Topic de ghostkinder3 :

[culture] Le droit de l'espace et des activités spatiales

Salut à tous, j’ai dit sur un topic que j’avais pas mal de connaissances en droit de l’espace et des activités spatiales et un khey interessé m’a dit d’en faire un sujet. Je m’exécute en espérant que ça intéresse des gens et que ça vous donne envie d’aller chercher un peu plus loin :noel:

Si je fais ça c’est uniquement pour casser la boucle sur ce forum qui est en train de me rendre dingue, et pour partager mes études (ainsi que mon futur travail) qui sont devenues en même temps ma passion.

Petit point sur mon parcours : J’ai fait un bac ES spé éco, puis je suis parti en licence de droit privé à l’université Paris Sud (Sceaux) aujourd’hui Paris Saclay. J’ai enchaîné sur un master 1 de droit des affaires, et aujourd’hui je suis en master 2 droit des activités spatiales et des télécommunications dans la même faculté (promo 2020-2021 , on est 21 en tout). C’est un master unique en France (il y a une formation un peu similaire à McGill au Canada et une autre au Luxembourg) que j’ai découvert en L2 de droit. Intégrer ce master très très très sélectif c’était un rêve pour moi et j’ai tout fait pour faire partie de l’élitent https://image.noelshack.com/fichiers/2017/39/3/1506463228-risibg.png

Pas mal d’anciens élèves sont juristes dans les grosses boîtes d’aérospatial (Thales, Safran, Ariane, Dassault, Airbus, SES… Certains sont dans des cabinets d’avocats spécialisés (HFW…), des cabinets de conseil (Euroconsult…), dans des administrations, chez des assureurs, bossent au CNES, à l’ESA… Y en a même quelques-uns qui bossent à l’ONU (notamment à l’Union internationale des télécoms, voire à l’UNOOSA : Le Bureau des affaires spatiales des Nations unies. Evidemment je passe sur tous les débouchés dans télécoms qui sont encore plus nombreux

Y a deux parcours dans ce master : Air et espace (le mien) et télécoms-médias. On n’est que 10 en air et espace. Je termine mes études par un stage de 6 mois à partir d’avril aux contrôle des exportations dans une entreprise qui fait de l’optronique de haute technologie pour des satellites, des avions, des missiles, etc… Je dirai pas laquelle :hap:

J’ai fini de parler de moi

Je vais vous partager des notions très résumées, dont vous n’avez sans doute jamais entendu parler, avec des liens pour ceux qui cherchent à s’informer davantage. Ca vous permettra de mieux comprendre la dynamique de ce sujet particulièrement actuel et de plus en plus stratégique.

:globe: LA DYNAMIQUE NORMATIVE :globe:

Le droit de l’espace est une des composantes du droit international public. Il a été fondé à l’origine dans les années 50-60-70 dans le contexte de guerre froide et agrémenté depuis de très nombreuses notions. Globalement on retrouve 3 phases dans la dynamique normative :

-De 1967 à 1979 : Véritable développement du droit international de l’espace, avec la volonté d’encadrer l’exploitation et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique ainsi que des corps célestes par les Etats.

-De 1984 à 2005 (rien de notable entre les 2 phases) : le droit est mis au service de l’exploitation commerciale de l’espace extra-atmosphérique, avec les premières lois nationales encadrant cette exploitation. Quand je parle d’exploitation commerciale je ne vise pas le space mining, mais plutôt les satellites de télécommunications, la TV par satellite, la navigation, l’observation, etc…

-Depuis 2006 : le droit est plutôt mis au service de la privatisation de l’espace. On le voit notamment avec les lois américaine (2015) et Luxembourgeoise (2017) qui ont pour objectif de donner des droits de propriété/de délivrer des licences aux entreprises exploitantes. C’est un premier pas vers l’exploitation des ressources spatiales en réalité.

