(pavé) Les PIEDS ou les RACINES de la SOUMISSION
Il y a toujours en amitié ce clair-obscur, ces ombres, où se dissimulent les rancœurs amères et les rivalités d'une vie. J'ai eu ce camarade de classe pour qui mon affection était grande, quoique lui me semblait plus réservé à m'exprimer son estime. Je crois pourtant qu'il m'appréciait bien, nous partagions nos journées, déjeunions ensemble, discutions en classe, notre relation prenait en tout cas les atours d'une amitié vraie.
Il avait néanmoins cette hauteur, ces accents de dédain, qui se trahissaient par des mots, des regards, et que j'imputais volontiers à son éducation bourgeoise. Certes, il lui arrivait fréquemment de tancer, de moquer, ici ou là, des camarades, et les infortunés parfois s'en agitaient, mais il avait autrement la plus affirmée politesse. Les professeurs, souvent, vantaient sa bonne conduite, sa tenue irréprochable, morale et vestimentaire, car il était toujours bien mis, habillé très proprement, d'aucuns oseraient même écrire bourgeoisement, les cheveux sagement coiffés sur les côtés. Il dénotait bien certainement sur les bancs de notre école, qui d'ordinaire recevait tous les pouilleux alentours quand les enfants plus nantis se retrouvaient dans le privé. Alors voilà, parmi ces gamins de ferme, les fils du paysan à qui manquait une moitié de dents, la fille du boulanger malade, de l'artisan en faillite, lui pouvait tirer le meilleur parti de ses supériorités de rang : il était fortuné, pas nous.
Il faut aussi reconnaître qu'il n'avait pas que l'allure ou le vêtement bourgeois, il en avait aussi les traits, mieux dessinés, plus harmonieux, il avait un joli visage et s'enorgueillissait de ses yeux clairs, mais il conservait ce physique propre aux campagnes, les épaules hautes et robustes, le corps épais. Je ne le trouvais pas gros, encore moins gras, mais il avait la silhouette ronde, imposante, davantage encore devant mon allure si chétive. Personne ne rivalisait ici avec lui et cette seule circonstance lui permettait ce mépris, lui autorisait cette distance.
Et puis à la mesure de nos jours communs, alors que les trimestres avançaient, je n'étais plus sûr de l'aimer seulement en ami, mon affection se tentait d'ambiguïté, et il me semblait parfois que je le désirais en amant. Je me savais déjà homosexuel, ou c'était du moins l'opinion que je me faisais d’après mes inclinations, et je trouvais souverainement injuste d'être ainsi privé de la jouissance que je pensais pouvoir réclamer, à laquelle je voulais avoir droit. Tout de lui me paraissait suave, sa voix posée, son attitude, masculine et jamais grossière, ses airs appliqués, studieux, ses yeux brillant d'intelligence, oui, combien cet ami me semblait beau sous ce feu nouveau des amours. Et ma frustration s'agrandissait de le savoir si loin de ces sentiments, mon affection était sans réciprocité, sa poitrine, ses épaules, je les observais tantôt habillées, tantôt nues aux vestiaires, le cœur pincé et les joues très rouges, mais j'étais plus curieux encore.
Oui, il y avait là, dans ce qui traînait au sol, calfeutré dans ses souliers, un endroit de lui qui s'interdisait encore à mes regards, dont je ne savais rien d'autre que ce que mes pensées m'en décrivaient. Je m'en suis obsédé, sans mentir, des mois entiers, avec la constance et le zèle de l'âge où les fétichismes affirment sur l'esprit l'empire le plus tyrannique. Oui, j'ai songé à ses pieds parfois même quand je le regardais, nos yeux mêlés, quand il ne soupçonnait rien dans ces œillades appuyées, et sans jamais les voir. Chaque heure de sport me devenait une condoléance lorsqu'il sortait du vestiaire sans s'être déchaussé, son assiduité à ne jamais laisser à ma vue ses pieds, à les conserver dans l'obscurité de ses souliers, me saignait le corps d'une cruelle douleur, alors qu'il avait ma rémission en son pouvoir, il suffisait d'un geste, d'un lacet dénoué, pour me consoler et donner à mes jours le plaisir qu'ils guettaient. Je ne me suis jamais senti aussi frustré que dans ce vestiaire, le cœur poignardé, empêché, de tenir la gaité sublime d'apercevoir ses pieds nus.
