[récit d'un ambulancier privé]
Sur ce topic je propose de regrouper des récits que j'écris depuis maintenant de nombreux mois sur mon métier d'ambulancier privé.
Dès récits humoristiques, épiques, tragiques, mais toujours vrais et vécus personnellement, il y en aura pour tous les goûts !
Certains ici m'ont déjà lu sur le Reddit France ou me suivent sur un autre réseau, mais cela fait un moment que je pense à publier ici, je me lance donc aujourd'hui !
Avant-propos pour ce 1er récit: "VSL" signifie "Véhicule Sanitaire Léger", c'est à dire les berlines blanches avec des croix bleus que l'on croise fréquemment sur la route. Pas d'urgence avec ce type de véhicule, apparenté à du taxi médical.
Bonne lecture !
"C'est tranquille le VSL"
Je fais très rarement de transport en Véhicule Sanitaire Léger, alors quand mon patron m'envoie ce jour-là emmener un patient pour sa consultation de cardiologie dans une petite clinique du coin, c'est un peu les vacances.
Il m'avertit quand même avant de partir que la société qui transporte cet homme d'habitude ne veut plus en entendre parler. Il doit être un peu "particulier", sûrement trop exigeant.
Bon, on verra bien.
J'arrive donc dans un petit village, devant ce qui ressemble à une ancienne fermette. Je franchis le portail branlant et frappe à la porte en bois.
Elle s'entrouvre et une voix rauque m'ordonne d'entrer.
J'obéis et me retrouve dans une semi-obscurité inquiétante, la porte se referme derrière moi et j'aperçois une silhouette massive qui m'invite à la suivre.
Je traverse la salle en jetant quelques regards autour de moi. On se croirait propulsé deux siècles en arrière. Sous la poussière et les toiles d'araignées règne un capharnaüm indescriptible d'objets anciens, de meubles croulants et de détritus en tout genre. Ici un sceau rempli à ras bord de mégots de cigarettes, là une pile de vaisselle datant de Mathusalem. L'atmosphère est âcre et enfumée, les odeurs persistantes.
Je suis le colosse jusqu'à sa cuisine, il s'assoit et me fait l'inventaire des affaires qu'il va emporter.
Je découvre un peu mieux l'homme : il est très grand et massif, une vraie armoire à glace. Vêtu d'un treilli militaire, de Rangers et d'un Bombers noir, on dirait un Rambo des campagnes.
Un visage de serial killer et un accent à couper au couteau, j'ai bien du mal à comprendre ce qu'il me dit.
"Tchin min fiu, ça cé eut feuille pour chtambulance, et mi jker mé papiers !"
"D'accord^^"
"Avan dpartir, done meu té carte eud visite !"
Il m'explique qu'il veut un maximum de cartes de ma société, qu'il ira les distribuer lui-même dans les boîtes aux lettres du village pour nous faire de la pub.
S'il n'y a que ça, je lui en laisse volontiers quelques-unes.
J'ai alors une drôle d'impression, le sentiment qu'il y a quelqu'un d'autre dans la pièce en train de m'observer. Mes yeux se tournent doucement vers la gauche.
J'entrevois un autre homme dans la pénombre, debout, immobile, silencieux.
Plus petit, je devine qu'il doit s'agir de son frère, la ressemblance est frappante.
Son regard me glace le sang ; mélange de perversité, d'excitation, de folie pure.
Je n'ose imaginer ce qu'il peut bien penser en me dévisageant de la sorte.
À ce moment je n'ai qu'une seule envie, sortir de là au plus vite.
"Je vais aller vous attendre dehors..."
J'inspire un grand coup en retrouvant l'air pur et la clarté du soleil, le patient me suit et s'installe avec difficulté dans la voiture. Il est tellement grand qu'il a bien du mal à se faire une place et se plie en deux pour monter à l'intérieur.
Sur le trajet il me parlera de ses problèmes avec le voisinage, le maire, les gendarmes (qu'il déteste plus que tout), enchaînera des menaces envers la terre entière.
On finit par arriver, la consultation est rapide, les soignants connaissent visiblement bien notre homme et ne souhaitent pas prolonger sa présence plus que de raison.
Ses manières rustres et son sans-gêne manifeste en font bondir plus d'un. Le géant ne passe vraiment pas inaperçu !
J'enclenche le mode sport sur le trajet.
Retour à domicile express, pied dans la tôle.
Rambo est surexcité, prêt à massacrer tout le personnel de la clinique dès le lendemain matin pour d'obscures raisons.
Et il me promet les pires souffrances si je ne lui ramène pas des cartes de visite la semaine d'après, lors de son prochain rendez-vous. Il en veut beaucoup, tout ce que je peux lui ramener.
Je lui jure donc sur ma vie et celles de tous mes héritiers directs, en espérant secrètement qu'un autre collègue se fasse découper en morceaux ce jour-là.
Oui..... je suis lâche.
J'en parle à mon boss en rentrant, qui en prend bien note.
Faudra surtout pas oublier les cartes...
Une semaine se passe, et on a un peu zappé notre sociopathe du village.
Jusqu'au jour J.
Le jour où il a fallu y retourner.