En France on a également une loi sur les opérations spatiales qui date de 2008, si ça vous intéresse de la lire :noel: : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000018931380/2020-12-07/ Elle s’adresse essentiellement au « Old Space » par opposition au « New space » (la participation directe des acteurs privés dans l’économie spatiale) et nécessiterait une bonne révision. Il faut dire qu’il s’en est passé des choses depuis 2008. C’est d’ailleurs un gros problème pour l’Europe qui n’a pas cru en ce développement soudain du new space : en Europe chaque euro dépensé pour l’espace doit être justifié, et ça rend dingue https://image.noelshack.com/fichiers/2017/39/4/1506603756-elon-musk.png

J’en reviens à la première phase normative avec le développement du droit international de l’espace, on dénombre 5 traités qui posent un cadre général et constituent un peu l’âge d’or du droit de l’espace. Vous les retrouverez ici en français pour ceux que ça intéresse :
https://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf

-Le traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (dit « traité de l’espace ») de 1967

-L’Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (dit « l’accord sur les astronautes ») de 1968

-La convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux (dit « convention sur la responsabilité ») de 1972

-La Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (dit « convention sur l’immatriculation ») de 1975

-Et enfin l’Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (dit « accord sur la lune ») de 1979

Il faut savoir que la plupart de ces traités ont tous été signés et ratifiés par l’immense majorité des puissance spatiales mondiales (USA, URSS – Russie aujourd’hui, France, Angleterre, Japon, Chine, Inde, Australie, Israël…), hormis l’accord sur la lune, qui était à l’époque une initiative des pays émergents afin notamment de protéger leurs droits en faisant de la lune le patrimoine commun de l’humanité. Il n’est ratifié par aucune grande puissance spatiale (la France l’a signé mais pas ratifié) et est considéré comme un échec son application n’est absolument pas contraignante pour ces états.

Je up ce topic de qualité :ok:

:globe: LES GRANDS PRINCIPES :globe:

-La non appropriation de l’espace (article 2 traité de l’espace + accord sur la lune pour ceux qui l’ont ratifié) : L’espace extra atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen

Quelques précisions : d’abord il faut savoir que la notion « d’espace extra-atmosphérique » n’est pas définie : la ligne de karman à 100km n’a jamais été introduite dans un traité, tout simplement parce que les Etats n’ont pas voulu se fixer de limite (certains Etats l’ont néanmoins introduite dans leur droit national).

Ca pose un problème de frontière avec l’espace aérien, puisque de l’autre côté vous avez l’article 1 de la Convention de Chicago de 1947 relative à l’aviation civile internationale qui vient vous expliquer que l’Etat sous-jacent est souverain sur l’espace aérien :hap:. Par conséquent c’est toujours difficile de déterminer si telle activité est spatiale ou aérienne. Par exemple, en pratique, les vols suborbitaux sont à la frontière entre les deux : c’est d’ailleurs le sujet du student aerospace challenge auquel je participe cette année :hap:

L’accord sur la Lune reprend ce principe mais son article 11 prévoit que « la Lune et ses ressources naturelles constituent le patrimoine commun de l’Humanité ». C’était prévu dans le traité que les Etats s’engageaient par la suite à établir un régime international pour cette notion de « patrimoine commun de l’Humanité ». Comme je vous l’ai dit, très peu d’Etats l’ont ratifié parce que c’était vraiment trop contraignant. Du coup on se retrouve avec deux régimes juridiques :

-L’espace circumterrestre n’appartient réellement à personne, pour tout le monde, exactement comme la haute mer (comme défini dans la convention de Montego Bay de 1982). Il en va de même pour la Lune et les autres corps célestes pour ceux qui n’ont pas signé l’accord de 1979

-La lune et les autres corps célestes appartiennent à l’Humanité toute entière pour ceux qui ont signé l’accord de 1979, exactement comme le fond des océans (les abysses) : toujours Montego Bay 1982

Le problème c’est que les Etats Unis et le Luxembourg ont en quelque sorte violé le traité de 1967 avec leurs nouvelles lois nationales permettant d’accorder des licences pour exploiter et commercialiser les ressources des corps célestes. En sachant que les Emirats arabes Unis se sont pas gênés pour faire de même début 2020.
Leur justification tient en une certaine interprétation du traité de 1967 : Pour les USA l’article 2 vise l’espace extra atmosphérique, la Lune, les autres corps célestes, mais il ne vise à aucun moment leurs ressources https://image.noelshack.com/fichiers/2020/23/2/1591098807-ahi-gauche.png
Les deux interprétations du texte s’opposent puisqu’en droit international un Etat ne peut imposer son interprétation d’un texte.