Puis un jour de la fin d'année, alors que rien dans l'aube, puis de la matinée jusqu'au déjeuner, n'annonçait l'heureuse tournure, notre CPE nous proposait de participer à des ateliers d'initiation sportive. J'insistais évidemment auprès de lui pour essayer le judo, et par le moyen de trésors rhétoriques, par le renfort de mes supplications, j'arrachais sa venue. Aucune bataille, encore à ce jour, n'a eu plus grande importance pour moi, et son succès me semble toujours un gracieux triomphe, une victoire sur la malchance et sur les privations endurées. Dans le vestiaire, assis l’un près de l’autre, il s’était dévêtu au profit d’un kimono, ou plutôt d’une grande veste blanchâtre, mal pliée, mais plus important encore, il quittait le dernier rempart à mon bonheur, ses chaussures, puis ses chaussettes, jetées comme un cadavre, comme l’ennemi le plus acharné contre ma joie, et il était là, les pieds nus, enfin, que je caressais du regard, dont j’appréciais la forme, la texture, qui continuaient si parfaitement sa beauté par leur jolie taille, par leurs orteils élancés. Je n’en demandais pas plus et m’estimais déjà comblé, satisfait du jour, de l’année, heureux de voir ma patience ainsi rétribuée. Je n’imaginais pas davantage, trop occupé, déjà, à contenir l’excitation et le plaisir que ce paysage me donnait.
Le cours commençait, nous formions alors un duo, puis dans une figure ambiguë, la tête renversée, je me retrouvais le visage touché par son pied. J’ose ici dire que cet intime bonheur, dont lui ne percevait rien, a été l’ode même à vivre, la justification suprême de nos présences, et nulle ivresse, aucun baiser, pas un mot, n’a valu plus que lui, il est encore aujourd’hui ce petit avoir de bonheur, cet instant précieux que nos souvenirs gardent comme un baume, comme un parfum, dont le secret nous envoute par instant, et la peinture qu’il dessine devant nous, toujours fidèle à l’événement qu’elle représente, nous est sans aucun doute le bien le plus cher, le plus heureux, que notre conscience possède. Je me souviens encore de la moiteur de son pied, des courbes que sa plante et son talon esquissaient devant le plafond éclairé, je me souviens de son parfum, celui d’un jour chargé, d’une journée d’été, que décantait le soleil chaud sur la semelle de ses souliers.
Oui, vraiment, tout me revient de cet instant d’un sublime abandon, quand mon amitié pour lui s’incarnait en un asservissement voluptueux, où je devenais son sol, la terre de ses pas, où lui régnait selon la juste hiérarchie de la nature qui lui a donné l’allure et le caractère d’un maître. Jamais l’ordre des choses ne s’était aussi correctement exprimé, chacun tenait soigneusement la place que la providence lui assignait, l’un roi, l’autre serf, et ma jouissance se trouvait augmentée de me savoir dans un rôle si pénible, mais si doux, si étrangement doux, à ma raison et à mon coeur. Lui, bien sûr, ne savait rien de ces mouvements intérieurs, il ne voyait que mon visage sous son pied, ses orteils recroquevillés sur mon nez, et si je suis bien sûr que cet instant ne lui a laissé aujourd’hui aucun souvenir, je suis aussi certain qu’il a pris un certain plaisir, là, à se savoir debout contre moi, sans doute a-t-il lui-même joui de sa position, car sinon pourquoi aurait-il ainsi laissé traîner son pied sur moi, pourquoi se serait-il amusé à jouer de ses odeurs, à m’infliger leurs fragrances, car il y a veillé.
Lui porterais-je outrage en insinuant que son amitié, terminée aussitôt l’établissement quitté, ne m’a laissé de legs que ce souvenir, et l’impression du regret, l’amertume d’en avoir pris congé sans cérémonie, et par mon silence d’avoir simulé son oubli, alors que je vous écris sur lui, un peu avant l’aurore du dimanche ?
Le 14 avril 2024 à 04:34:45 :
Nos kheys ont du talent.
ChatGPT a du talent
Tu devrais essayer de publier des nouvelles dans des journeaux / blogs/ fanzines
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- Rothirsch1
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- 14 avril 2024 à 04:31:54
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