décharge. Ce qui compléta la loi, suivant eux, ce fut l’augmentation des mesures, et celle de la valeur des monnaies. La mine ne valait que soixante-treize drachmes[29] : elle fut portée à cent ; de façon que les débiteurs, en donnant une valeur numériquement égale, mais moindre en effet, gagnèrent beaucoup, sans rien faire perdre à leurs créanciers.
Cependant on convient généralement que la décharge fut une véritable abolition des dettes ; et ce sentiment est confirmé par ce que Solon lui-même en a dit dans ses poésies, où il se glorifie d’avoir fait disparaître de l’Attique les écriteaux qui désignaient les terres hypothéquées. « La terre, serve auparavant, dit-il, est libre maintenant ; les citoyens qu’on avait adjugés à leurs créanciers, je les ai ramenés de la terre étrangère, où ils avaient si longtemps erré qu’ils ne parlaient plus la langue attique ; et j’ai remis les autres en liberté, qui subissaient dans leur patrie un honteux esclavage[30]. » Cette action, toutefois, lui attira le plus fâcheux déplaisir qu’il pût éprouver. Pendant qu’il s’occupait de l’abolition des dettes, et qu’il cherchait les termes les plus insinuants pour la rédaction du décret, et un préambule convenable, il communiqua son projet à trois de ses meilleurs amis, Conon, Clinias et Hipponicus, qui avaient toute sa confiance. Il leur dit qu’il ne toucherait pas aux terres, mais qu’il abolirait les dettes. Ceux-ci saisissent l’occasion, préviennent la publication de la loi, empruntent à des riches des sommes considérables, et achètent de grands fonds de terres ; puis, le décret porté, ils gardèrent les biens, et ils ne rendirent pas l’argent qu’ils avaient emprunté. Leur mauvaise foi excita des plaintes amères contre Solon, et elle le fit accuser d’avoir été, non la dupe de ses amis, mais le complice de leur fraude. Ce soupçon injurieux fut bientôt détruit, quand il eut, tout le premier, aux termes de sa loi, fait la remise des cinq talents qui lui étaient dus. La somme montait même à quinze, selon quelques-uns, entre autres Polyzélus le Rhodien[31]. Cependant ses trois amis n’en furent pas moins appelés les Chréocopides[32].

L’ordonnance de Solon déplut également aux deux partis : elle offensa les riches, qui perdaient leurs créances, et elle mécontenta encore plus les pauvres, frustrés du nouveau partage des terres qu’ils avaient espéré, et qui avaient compté sur une parfaite égalité de biens, dans le genre de celle qu’avait établie Lycurgue. Mais Lycurgue était le onzième descendant d’Hercule ; il avait régné plusieurs années à Lacédémone ; il y jouissait d’un grand crédit ; il avait beaucoup d’amis, et un pouvoir considérable : tous avantages qui lui furent d’un grand secours, pour opérer sa réforme politique ; et, avec tout cela, il fut obligé d’employer la force, plus encore que la persuasion, et il lui en coûta un œil pour faire passer la plus importante de ses institutions, la plus propre à rendre Sparte heureuse, et à y maintenir la concorde : à savoir, la suppression de toute pauvreté et de toute richesse. Solon ne pouvait aspirer jusque-là, lui né d’une famille plébéienne, et dans une condition médiocre[33] ; mais du moins ne resta-t-il pas au-dessous des moyens qu’il avait en main, sa sagesse, et la confiance qu’il inspirait. Aussi bien, il témoigne lui-même que sa loi offensa la plupart des Athéniens, qui s’attendaient à autre chose :

Alors ils disaient de moi merveilles ; maintenant, irrités contre moi,
Tous ils me regardent d’un œil d’ennemi.

Et pourtant, ajoute-t-il, tout autre qui eût eu, comme moi, ce pouvoir,

N’eût point eu d’arrêt, point de fin,
Qu’il n’eût mis le désordre, et qu’il n’eût écrémé le lait.