Ce qu’il faut retenir c’est qu’aujourd’hui on est véritablement dans la course à l’exploitation des ressources, c’est plus possible de revenir en arrière, d’autant plus que les Etats unis ont enfoncé le clou avec les accords artemis sur les lesquels je reviendrai plus tard :oui:

Ce sont 2 conceptions qui s’opposent en réalité. Quand les états ont rédigé les traités dans les années 60, ils avaient l’idée, assez utopique, de ne pas reproduire dans l’espace ce que l’on a fait sur terre. Aujourd’hui c’est tout le contraire qui se passe.

Il faut néanmoins garder à l’esprit que le but n’est absolument pas aujourd’hui d’aller chercher des ressources dans l’espace pour les ramener sur terre (trop cher), mais de les utiliser pour créer des carburants/des habitats sur la Lune par exemple.

Mon avis personnel c’est que c’est un faux problème tant que l’exploitation des ressources se fait à but scientifique/d’exploration spatiale. C’est une des options pour le voyage vers mars par exemple : construire une base de lancement sur la lune et aller vers mars en faisant des sauts de puce.
Si cette exploitation se fait à but exclusivement commercial par contre, c’est différent. Mais dans tous les cas le débat à l’ONU est bloqué par les Etats unis. Et puis le Royaume-Uni, le Canada, le Luxembourg, les Pays-bas, les Emirats arabes Unis, l’Italie, etc… sont du côté des USA.

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-L’utilisation pacifique de l’espace (article 4 traité de l’espace) : d’abord il faut comprendre qu’il y a un très fort entremêlement des technologies spatiales et militaires, et aucun Etat ne peut jouer un rôle politique et militaire s’il ne dispose pas de ses propres capacités spatiales, d’un accès indépendant et libre à l’espace, et d’un réseau d’informations complet et aisément accessible. Les satellites permettent de voir, entendre et communiquer avec n’importe quel autre endroit du globe et c’est indispensable pour une armée aujourd’hui. En outre, les programmes militaires soutiennent l’industrie spatiale et sont source de revenus pour développer des offres commerciales compétitives : c’est le cas des Etats Unis avec la NASA et SpaceX, et de l’Europe avec Ariane.

Il faut savoir aussi qu’on distingue l’arsenalisation (le fait de placer des armes dans l’espace) et la militarisation (l’utilisation militaire de l’espace).

En 1958, l’Assemblée Générale des Nations-Unies avait pris une résolution à ce sujet en déclarant « l’AG, reconnaissant que l’espace extra atmosphérique intéresse l’humanité toute entière et que l’objectif commun est de le voir utilisé à des fins exclusivement pacifiques »

Un an après en 1959, l’AGNU déclarait : « l’Assemblée générale, reconnaissant qu’il est de l’intérêt commun de l’humanité toute entière de favoriser l’utilisation de l’espace extra atmosphérique à des fins pacifiques ».

Tout de suite, ça tient plus le même discours, ça joue sur les mots :noel:

L’article 4 alinéa 1 du traité de l’espace quant à lui prévoit que « Les États parties au Traité s’engagent à ne mettre sur orbite autour de la Terre aucun objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive, à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles armes, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique. »
C’est la reconnaissance d’un principe de non arsenalisation partielle : Aucune arme de destruction massive ne peut être placée en orbite autour de la Terre (nucléaire, bactériologique, chimique).

Mais du coup, on n’interdit à aucun moment de se servir de l’espace extra atmosphérique comme simple lieu de transit d’une arme de destruction massive. On n’interdit pas non plus de placer autre chose qu’une arme de destruction massive en orbite (des missiles anti-satellites, des armes conventionnelles, des satellites anti-satellites – qui ont d’ailleurs été développés très tôt pendant la guerre Froide, etc…).
La militarisation passive de l’espace (c’est-à-dire les capacités de support d’activités militaires sur Terre) ne pose elle aucun problème. Un Etat peut placer des satellites de communications militaires sans soucis.

L’alinéa 2 de l’article 4 dispose en revanche que l’utilisation de la lune et des autres corps célestes doit se faire à des fins exclusivement pacifiques : on interdit purement et simplement leur arsenalisation, et les activités militaires sur place. On autorise à la limite l’utilisation du personnel militaire à des fins de recherche scientifique ou pour toute autre utilisation pacifique. Ca aurait complexifié le programme Apollo des américains sinon :noel:

Il y a quelques initiatives en cours concernant des traités sur la prévention des déploiements d’armes dans l’espace, le recours à la force, ; le brouillage volontaire de satellites, etc… Mais c’est compliqué juridiquement, techniquement (comment savoir ce qu’il se passe réellement dans l’espace) et politiquement (blocages des USA).

