[récit d'un ambulancier privé]
"Retournez en Chine !" [début du 1er confinement /mars 2020]
En préambule de ce récit quelques précisions.
Durant le confinement toutes les hospitalisations de jour se sont arrêtées : les rééducations orthopédiques suite à des accidents, les réadaptations cardiaques suite à de lourdes opérations, les prises en charge neurologiques suite à des AVC, les séances de kinésithérapie, orthophonie... Etc.. Etc...
Tout est reporté, annulé.
Y compris ce qui concerne la psychiatrie.
Nous emmenons d'habitude de nombreux patients plusieurs fois par semaine dans des structures adaptées, cliniques et autres, où les gens viennent se reconstruire et essayer de supporter leur mal-être. Patients au mieux dépressifs, au pire carrément suicidaires, ils suivent des protocoles de soins cadrés : de l'atelier coloriage à la balnéothérapie, les solutions sont nombreuses pour soulager leurs maladies ou leurs psychoses.
Une semaine après le début du confinement, on en parle déjà entre collègues ; comment va faire Mme X ou Mr Y pour supporter cette épreuve imprévue et Ô combien pertubante.
Ce jour-là le motif d'appel du SAMU est surréaliste et nous fait même sourire :
"Homme de 40 ans, ne supporte pas le confinement. Se promène nu chez lui, ouvre toutes les fenêtres, veut donner des pastilles de Javel à ses animaux domestiques pour les désinfecter".
Nous voilà partis dans un petit village pas très loin de notre base.
On arrive vite sur place et le compagnon de l'homme en question vient immédiatement à notre rencontre. Il nous previent : son (petit) ami ne voudra jamais venir et ne sait même pas qu'on arrive. Il risque de se montrer agressif et fort désagréable.
À peine sortis de l'ambulance que le patient vient à notre rencontre, vociferant contre nous, les "pu***** d'ambulanciers privés".
On a aucun droit de rentrer chez lui, encore moins de l'emmener de force (sic).
On est vite fort dépourvu ; l'homme est du genre balèze et très agité, impossible de parlementer ou de l'approcher.
Et là, scène surréaliste. Il jette une paire de baskets sur la route en leurs criant : "Retournez en Chine !!"
(Sûrement une paire de Nike contrefaites ^^, mais rappelons-nous du contexte, on ne parle alors que du foyer supposé de l'épidémie, le marché de Wuhan, en Chine justement...).
On ne l'approchera pas plus et finalement, rebondissement. Suite à un petit couac au niveau de la régulation du SAMU, une autre ambulance privée arrive sur place (d'une autre société), et comme le hasard fait bien les choses, 2 gendarmes en Clio passent au même moment devant la maison, et s'arrêtent devant tant d'agitation en cette période de confinement.
Je rappelle donc le SAMU pour éclaircir la situation, et nous sommes finalement désengagés de la mission. Une personne âgée a chuté, on a besoin de nous ailleurs rapidement.
On laisse donc nos valeureux collègues se démerder (:-d) avec cette situation, et du coup je ne pourrais pas vous raconter la fin de l'histoire, désolé ^^.
Combien de personnes en souffrance ont été déboussolées, terrorisées, complétement anéanties par ce confinement si brutal et imprévisible, on ne le saura jamais vraiment, mais les dégâts sur les populations les plus fragiles se ressentiront pendant longtemps.
"Le SMUR est à 60 kilomètres"
On partait ce jour-là à bord de notre belle ambulance sur une mission SAMU assez classique.
Un homme d'une cinquantaine d'années présente des douleurs abdominales. On en sait pas plus mais l'intervention se déroule dans un foyer de vie pour adultes handicapés. Le lieu est médicalisé donc il y aura du personnel, infirmier(ère) et peut-être même médecin.
Notre rôle dans ces situations est souvent assez limité, on doit forcément rappeler le SAMU et leur transmettre un bilan, mais généralement c'est assez rapide.
On arrive sur place quinze minutes après l'appel et on se dirige sereinement vers le lieu indiqué, ma collègue prend le brancard et le matériel de bilan.
Le personnel au rez-de-chaussée nous indique l'ascenseur, personne n'a l'air paniqué ou inquiet et on arrive donc devant la chambre du patient.
"Bonjour !!" lance-t-on jovialement, on est là pour Mr X.
Et là, stupéfaction ! Deux jeunes infirmières sont en train de procéder à une réanimation cardio-pulmonaire en bonne et due forme !
L' une est en train de prodiguer un massage cardiaque à cheval sur le pauvre homme pendant que l'autre le ventile manuellement.
Plan dur et défibrillateur semi-automatique en place, oxygène et perfusions, tout est déjà là !
Première question : "Depuis combien de temps est-il en arrêt ??"
"Depuis quelques minutes à peine !! Il avait très mal dans l'abdomen, et d'un coup malaise et arrêt !!"