Toutefois les Athéniens ne tardèrent pas à reconnaître l’utilité de sa loi : ils cessèrent donc de murmurer, et ils firent en commun un sacrifice, qu’ils appelèrent le sacrifice de la décharge ; puis ils conférèrent à Solon les fonctions de réformateur politique et de législateur, lui abandonnant, à cet effet, un pouvoir illimité. Il se trouva maître des magistratures, des assemblées, des délibérations et des jugements ; et il réglait le revenu des officiers publics, leur nombre, la durée de leur administration, abrogeant ou confirmant à son gré les institutions et les coutumes. Il commença par abolir toutes les lois de Dracon, à cause de la sévérité et de la disproportion des peines : il n’excepta que celles qui regardaient le meurtre.
Les lois de Dracon ne prononçaient qu’une même punition pour toutes les fautes : la mort. Ceux qui étaient convaincus d’oisiveté subissaient le dernier supplice ; et ceux qui avaient volé des légumes ou des fruits étaient punis avec la même rigueur que les sacrilèges et les homicides. Aussi Démade[34] dans la suite, a-t-il eu raison de dire que Dracon avait écrit ses lois avec du sang, non avec de l’encre. Quand on demandait à Dracon pourquoi il avait ordonné la peine de mort pour toutes les fautes, il répondait : « J’ai cru que les moindres fautes méritaient cette peine, et je n’en ai pas de plus grave pour les grandes. »
En second lieu, Solon, voulant laisser, comme auparavant, toutes les magistratures aux mains des riches, et donner aux pauvres quelque part au gouvernement, dont ils étaient exclus, fit faire le recensement des fortunes. Il forma une première classe des citoyens qui avaient cinq cents médimnes[35] de revenu, tant en grains qu’en liquides, et il les appela Pentacosiomédimnes[36]. La seconde classe comprit ceux qui pouvaient nourrir un cheval, ou qui avaient trois cents médimnes : on les nommait les Chevaliers. Ceux qui possédaient deux cents médimnes en grains et en liquides composèrent la troisième classe, sous le nom de Zeugites[37]. Tous les autres, dont le revenu était au-dessous de deux cents, furent appelés Thètes[38].

Solon interdit aux Thètes l’entrée des magistratures, et il ne leur donna d’autre part aux affaires que le droit de voter dans les assemblées, et dans les jugements, droit qui ne parut rien d’abord, mais qui, dans la suite, devint très-considérable ; car la plupart des procès finissaient par retomber sous la juridiction populaire. Si c’étaient généralement les magistrats qui commençaient par en connaître, on pouvait toujours en appeler au peuple, de la sentence des magistrats. D’ailleurs, l’obscurité des lois de Solon, et les sens contradictoires qu’elles présentaient souvent, servirent beaucoup, dit-on, à accroître l’autorité des tribunaux. Comme on ne pouvait pas décider les différends par le texte même des lois, on avait toujours besoin de juges, à qui l’on portât en dernier ressort la décision des procès. Les juges se trouvaient, par là, les maîtres des lois, pour ainsi dire. Solon caractérise ainsi lui-même cette compensation qu’il avait établie entre les riches et les pauvres :

J’ai donné au peuple le pouvoir qui suffisait,
Sans rien retrancher à ses honneurs, sans y rien mettre de trop.
Quant aux puissants, aux hommes fiers de leur opulence,
Je ne leur ai point permis l’injustice.
J’ai armé chaque parti d’un invincible bouclier :
Ni l’un ni l’autre ne peuvent plus s’opprimer jamais.