Le 07 décembre 2020 à 17:03:46 Brumiaire a écrit :
Je up ce topic de qualité :ok:

Cimer quille :ok:

je continue d'écrire, je suis loin d'en avoir fini, promis je posterai des longs paragraphes comme ça, pour éviter que ça fasse trop "kit"

pavé gpalu mais je me souviens de toi sur le topic culture donc up

Le 07 décembre 2020 à 17:29:25 leguerrier55 a écrit :
pavé gpalu mais je me souviens de toi sur le topic culture donc up

mercient pour le upent nonobstant

La liberté de l’espace (article 1 traité de l’espace) : « L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, peut être exploré et utilisé librement par tous les États sans aucune discrimination, dans des conditions d’égalité et conformément au droit international, toutes les régions des corps célestes devant être librement accessibles. »

Cette liberté concerne à la fois les Etats (liberté directe), et les organisations internationales (l’Agence Spatiale Européenne par exemple) à travers la liberté de leurs Etats membres (article 13)

Comme vous l’avez sûrement remarqué, l’article 1 dispose également que la liberté de l’espace doit être mise en œuvre dans l’intérêt commun, mais bon, ça a été un peu zappé depuis :rire:
Cette liberté de l’espace recouvre 4 libertés en réalité :
-La liberté d’exploration
-La liberté d’utilisation commerciale
-La liberté d’accès aux corps célestes
-La liberté de recherche scientifique

Vous l'aurez sûrement remarqué, mais cette liberté est balancée par le principe de non-appropriation de l'espace : c'est un vrai jeu d'équilibre.
Niveau actualité on peut prendre le programme Starlink d'Elon Musk par exemple : avec les grappes de satellites qui font chier les astronomes amateurs et professionnels. C'est en quelque sorte le clash entre la liberté d'utilisation commerciale de l'espace et la liberté d'exploration (qui contient l'observation de l'espace) https://image.noelshack.com/fichiers/2018/37/6/1537043438-elon-weed-stick-2.png

Ca pose également un débat intéressant sur l'appropriation de l'espace extra-atmosphérique par voie d'occupation, si le nombre de satellites Starlink atteignait un niveau ahurissant au point de monopoliser l'orbite basse par exemple (on n'en est pas encore là, rassurez vous)
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La protection des astronautes (article 5 traité de l’espace et accord sur les astronautes de 1968) : « Les États parties au Traité considéreront les astronautes comme des envoyés de l’humanité dans l’espace extra-atmosphérique et leur prêteront toute l’assistance possible en cas d’accident, de détresse ou d’atterrissage forcé sur le territoire d’un autre État partie au Traité ou d’amerrissage en haute mer. En cas d’un tel atterrissage ou amerrissage, le retour des astronautes à l’État d’immatriculation de leur véhicule spatial devra être effectué promptement et en toute sécurité. »

C’est un principe fondamental qui impose la protection des astronautes en situation de détresse. Ces derniers ont d’ailleurs le statut particulier « d’envoyés de l’humanité dans l’espace » qui fait un peu penser aux ambassadeurs qui bénéficient d’un régime de protection quelle que soit leur nationalité.

Les Etats ont l’obligation de remettre le plus rapidement possible l’astronaute à l’autorité de lancement s’il a été récupéré dans un pays étranger, c’est une règle 100% héritée de la guerre froide.

Le problème de ce régime est qu’il date des années 60, et aujourd’hui la définition de l’astronaute a bien changé :noel: On considère toujours en droit international qu’un « astronaute » est « toute personne qui va dans l’espace »
Par exemple, Guy Laliberté qui a été un des premiers touristes spatiaux à bord de l’ISS en 2009 était considéré comme Astronaute. Si à son retour sa capsule Soyouz avait atterrie en France, alors la France aurait eu pour obligation de le renvoyer à l’autorité de lancement, en l’occurrence la Russie.

Avec l’essor des vols suborbitaux, du tourisme spatial, etc… la question de la reformulation du statut d’astronaute se pose de plus en plus. Aux états Unis par exemple, ces touristes sont qualifiés de « Space flight participants », même s’ils conservent leur statut d’astronaute au sens du droit international.

