Je me suis fait chier à te répondre l'op j'espère que tu vas tout lire :
Les chasseurs-cueilleurs, nos ancêtres originels (99% de l'histoire humaine), étaient profondément enracinés dans un monde où la séparation entre l’individu et l’univers n’existait pas de la même manière qu’elle le fait aujourd’hui. Leur connexion au "Tout" - ce grand ensemble auquel de nombreuses traditions spirituelles tentent de se reconnecter aujourd’hui - n’était pas un concept abstrait ou une idée mystique à atteindre, mais une réalité vécue au quotidien. Cette vision du monde, souvent qualifiée d’animisme, repose sur l’idée que tout ce qui existe est imprégné d’esprit, que chaque élément de la nature, chaque animal, plante, rivière, ou montagne, fait partie intégrante d’un grand tissu sacré dont l’humain lui-même n’est qu’un fil parmi d’autres.
Pour les chasseurs-cueilleurs, cette connexion au "Tout" n’était pas intellectualisée ou codifiée comme elle peut l’être dans les religions modernes. Il n’y avait pas de séparation entre le spirituel et le matériel, entre l’homme et la nature. Ils vivaient dans un état de symbiose avec leur environnement, où chaque interaction - que ce soit la chasse, la cueillette, ou les rituels - était empreinte d’un sens spirituel profond. Le monde naturel n’était pas vu comme un ensemble de ressources à exploiter, mais comme une entité vivante et consciente avec laquelle ils entraient en dialogue. Dans leur cosmologie, l’être humain n'était pas au sommet d'une hiérarchie, mais une partie égale d'un grand tout.
Puis, vient l’agriculture, la révolution néolithique, la fin du mode de vie chasse-cueillette, la "civilisation", et le grand bouleversement de l’âme humaine. À partir de là, nous avons Adam et Eve ; Caïn et Abel. Cette ancienne histoire est à mon sens une métaphore pour la transition néolithique. Ce n’est pas juste une petite fable sur un serpent malin et une pomme croquée. Non, c’est bien plus profond que cela : c'est une métaphore puissante de la transition brutale de l'humanité, qui passe de la vie simple et en harmonie avec la nature - celle des chasseurs-cueilleurs - à l’agriculture, cette invention qui a changé à jamais la face du monde.
Avant la chute, que faisaient Adam et Ève dans ce jardin d’Éden ? Ils vivaient dans l’abondance, cueillant librement des fruits. Ils n’avaient pas à travailler la terre, à semer ou à récolter. C'était le monde des chasseurs-cueilleurs dans sa perfection : un rapport immédiat et direct à la nature, où la survie n'était pas synonyme de labeur épuisant. Ce jardin, c'est un écho de l’époque pré-néolithique, où l’homme vivait en communion avec son environnement, où la notion même de propriété, de pénibilité du travail, n’avait aucun sens.
Puis vient la fameuse chute. Manger le fruit défendu, c’est accepter la connaissance - mais surtout l’angoisse - d’un nouveau mode de vie. Quand Dieu annonce à Adam qu'il devra désormais "gagner son pain à la sueur de son front", ce n’est rien d'autre que l’annonce de l’agriculture. Fini de se promener dans les bois à cueillir ce que la nature offre spontanément. À partir de maintenant, l’humanité doit travailler la terre, dompter la nature pour survivre. C'est le début de la sédentarisation, de l'agriculture, mais aussi de la souffrance, de la hiérarchie, des classes sociales, et de l’épuisement.
Et que dire d'Ève ? Sa peine sera celle de l’enfantement dans la douleur, une métaphore là encore du fardeau social qui pèse sur les femmes dans les sociétés agricoles. Dans ces sociétés, les femmes, autrefois plus autonomes dans les tribus nomades, sont souvent réduites à des rôles strictement reproductifs, confinées dans des structures patriarcales bien plus rigides.
Tout comme l’histoire de Caïn et Abel symbolise le triomphe des sédentaires-agriculteurs (Caïn) sur les chasseurs-cueilleurs (Abel), Adam et Ève symbolisent la chute de l’humanité dans ce nouveau monde de travail, de contrôle et de propriété. Leur expulsion du jardin, c’est l’humanité qui se déchire de son lien sacré avec la nature pour plonger dans un monde où elle doit lutter pour subsister. C'est une métaphore puissante pour illustrer la transition vers un monde où l'homme n'est plus partie prenante de la nature, mais la domine et l'exploite.
Avant que nous plongions dans la suite de cette réflexion, il est essentiel de rappeler que la dissolution de l’ego, cette quête spirituelle universelle pour se reconnecter au "Tout", pourrait bien être le symptôme d’un malaise plus profond, une rupture que nous portons en nous depuis des millénaires.
Cette quête n’est pas nouvelle. Elle émerge dans des cultures diverses, des yogis indiens aux mystiques soufis, chacun utilisant des chemins différents pour atteindre cette unification spirituelle, cette dissolution de soi dans une entité plus vaste. Mais pourquoi cette recherche de la dissolution de l’ego semble-t-elle aussi universelle et persistante ?
Depuis la fracture engendrée par l'agriculture et le néolithique, l’humanité n’a cessé de chercher des moyens de se reconnecter à ce "Tout" perdu, de guérir cette blessure spirituelle. Le désir de dissolution de l’ego, que l’on retrouve dans tant de traditions spirituelles, pourrait bien être une réponse à cette rupture originelle. Ce n’est pas seulement une quête mystique abstraite ; c’est une tentative de retrouver une harmonie ancienne, une unité perdue avec la nature et avec soi-même. Avant la chute, avant la sédentarisation, l’homme n’avait pas besoin de se dissoudre dans le "Tout", parce qu’il était déjà connecté à lui.
Les pratiques spirituelles qui visent à l’éveil, comme le Yoga avec ses chakras, ou les méditations soufies et kabbalistiques, peuvent être vues comme autant de tentatives de retrouver cette unité originelle. Cependant, chacune de ces pratiques, bien qu'efficace à sa manière, reste une réponse à une condition humaine dégradée par des millénaires de civilisation. Le besoin de se dissoudre dans une unité spirituelle plus grande pourrait être le signe que nous cherchons à recréer une expérience de communion totale que nous avons perdue à la suite de la sédentarisation.
En conclusion :
Les chasseurs-cueilleurs n’avaient pas besoin des pratiques spirituelles de "dissolution de l’ego" ou de méditation visant à reconnecter l’individu avec un grand tout, car leur mode de vie était, par sa nature même, en symbiose directe et constante avec ce tout. Leur existence était fondée sur une relation intime avec la nature, où la séparation entre l’individu et l’univers n’avait pas encore émergé comme un problème à résoudre.
Pour eux, la notion même d’ego - cette conscience exacerbée de soi en tant qu’entité isolée du reste du monde - n'était pas prédominante. Ils n'avaient pas développé cette distinction marquée entre l'individu et la nature qui est apparue bien plus tard, avec la sédentarisation et l’agriculture. Leurs croyances animistes plaçaient chaque être humain au sein d’un vaste réseau d'interdépendances spirituelles et matérielles : ils n'étaient pas "au-dessus" de la nature, mais une partie intégrante de celle-ci.