Afin de donner un nouveau soutien à la faiblesse du peuple, il permit au premier venu de prendre la défense d’un citoyen insulté. Si quelqu’un avait été blessé, battu, outragé, chacun avait le droit, s’il l’osait ou le voulait, d’appeler et de poursuivre l’agresseur en justice : sage disposition du législateur pour accoutumer les citoyens à se regarder comme membres d’un même corps, et à ressentir, à partager les maux les uns des autres On cite un mot de Solon, qui montre bien l’esprit de cette loi. On lui demandait un jour quelle était la cité la mieux policée : « Celle, dit-il, où tous les citoyens poursuivent la réparation d’une injure aussi vivement que celui qui l’a reçue. »
C’est Solon qui institua le sénat de l’Aréopage. Il le composa de ceux qui avaient rempli les fonctions d’archonte : ayant été archonte lui-même, il fut un des membres de ce sénat. Mais, comme il eut observé que l’abolition des dettes avait rendu le peuple arrogant et fier, il créa un second conseil, composé de quatre cents membres, cent de chacune des quatre tribus, dans lequel on discutait les affaires avant de les proposer au peuple ; et il fut interdit à l’assemblée générale de connaître d’aucune affaire, qu’elle n’eût été examinée dans ce conseil. Quant au conseil suprême, Solon lui attribua une surintendance universelle, et la garde des lois. Athènes, pensait-il, affermie par les deux conseils comme par deux ancres, éprouverait moins d’hésitation, et le peuple serait plus tranquille. On attribue généralement, comme je viens de le dire, l’établissement de l’Aréopage à Solon[39] ; et ce qui paraît donner surtout du poids à ce sentiment, c’est que Dracon ne parle jamais des Aréopagites, qu’il ne les nomme seulement pas, et que toujours, dans les dispositions relatives aux crimes capitaux, il adresse la parole aux Éphètes[40]. Cependant la huitième loi de la treizième table de Solon porte expressément : « Tous les citoyens qui ont été notés d’infamie avant l’archontat de Solon seront réhabilités, hormis ceux qui ont été condamnés par l’Aréopage, par les Éphètes, ou par les rois[41] dans le Prytanée, pour meurtre, pour brigandage, ou pour avoir aspiré à la tyrannie, et qui étaient contumaces lors de la promulgation de cette loi. » Ces paroles prouveraient que l’Aréopage existait avant l’archontat de Solon et la publication de ses lois. En effet, l’Aréopage eût-il condamné personne avant la magistrature de Solon, si c’était Solon qui eût le premier attribué à l’Aréopage le droit de juger ? Peut-être aussi y a-t-il quelque obscurité dans le texte, quelque chose de défectueux, et faut-il entendre que ceux qui auraient été convaincus, avant la publication de la loi, de crimes dont le jugement était réservé à l’Aréopage, aux Éphètes et aux Prytanes, demeureraient infâmes, tandis que les autres seraient réhabilités. Telle était, au reste, l’intention du législateur.
Parmi les autres lois de Solon, il en est une qu’on ne trouve que là, et fort étrange, qui note d’infamie quiconque, dans une sédition, ne se déclare pour aucun parti. Apparemment il voulait que nul ne se pût montrer indifférent ou insensible aux calamités publiques, content de mettre en sûreté sa personne et ses biens, pour se vanter ensuite de n’avoir rien perdu, et de n’avoir pas souffert au milieu des maux de la patrie. Il voulait que, dès le commencement de la sédition, on s’associât à la cause la plus juste ; et qu’au lieu d’attendre de quel côté se déclarerait la victoire, on secourût les honnêtes gens, et on partageât avec eux le danger.
Mais il y a une loi de Solon qui me paraît absurde et ridicule, c’est celle qui permet, dans le cas de l’impuissance du mari, possesseur légitime, que l’épouse, si c’est une riche héritière, se livre à celui des parents de son mari qu’elle préférera. Quelques-uns cependant approuvent qu’on punisse de cette façon ceux qui, inhabiles au mariage, épousent de riches héritières par cupidité, et usent du bénéfice de la loi pour outrager la nature. Instruits que leurs femmes auront le droit de se donner à qui bon leur semblera, ou ils renonceront au mariage, ou ils ne se marieront que pour leur honte, et pour subir la juste peine de leur avarice et de leur crime. Ce n’est pas non plus sans raison, ajoutent-ils, que le choix de la femme est restreint, et qu’elle ne peut s’adresser qu’à l’un des parents du mari : le législateur a voulu que les enfants qui naîtraient fussent du sang du mari et de sa race. C’est par un semblable motif qu’il ordonna que les nouveaux mariés fussent enfermés ensemble et mordissent à un même coing[42], et que l’époux de la riche héritière lui rendît le devoir conjugal, au moins trois fois par mois. Quoiqu’il n’en vienne point d’enfants, c’est toujours un honneur qu’il fait à la vertu de sa femme ; et puis ces marques de tendresse dissipent les sujets de mécontentement qui naissent si souvent entre les époux, et les empêchent de dégénérer en querelles ouvertes.

Quant aux autres mariages, Solon proscrivit toute dot, et il régla que la femme apporterait avec elle trois robes, quelques meubles de peu de valeur, et rien autre chose. C’est que, selon lui, le mariage ne devait pas être un objet de trafic et de lucre, mais une société intime entre le mari et la femme, la condition de la procréation des enfants, un lien de douceur et d’amour. La mère de Denys demandait un jour à son fils qu’il la mariât à un certain jeune homme de Syracuse : « J’ai bien pu, répondit-il, violer les lois de mon pays, en saisissant la tyrannie ; mais il n’est pas en mon pouvoir de forcer les lois de la nature, en faisant des mariages hors d’âge compétent. » Aussi ne faut-il pas autoriser, dans l’État, un pareil désordre, ni tolérer des unions disproportionnées, qui ne sauraient avoir aucune douceur, et qui ne peuvent ni accomplir l’œuvre du mariage, ni atteindre son but. À un vieillard qui épouse une jeune femme, le magistrat sensé, le législateur, appliquera ce qu’on dit à Philoctète :

Te marier, malheureux ! te voilà bien en état[43] !