On s'installe pour se cultiver afin de zemmouriser l'espace après en avoir fini avec la zemmourisation des esprits https://image.noelshack.com/fichiers/2019/23/4/1559841626-picsart-06-06-07-18-33.jpg

Le 07 décembre 2020 à 17:08:13 ghostkinder3 a écrit :

Le 07 décembre 2020 à 17:03:46 Brumiaire a écrit :
Je up ce topic de qualité :ok:

Cimer quille :ok:

je continue d'écrire, je suis loin d'en avoir fini, promis je posterai des longs paragraphes comme ça, pour éviter que ça fasse trop "kit"

Okok je me demandais si t'allais développer ou pas mais du coup j'ai ma réponse je fous le topic en fav :oui:
Pour une fois qu'on sort des topics Tinder :cimer:

J'ai eu une conférence sur le droit de l'espace à la fac de droit de Rennes 1 avec des profs de Saclay l'année dernière c'était très intéressant

:globe: Juridiction, contrôle, responsabilité :globe: : Alors là on attaque un très gros morceau

L’espace extra atmosphérique n’appartient à personne comme on l’a vu précédemment. C’est une zone internationale. Néanmoins il faut déterminer l’Etat qui exerce sa juridiction sur toute activité pour des questions de contrôle et de responsabilité.

L’article 8 du traité de l’espace prévoit que l’Etat d’immatriculation d’un objet spatial conserve sous sa juridiction et son contrôle l’objet lancé dans l’espace ou sur un corps céleste et le personnel se trouvant à bord. Cet Etat a par ailleurs une OBLIGATION de contrôle. Encore faut-il savoir ce qu’est l’immatriculation, j’y reviendrai :ok:

Concernant le contrôle des activités spatiales, il faut en premier lieu déterminer l’autorité responsable au plan interne. En France, c’est l’agence spatiale (le CNES-Centre national des études spatiales), même chose pour la Russie, où ROSCOSMOS s’en charge.
En revanche il y a d’autres pays pour lesquels c’est un ministère qui s’en charge (souvent le ministère des transports d’ailleurs). C’est le cas pour l’Australie et les Etats Unis ( c’est le DOT-Department of transportation qui s’en charge via une branche de la FAA- Federal aviation administration).

Cette autorité de contrôle a plusieurs missions :

-Contrôler la sureté des vols (vérifier qu’il n’y a pas de risques pour les personnes, les biens, l’environnement). Ce qui pose problème notamment pour les cubesats qui ne sont généralement pas manœuvrables, c’est con :noel: du coup l’Etat immatricule des satellites qu’il ne peut pas contrôler.
-Inspections sur site
-Directives relatives aux vols (où et quand on lance, qu’est-ce qu’on lance, les trajectoires et orbites à utiliser, etc…)
-Interdire ou suspendre les vols en cas de danger (comme pour l’aviation civile), voire détruire le lanceur avant qu’il ne s’écrase
-notifier les accidents, et enquêter après les accidents.

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Au niveau de la responsabilité : l’article 6 du traité de l’espace prévoit que les Etats ont la responsabilité internationale des activités nationales dans l’espace, qu’elles soient entreprises par des organismes publics ou privés, et de veiller à ce que les activités nationales soient poursuivies conformément aux dispositions du traité.

C’est littéralement unique en droit international : L’Etat engage sa responsabilité internationale même si c’est une entreprise qui viole le droit de l’espace. En réalité cette règle vient d’un compromis lors de la négociation du traité de l’espace : les USA étaient pro-privatisation, et l’URSS contre toute forme de privatisation. L’URSS a fini par accepter la privatisation à condition que l’Etat soit internationalement responsable du fait des entreprises privées. :oui:

Par conséquent les Etats ont établi un cadre administratif pour les activités des entités non gouvernementales dans l’espace via un système de surveillance et d’autorisation nationale. Aux Etats Unis et en France c’est l’autorité administrative qui s’en charge en consultation technique avec l’agence spatiale. Aux Etats unis c’est le ministère des transports qui collabore avec le secretary of defense (pour le militaire) et la NASA (pour le civil)

En Russie c’est l’agence spatiale directement qui est délivre les autorisations (ROSCOSMOS). Ce qui n’a d’ailleurs aucun sens puisque c’est un peu elle qui donne les autorisations à ses concurrents du coup :noel:

Ces autorisations sont requises pour tout lancement, exploitation d’un site de lancement, retour, exploitation d’un site de retour depuis l’Etat par toute personne ou à l’étranger par une personne de la nationalité de l’Etat.