Deuxième question : "Vous avez rappelé le SAMU ?"
"Pas vraiment eu le temps^^" (ce qui est aisément compréhensible)
Troisième question : "Vous avez un médecin dans le service ?"
"Non pas de doc aujourd'hui..."
Je décroche immédiatement mon téléphone pour rappeler la régulation : "Ambulance sur place, patient en arrêt, réa en cours."
Réponse rapide : "Merde, le SMUR de votre secteur est déjà engagé ailleurs."
Il n'y a qu'une seule équipe de SMUR en véhicule léger dans ce coin, et quelques casernes de pompiers. L' assistant de régulation médicale cherche donc qui il pourrait bien nous envoyer.
(Pour gèrer au mieux ce type d'intervention il faut en effet du matériel dont nous ne disposons pas sur place, et qui n'est de toute façon pas dans nos compétences d'utiliser : matériel d'intubation, scope, respirateur, etc...)
"On va vous envoyer une équipe médicale d'un autre secteur, attendez je regarde où ils sont.... putain à 60 kilomètres !! Va falloir attendre, désolé ! Par contre on vous envoie de suite un infirmier-pompier en véhicule léger."
On se relaie avec les deux infirmières au massage cardiaque, à la ventilation, et les minutes s'écoulent dans une ambiance lourde.
On ne parle pas beaucoup et les regards qu'on échange en disent long. Notre patient n'a aucune réaction.
Seul le défibrillateur vient rompre ce balet funeste, nous ordonnant de nous écarter en egrainant un compte à rebours morbide de sa voix métallique. Mais rien à faire, il n'enverra jamais la décharge électrique tant attendue.
"Continuez la réanimation", nous assène-t-il inexorablement.
On frappe à la porte de temps en temps et des têtes timides nous observent quelques secondes avant de repartir. Cet homme est connu de tous ici, ce foyer est sa maison, le personnel sa seconde famille. On s'inquiète, on espère.
L' arrivée de l'infirmier-sapeur-pompier nous secoue un peu. C'est le genre de gars qu'on ne croise que sur les "grosses" interventions, il travaille également au SMUR et à plus que l'habitude des situations dramatiques.
Il arrive bardé de matériel, commence par scopé le patient puis l'intube avec difficulté.
On l'assiste au mieux mais très vite il faut se rendre à l'évidence, du sang commence à sortir de la bouche du patient, le corps est froid, de plus en plus rigide.
Pas d'activité électrique, produits medicamenteux sans effet, et l'homme a pas mal d'antécédents qui ne jouent vraiment pas en sa faveur...
On ne peut pourtant pas s'arrêter comme ça, le décès doit être constaté par un médecin et le SMUR est en route. On continue donc sans relâche.
La porte s'ouvre enfin presqu'une heure après notre arrivée. L'équipe médicale, ambulancier, infirmier et médecin commence par s'excuser d'arriver après si longtemps. Quand on part sur un arrêt cardiaque à 60 bornes de distance, on sait bien que l'attente risque de paraître interminable pour les requérants. Ici on est tous du milieu, donc excuses largement acceptées !
Le doc évalue très vite la situation. Il nous demande d'arrêter la réanimation un instant, ausculte le patient, pose quelques questions. Très vite le verdict tombe : on va arrêter là.
On ressort de la chambre et on retourne dans le vrai monde. Celui où les gens ne meurent pas devant vous, sous vos mains, celui où l'espoir existe encore. Parce que dans cette chambre, pendant plus d'une heure, il s'était définitivement envolé, malgré toutes nos tentatives pour le retenir.
Bonne lecture aux courageux kheys qui me liront,
N'hésitez pas à donner vos avis, impressions, et les critiques négatives bien sûr !
J'en ai pleins d'autres encore,
Et chaque jour de nouvelles histoires en stock,
Certaines sont anciennes, presque 17 ans que je fais ce métier ;-), d'autres plus actuelles.
Un redditeur perdu ici
"La serveuse amoureuse"
Cette petite intervention commence avec l'exaspération d'un restaurateur.
Sa serveuse d'une vingtaine d'années a en effet pris l'habitude de venir travailler dans un état d'ébriété plutôt avancé.
Elle a beau être jeune et jolie.
"Ca l'fait pas trop quand même."
(Surtout que cette auberge campagnarde est assez réputée pour ses fameux plats trippiers.)
Quand elle se présente cette fois-là en bégayant et en titubant de tout son corps, le gérant décide de passer à l'action.
Mais il hésite un peu...
Il pense d'abord appeler la gendarmerie, mais il ne souhaite pas lui créer plus de problèmes.
De la famille ou des amis ? Ça s'annonce compliqué, et peut-être pire que mieux.
Bon..
Il va appeler les pompiers... Ils pourront sûrement l'emmener parler à un médecin aux urgences
("à tout faire", soit dit en passant).