Trouve-t-il un jeune homme dans la chambre de quelque vieille opulente, s’engraissant à la caresser, comme les perdrix s’engraissent près de leurs femelles, il l’en arrachera, pour le faire passer aux bras de la jeune vierge qui a besoin d’un mari. Mais en voilà assez quant à ce point.
La loi de Solon est vantée aussi, qui défend de dire du mal des morts. En effet, la piété commande de regarder les morts comme sacrés ; la justice, de respecter la mémoire de ceux qui ne sont plus ; et la politique ne veut pas que les haines soient immortelles. Pour les vivants, Solon défendit d’injurier personne dans les temples, dans les tribunaux, dans les assemblées et dans les jeux, sous peine d’une amende de cinq drachmes, dont trois applicables à la personne offensée, et les deux autres au trésor public. Se laisser aller, dans toutes les occasions, aux excès de sa colère, c’est la marque d’une mauvaise éducation et d’un naturel violent ; se maîtriser partout est difficile, impossible même à certaines personnes. La loi donc doit prescrire ce qui est communément praticable, si elle veut faire de la punition d’un petit nombre un exemple salutaire, et non multiplier sans fruit les châtiments et les peines.
On célèbre aussi la loi sur les testaments. Le pouvoir de tester n’était point reconnu avant Solon : tous les biens du mort restaient dans sa famille. Solon permit à ceux qui n’avaient pas d’enfants de disposer à leur gré de ce qu’ils possédaient. Il préféra l’amitié à la parenté, la liberté du choix à la contrainte, et il voulut que chacun fût véritablement maître de ses biens. Mais il posa des limites : il ne ratifia pas indistinctement toute espèce de donation, mais celles-là seules qu’on aurait faites librement, et non sous l’influence des maladies, des breuvages, des maléfices, ou arrachées par la violence, ou captées par les séductions d’une femme. Il pensait, non sans cause, qu’il n’y a nulle différence entre les transgressions de la loi qui sont l’œuvre de la force et celles qui sont l’effet de la séduction, et il mettait au même rang la surprise et la violence, la douleur et la volupté, comme également capables de fourvoyer l’homme loin de la droite raison.
Une autre loi régla les voyages des femmes, leur deuil, leurs sacrifices, et réprima leur licence et leurs désordres. Solon leur défendit d’aller hors de la ville avec plus de trois robes ; de porter des provisions pour plus d’une obole[44] ; d’avoir une corbeille de plus d’une coudée de grandeur ; de marcher la nuit autrement qu’en chariot et précédées d’un flambeau. Il ne leur fut plus permis de se meurtrir le visage, de chanter des lamentations composées d’avance, de pousser des cris déchirants en suivant un convoi, lorsque le mort n’était pas leur parent. Il ne voulut pas qu’on sacrifiât un bœuf sur le tombeau ; qu’on enterrât avec le mort plus de trois habits ; qu’on allât aux sépultures des autres familles, excepté le jour de l’enterrement : toutes défenses qui, pour la plupart, subsistent encore dans nos lois. On y a même ajouté, depuis, que les contrevenants seraient condamnés à l’amende par les magistrats qui exercent la censure sur les femmes, comme gens efféminés, et qui se laissent aller, dans le deuil, à toutes les faiblesses du sexe.
La population d’Athènes s’augmentait chaque jour : il y affluait de toutes parts nombre d’étrangers, attirés par la liberté dont jouissait l’Attique. Mais la plus grande partie du territoire n’offrait qu’un sol ingrat et stérile ; et les marchands qui font le commerce maritime n’apportent rien, d’ordinaire, à qui n’a rien à leur donner en échange. Solon tourna donc vers les arts l’industrie des citoyens, et il fit une loi qui dispensait un fils de l’obligation de nourrir son père, si son père ne lui avait pas fait apprendre un métier. Lycurgue, qui habitait une ville que n’encombrait point une tourbe d’étrangers ; qui disposait d’un grand territoire, et suffisant non-seulement aux besoins d’un grand peuple, mais qui en eût nourri plus de deux fois autant, comme s’exprime Euripide[45] ; Lycurgue, environné surtout, comme il l’était, d’une multitude d’Hilotes, qu’il fallait non laisser dans l’oisiveté, mais fatiguer et comprimer par un travail continuel, eut raison d’interdire aux Spartiates toutes les professions abjectes et mercenaires ; de tenir les citoyens sans cesse sous les armes, et de ne les exercer qu’au métier de la guerre. Mais Solon, qui accommodait les lois aux choses, bien plutôt que les choses aux lois, et qui voyait que le pays, naturellement pauvre, et suffisant à peine à la subsistance des laboureurs, ne pourrait, à plus forte raison, nourrir une populace oisive, mit les arts en honneur, et il chargea l’Aréopage de s’enquérir des ressources de chaque citoyen, et de punir ceux qui vivaient dans l’oisiveté.
Une loi encore plus rigoureuse, c’est celle qui dispensait, au rapport d’Héraclide de Pont, les enfants nés d’une courtisane de l’obligation de nourrir leur père. En effet, celui qui, en fait d’union, ne tient pas compte du devoir, montre sensiblement qu’il s’attache à une femme non pour avoir des enfants, mais pour le seul attrait de la volupté : il reçoit donc le salaire qu’il a mérité ; et il s’est ôté à lui-même toute autorité sur des enfants pour qui c’est un opprobre même d’être nés.

Données du topic

Auteur
Loose-Sutures
Date de création
7 septembre 2024 à 04:18:44
Nb. messages archivés
569
Nb. messages JVC
568
En ligne sur JvArchive 248