A cela il faut ajouter des spécificités nationales :

-La loi française impose une autorisation pour toute opération en orbite (y compris les satellites)
-Les lois américaine, britannique et Australienne imposent la délivrance d’une autorisation pour toute opération concernant les vols suborbitaux (La loi Française est vraiment en retard à ce sujet)
-Les lois américaine et Luxembourgeoise (+ Emirats arabes unis désormais) imposent également la délivrance d’une autorisation pour l’exploitation des ressources célestes : les fameuses licences qui font débat dont je vous parlais précédemment.

En gros, en France, il vous faudra une autorisation pour :

-Lancement depuis la France ou en utilisant des installations sous juridiction française
-Retour en France ou retour en utilisant des installations sous juridiction française
-Lancement et retour à l’étranger par des personnes françaises
-Opération en orbite par une personne française (manœuvre de rendez-vous par exemple)
-Transfert à un tiers du contrôle d’un objet spatial autorisé (si vous voulez vendre votre satellite déjà en orbite par exemple)
-Transfert à une personne française du contrôle d’un satellite non autorisé par la France (mais par un pays étranger).

Une boite américaine (prenons l’exemple de SpaceX) qui voudrait miner un astéroïde devra donc demander l’autorisation au ministère du transport en coordination avec la NASA pour lancer sa falcon 9 depuis le sol américain + une autorisation pour miner l’astéroïde + une autorisation pour revenir avec sur le territoire américaine avec ce qui a été miné :oui:

En sachant que l’autorité administrative peut bien évidemment suspendre ou révoquer l’autorisation qu’elle a donnée quand les activités menacent la sécurité nationale, l’environnement, la sécurité des personnes, voire le respect des obligations internationales de l’Etat (si par exemple une entreprise avait pour objectif de faire exploser un missile sur la Lune).

Imaginons qu’une opération spatiale vous cause un dommage, que se passe-t-il ? On va voir comment s’exerce réellement la responsabilité maintenant :

L’article 7 du traité de l’espace précisé par la convention sur la responsabilité de 1972 prévoit que l’Etat de lancement est responsable du point de vue international des dommages causés à un autre Etat par les objets qu’il a lancés dans l’espace extra atmosphérique, et ce même si cet objet a été lancé par une entreprise privée, comme on l’a vu juste avant !

La convention sur la responsabilité étend le principe à tout dommage causé aux personnes ou au biens d’Etats, de personnes physiques (vous et moi) ou morales (les entreprises, associations…) ou d’organisations internationales.

En revanche elle ne s’applique pas aux dommages causés aux ressortissants de l’Etat de lancement : si une fusée Ariane explose au-dessus de chez vous, si un satellite français rentre dans l’atmosphère et s’écrase sur votre maison, alors ce sera de la responsabilité civile délictuelle classique :noel: C’est tout à fait normal qu’elle ne s’applique pas : c’est du droit internationale, l’ONU n’a absolument pas vocation à gérer les règles de droit internes.

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Hormis cette exception, voici les règles :
-IL FAUT QUE LE DOMMAGE RESULTE D’UN CONTACT PHYSIQUE : la convention couvre les dommages catastrophiques :d) il faut un impact, une collision, un crash. Par conséquent on ne peut pas engager la responsabilité d’un Etat à cause d’un dommage causé par le signal ou par un service spatial.
Ex : Si un satellite de télécommunications brouille les communications d’un autre satellite (dommage par le signal) : alors vous ne pouvez pas engager la responsabilité de l’Etat de lancement du satellite brouilleur
Ex : Si un satellite de télévision diffuse dans un Etat un contenu audiovisuel contraire à l’ordre public (dommage par le service), même chose, vous ne pouvez pas engager la responsabilité de l’Etat de lancement. Cet exemple est réellement arrivé dans une affaire célèbre des années 90, où il y avait eu inversion dans les signaux entre un programme pour la jeunesse dans les pays du Golfe, et un programme porno de canal+ dans les Antilles https://image.noelshack.com/fichiers/2017/20/1494968374-pas-de-chance.png

-IL FAUT QUE LE DOMMAGE SOIT OCCASIONE PAR UN OBJET SPATIAL.
L’objet spatial désigne l’objet spatial en lui-même, son lanceur, les éléments de ce dernier, ainsi que les débris en cas de destruction du satellite.