Les pompiers reçoivent l'appel, n'y voient aucune urgence vitale relevant de leurs compétences, basculent l'appel sur le centre 15, qui n'y voit aucune urgence vitale nécessitant la mobilisation d'une équipe médicale au grand complet.
Donc...
On envoie les "privés", ces "pseudos urgentistes bons à tout faire qu'on déclenche pour tout et n'importe quoi".
Allez, on est partis plus motivés que jamais pour de nouvelles aventures !
Le destin faisant bien les choses (?), je suis accompagné de mon collègue le plus à même de gérer ce genre de situation :
un quinquagenaire en pleine fleur de l'âge, aux conquêtes aussi multiples que ses pensions alimentaires, et qui a de surcroît beaucoup de mal à voir la limite entre la "drague bien relou" et l'agression sexuelle caractérisée avec menace et port d'arme....
Le genre de mec pour qui femme en détresse rime avec paire de fesses........patiente en depression= fella....
Bref.... (#balancestonporc #metoo)
C'est donc pleinement confiant que j'arrive sur place (faudra juste gérer le collègue et le "canaliser").
Première constatation : la jeune femme n'a pas l'alcool violent pour un sou. D'humeur guillerette, elle est en effet complètement bourrée (même si d'autres substances médicamenteuses ou psychotropes pourraient rentrer en ligne de compte), et nous regarde avec ses grands yeux d'ange halluciné, vautrée sur une chaise au beau milieu de la salle du restaurant.
"Et les mecs, vous êtes pas maaaal !!!"
Elle éclate de rire ; on se la joue très pro.
"Bonjour jeune fille, nos sommes ici uniquement pour vous aider. Certaines personnes s'inquiètent pour vous !"
Le Chef et sa femme nous observent timidement de derrière le bar. Il est 17 heures, aucun client n'est heureusement présent.
"C'est meeeeeme pas les pompiers ??? Pfff....!!
Mais vous êtes pas maaaal quand même !"
On ne tergiverse pas plus que de raison, on s'empresse de prendre les constantes pendant que la patiente est (plus que) coopérative.
"On va vous emmener voir un médecin, histoire de parler, de faire un ptit bilan."
"Avec vous, j'irai au bout du moonnnnde !"
Nous voilà fortement rassurés. Il n'y a qu'une vingtaine de minutes pour rejoindre l'hôpital le plus proche, le tour du monde risque d'être fortement écourté...
Je rappelle vite fait la régulation : patiente alcoolisée sur son lieu de travail, volontaire (!)
et coopérante = direction les urgences.
(Pourquoi faire me direz-vous, bah c'est comme ça....)
À partir de là, je n'existe plus...
Mon collègue est désormais la seule chose qui compte aux yeux de la patiente. Elle le regarde avec amour, le tutoie comme s'ils se connaissaient depuis toujours, lui glisse quelques compliments, veut le toucher, l'embrasser.
Au moins ça change des alcoolisés violents ou récalcitrants !
On s'installe dans l'ambulance, je laisse la jeune femme sous la responsabilité de mon binôme, tout en réglant mon rétro intérieur pour pouvoir le surveiller de près.
Elle a bien du mal à tenir en place sur le brancard, ne cesse d'essayer d'agripper mon collègue avec passion, tente de l'embrasser sans relâche.
Il arrive miraculeusement à esquiver tous ses assauts avec un professionnalisme qui me laisse bea d'admiration ! (moi qui me voyait déjà parrain neuf mois plus tard, c'est raté...)
(Bon, il lui promettra quand même de vivre une folle histoire d'amour avec elle et de venir la chercher plus tard à l'hôpital, choses qu'il ne fera évidemment pas.)
On arrive aux urgences, la jeune femme change d'attitude. Son calme et sa bonne humeur éthylique laissent la place à la panique et à l'énervement.
Elle hurle : "Me laissssez paaaas !!! Je veux rester avec mon Amouuuuur ! Il m'a promis !
Mon Amouuuuur, revieeeeeens !!"
Mon collègue lui fait ses adieux comme dans un mauvais film à l'eau de rose, manquent que les violons et les chandelles et on y est. Elle lui refait promettre qu'il viendra la sauver dès qu'il pourra, il joue le jeu de l'amant éperdu.
Je regarde cette scène pathétique avec amusement et circonspection....
À peine a-t-on tourné les talons que les cris reprennent de plus belle :
"Laissez moi tranquiiiiiillle !!
Mon Amoooooouuuur, revieeeeens, sauves moiiiiiiii !!"
Peine perdue, cette fois on est partis pour de bon, laissant les collègues des urgences se débrouiller pour trouver un autre prince à notre Belle Au Bois Bourré...
Données du topic
- Auteur
- Ochoch
- Date de création
- 26 mai 2021 à 17:55:01
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