Tandis que Tarquin préparait, en Étrurie, une seconde guerre contre les Romains, il arriva, dit-on, un prodige singulier. Tarquin avait fait bâtir, pendant son règne, un temple à Jupiter dans le Capitole. Ce temple étant près d’être achevé, il résolut, soit d’après un oracle, soit de son propre mouvement, de faire placer sur le faîte un char de terre cuite, dont il confia l’exécution à des artistes étrusques de Véies[18]. Peu de temps après, la royauté fut renversée. Quand le quadrige fut façonné, les Étrusques le mirent au four ; mais, au lieu de se serrer et de se condenser, par l’évaporation de l’humidité, comme il arrive à la terre qu’on met au feu, il s’étendit, s’enfla, et il forma une masse considérable, si forte et si dure, qu’il souleva la voûte et démolit les murailles du four, et qu’on eut bien de la peine à le retirer. Les devins déclarèrent que c’était un présage de bonheur et de puissance, pour le peuple à qui resterait le quadrige. Les Véiens prirent le parti de ne le pas donner aux Romains, qui le réclamaient. Le char, répondirent-ils, appartenait à Tarquin, et non pas à ceux qui avaient chassé Tarquin. À quelques jours de là, il y eut, à Véies, des courses de chars, avec la pompe et la magnificence accoutumées. Le vainqueur, qu’on venait de couronner, conduisait le sien au petit pas, pour sortir de la carrière. Ses chevaux prennent l’épouvante, sans aucune cause visible ; et, par une impulsion divine, ou par un pur hasard, ils courent à toute bride vers Rome, entraînant avec eux leur conducteur. C’est en vain que celui-ci, de la main, de la voix, fait ce qu’il peut pour les retenir : il finit par les abandonner à leur impétuosité. Il est emporté jusqu’au pied du Capitole, où les chevaux le renversent, près de la porte qu’on appelle aujourd’hui Ratumène[19]. Les Véiens, surpris et effrayés de cet événement, permirent aux ouvriers de rendre le char de terre cuite. C’est pendant une guerre avec les Sabins, que Tarquin l’Ancien, fils de Démarate, avait fait vœu d’élever le temple de Jupiter Capitolin : Tarquin le Superbe, son fils ou son petit-fils[20], accomplit la promesse ; mais celui-ci ne put dédier le temple, car il fut chassé quelque temps avant son achèvement. Quand l’édifice fut terminé, et décoré avec la magnificence convenable, Publicola se montra jaloux d’en faire la consécration ; mais plusieurs des principaux de Rome lui envièrent cette prérogative. Ils avaient souffert sans trop de chagrin la gloire qu’il s’était justement acquise par ses lois et ses victoires ; mais, ne croyant pas qu’il eût droit à ce nouvel honneur, ils engagèrent, ils excitèrent Horatius, à revendiquer pour lui-même la consécration. Or, il survint une guerre, qui obligea Publicola à sortir de Rome. Ses envieux firent alors charger Horatius de la dédicace du temple, et ils le conduisirent au Capitole ; car ils désespéraient de l’emporter, Publicola présent. D’autres disent que les consuls tirèrent les lots au sort, et que le commandement de l’armée échut à Publicola, et la consécration du temple à Horatius. On peut cependant conjecturer la vérité, d’après ce qui arriva lors de la cérémonie. Le jour des ides de septembre[21], qui répond précisément à la pleine lune de Métagitnion, le peuple était assemblé au Capitole ; l’assemblée était dans un profond silence, et Horatius, après avoir fait les autres cérémonies, tenait déjà, suivant l’usage, une des portes du temple, et il allait prononcer la prière solennelle de la consécration. Alors le frère de Publicola, Marcus, depuis longtemps debout près de la porte du temple, et qui attendait le moment, lui dit : « Consul, ton fils est mort de maladie dans le camp. » La nouvelle affligea tous les assistants ; mais Horatius, sans se troubler, se contenta de répondre : « Jetez le corps où vous voudrez ; pour moi, je ne prends pas le deuil. » Et il acheva la consécration. Or, c’était une fausse nouvelle ; et Marcus l’avait imaginée pour écarter Horatius. Horatius montra, dans cette occasion, une fermeté admirable, soit qu’il eût reconnu à temps la ruse de Valérius, soit qu’il crût la nouvelle véritable, mais ne s’en fût pas autrement ému.