-IL FAUT UNE FAUTE DE L’ETAT DE LANCEMENT SI LE DOMMAGE A LIEU DANS L’ESPACE
C’est très difficile de prouver une faute dans l’espace : difficile de déterminer qui est à l’origine de l’action, et puis il n’y a pas de règles claires en matière de trafic spatial.
Si votre satellite est détruit à cause d’une collision avec un météorite par exemple, et qu’un de ses débris vient détruire le panneau solaire d’un satellite d’un autre Etat, il y a peu de chance pour qu’on puisse invoquer la responsabilité de l’Etat de lancement du premier satellite.

En revanche, l’Inde https://image.noelshack.com/fichiers/2017/11/1489615231-jesus-indien.png a par exemple détruit un satellite en 2019 grâce à un missile anti-satellite (La Chine l’a également fait en 2007, ce qui a d’ailleurs occasionné le plus gros nuage de débris de l’histoire de la conquête spatiale, les Etats Unis également en 2008). Si un débris de ce satellite venait détruire un autre satellite, alors il y a de fortes chances pour que la responsabilité de l’Inde soit mise en cause https://image.noelshack.com/fichiers/2017/20/1494968374-pas-de-chance.png

En cas de collision entre deux satellites de 2 Etats différents, pour déterminer s’il y a eu faute on regarde surtout la manœuvrabilité de l’objet spatial. Théoriquement si le satellite qui a percuté un autre satellite était manœuvrable et que l’impact était par conséquent évitable, alors on pourra sûrement qualifier la faute.

-PAS BESOIN DE FAUTE SI LE DOMMAGE A LIEU SUR TERRE OU SI CA IMPACTE UN AERONEF EN VOL
Et oui, si un débris de satellite étranger vient s’écraser contre le toit de votre maison ou contre un avion en vol occasionnant son crash avec ses passagers à bord, la responsabilité de l’Etat de lancement sera engagée, que ce dernier ait commis une faute, ou pas.

Une exception à ça : en cas de faute de la victime. Par exemple si vous mourrez parce que vous êtes entrés dans l’espace de sécurité à Kourou au moment du décollage d’Ariane 5. C’est un cas vraiment extrême, mais vous aurez au moins votre Darwin Awards

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Depuis toute à l’heure je vous parle de la notion d’Etat de lancement, voici exactement ce que ça veut dire, l’Etat de lancement est :
-l’Etat qui procède au lancement (qui fournit le service de lancement, donc qui exploite le lanceur en gros)
-l’Etat qui fait procéder au lancement (qui paie le service de lancement)
-l’Etat dont le territoire sert au lancement
-l’Etat dont les installations servent au lancement

Vous l’aurez remarqué, il se peut que plusieurs Etats soient Etats de lancement pour un même objet spatial.
Imaginons que le lanceur Ariane place sur orbite Thaicom 4 (satellite Chinois) depuis le centre spatial Guyanais.
-Ariane est le lanceur d’ArianeEspace = la France procède au lancement
-La chine fait procéder au lancement
-La Guyane est un territoire appartenant à la France
-Et le centre spatial Guyanais est cogéré par la France et l’Agence spatiale européenne mais un accord entre les deux prévoit que la France est responsable https://image.noelshack.com/fichiers/2017/20/1494968374-pas-de-chance.png
Ca nous fait 2 Etats de lancement.

De même, côté russe : Baïkonour est exploité par la Russie. En cas de lancement, la Russie est Etat de lancement car ce sont ses installations, mais le Kazakhstan également puisque c’est son territoire.

En cas de dommage à un tiers, les Etats de lancement sont solidairement responsables (article 5 convention sur la responsabilité). Par conséquent la victime choisit contre quel Etat elle veut agir pour obtenir réparation :noel:

Si je fais ça c’est uniquement pour casser la boucle sur ce forum qui est en train de me rendre dingue

bordel khey tu m'enlèves les mots de la bouche, merci

très intéressant par ailleurs je te up même si j'ai pas fini de lire ce pavé made in bouquin universitaires

Le 07 décembre 2020 à 21:34:40 ChatMystique a écrit :

Si je fais ça c’est uniquement pour casser la boucle sur ce forum qui est en train de me rendre dingue

bordel khey tu m'enlèves les mots de la bouche, merci

très intéressant par ailleurs je te up même si j'ai pas fini de lire ce pavé made in bouquin universitaires

Merci beaucoup khey, ça me fait chaud au coeur de voir que je suis pas le seul à être triste que le forum soit juste devenu une compilation de ce qui se fait de pire en terme de sujets :oui:

Si jamais y'a un crime dans l'espace (par exemple dans la station internationale) comment ça se passe ?
En tout cas c'est super intéressant
Salut khey, je suis en m1 droit pénal et ce master m'intéresse :hap:
Tu penses que j'ai mes chances si je viens d'une grande université de Paris, mais que j'ai validé vers 10? :(

Le 07 décembre 2020 à 21:45:33 dakko41 a écrit :
Salut khey, je suis en m1 droit pénal et ce master m'intéresse :hap:
Tu penses que j'ai mes chances si je viens d'une grande université de Paris, mais que j'ai validé vers 10? :(

je te dirais de profiter de la niche tant qu'il en est encore temps, les esclaves de ddaff crachaient sur les masters droits et libertés du numériques jusqu'à aujourd'hui où on se rend compte qu'enfait le potentiel monstre que l'on vendait n'était pas du bluff

Le 07 décembre 2020 à 21:49:10 ChatMystique a écrit :

Le 07 décembre 2020 à 21:45:33 dakko41 a écrit :
Salut khey, je suis en m1 droit pénal et ce master m'intéresse :hap:
Tu penses que j'ai mes chances si je viens d'une grande université de Paris, mais que j'ai validé vers 10? :(

je te dirais de profiter de la niche tant qu'il en est encore temps, les esclaves de ddaff crachaient sur les masters droits et libertés du numériques jusqu'à aujourd'hui où on se rend compte qu'enfait le potentiel monstre que l'on vendait n'était pas du bluff

Effectivement, mais là il dit déjà que c'est très sélectif donc bon :hap:

Le 07 décembre 2020 à 21:42:33 tyran2forum a écrit :
Si jamais y'a un crime dans l'espace (par exemple dans la station internationale) comment ça se passe ?
En tout cas c'est super intéressant

Alors, si tu m'avais dit posé la question dans un objet spatial classique (par exemple si Armstrong avait tué Aldrin dans le véhicule Apollo) alors la question aurait été très facile à régler : la loi américaine s'applique. En effet le véhicule Apollo est lancé par les Etats Unis, sur le territoire américain, avec les installations de la NASA. Les Etats Unis sont donc l'Etat de lancement, donc l'Etat d'immatriculation de l'objet spatial. Ils ont donc le contrôle et la juridiction sur cet objet et sur le personnel à son bord (traité de l'espace de 1967, article 8).

Par conséquent Neil Armstrong aurait été jugé aux Etats Unis pour son crime :ok:

A bord de la station spatiale internationale, c'est plus compliqué car cette dernière est faite de plusieurs modules appartenant à des Etats différents. Il y a 15 Etats partenaires en tout : Les USA, la Russie, le Canada, le Japon et certains pays membres de l'Agence spatiale européenne (France, Allemagne, Italie, R-U...)

Par conséquent, chaque Etat est Etat de lancement de son module, et par conséquent Etat d'immatriculation de son module. Si Thomas Pesquet entre dans le laboratoire Kibo Japonais, alors il est soumis à la loi Japonaise. S'il rentre dans lab américain, il est soumis à la loi Américaine.

Sauf qu'il y a une particularité en matière pénale. Les Etats Unis étaient pas chauds lors des négociations pour l'ISS pour que des astronautes américains puissent être jugés par des russes ou des japonais en cas de crime dans les modules correspondants. Ainsi en matière pénale, c'est exceptionnellement la loi de la nationalité de l'astronaute qui s'applique. C'est une règle fixée dans L'intergovernmental accord de 1998 relatif à l'ISS.

Par conséquent si un astronaute américain tue son collègue japonais dans le module russe, il sera jugé à son retour aux USA :ok:

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