Comme souvent dans les sociétés d'ambulances privées, c'est le gros bordel. Le personnel s'active comme il peut aux quatres coins du départements, harcelé par des régulateurs narcoleptiques et un patron sans scrupule (humour ^^).
Et par la force du destin me voilà donc sorti manu militari de mon ambulance pour rejoindre en catastrophe une belle 308.
Je regarde la mission.
"Oh merde c'est l'autre psychopathe !"
"Oh bordel de merde je suis à la bourre en plus !!"
"Oh putain d'sa mère j'ai presque plus de cartes !!!"
J'enclenche le turbo et appelle ma femme pour lui dire adieu.
J'ai à peine le temps de me garer que Rambo arrive déjà comme un fou à ma portière, heureusement verrouillée.
Il actionne la poignée, me regarde avec suspicion.
" Dé ti batar ouvr eute porte !!"
J'entrouvre ma vitre.
"Donn mi lé carte dépêch teu !!"
Je bredouille : "Heu deso...désolé... J'en ai prr... presque plus.... mais prenez-les, prenez-les toutes !!"
Silence de quelques secondes.
L'information est visiblement traitée difficilement par notre homme, il ne s'attendait vraiment pas à un tel affront.
L'incompréhension laisse la place à la déception, la déception à la colère.
La colère se transforme en rage.
"Quoiiiiiii ??? Kestumdi laaaa ?? Mes caaaaartes ??!!?"
Il se répand en injures, me maudit moi et ma famille sur plusieurs générations, promet de retrouver mon chef et de lui faire regretter le jour de sa naissance.
Et s'enferme chez lui.
Cette situation me laissant le goût amer de l'échec cuisant, je prends mon courage à deux mains et vais frapper délicatement à la porte.
Une paire d'yeux me regarde avec fureur.
Je baragouine quelques mots. On va quand même pas se fâcher pour une histoire de cartes, j'en ramènerais des centaines la prochaine fois, et puis une consultation c'est toujours important et...
"Degaaaaaaaaages!!!"
Le hurlement n'est pas encore fini que je suis déjà réfugié dans ma voiture, première enclenchée, démarrage en trombe.
L'objectif est simple : mettre un maximum de distance entre Rambo et moi.
"Allo patron ? On a perdu un patient...."
C'est tranquille le VSL qu'ils disaient...
Pfff tu parles.
"Ah bon, il y a une hache dans la grange ???"
Par un bel après-midi d'été notre ambulance est missionée par le SAMU pour une décompensation psychiatrique chez un patient schizophrène. L'homme est jeune et athlétique , mais porte déjà le fardeau de sa maladie depuis de nombreuses années. Il vit seul avec sa mère dans une ancienne ferme à la campagne, et a cessé son traitement depuis quelques temps. Agressif verbalement et parfois physiquement avec son environnement, sa mère est à bout et n'arrive plus à lutter seule ; ce jour-là il a saccagé toute sa chambre et une partie du salon.
À notre arrivée il tourne en rond dans son jardin comme un lion en cage et semble branché sur du 220 volts, l'ambiance est électrique, sa mère nous attend impatiemment.
On essaie de l'approcher, de discuter, de le raisonner, mais rien n'y fait. Il nous fuit et refuse de nous parler.
Bon... Ça sent l'intervention qui va durer une plombe.
Ma collègue persévère à instaurer un semblant de dialogue pendant que je rappelle vite le 15 pour leur expliquer la situation.
Appeler la gendarmerie ? Ils ne se déplaceront que si un médecin rédige une Hospitalisation d'Office. L'homme est menaçant mais pas violent, en tout cas pas envers les personnes pour le moment.
Envoyer le SMUR ? La réponse est catégorique, c'est non. On ne mobilisera pas toute une équipe médicale pour venir faire une simple piqûre de tranquillisant.
La solution envisagée est d'envoyer le médecin traitant au domicile pour sédater un minimum le patient afin qu'on puisse l'emmener sereinement.
Reste à trouver un médecin en plein été, en pleine campagne, et disponible rapidement.
Je sens que c'est pas gagné...
Plusieurs dizaines de minutes s'écoulent, pendant lesquelles notre récalcitrant ne cessera de faire des aller-retours entre sa chambre et le jardin, menaçant régulièrement de prendre sa voiture pour s'en aller (sa mère a heureusement caché les clés).
À un moment donné il se réfugie même dans une vieille grange. Instant de stress : "Il n'y a pas d'arme au moins , un fusil ou autre ??"
"Pas d'arme à feu, mais une vieille hache."
Je nous imagine déjà fuir devant un psychopate enragé et faire un remake de Shining grandeur nature ; je me demande l'effet que peut faire un coup de hache rouillée sur le coin de la tête.
Heureusement rien de tout ça, ouf...
Le médecin arrive enfin, ou plutôt la médecin. Une petite doctoresse remplaçante, jeune et surtout enceinte de bientôt 6 mois. Elle se demande dans quoi elle s'embarque, ne connaît absolument pas le patient et me confie immédiatement ses craintes, surtout de prendre un mauvais coup dans le ventre. Elle me prévient : "Si ça dégénère, je m'en vais ! Où est votre collègue ?"
"Elle est avec la maman dans la maison."
"Ah.... Elle ? Donc vous êtes le seul mec ici ?"
Je vois dans ces yeux que ma musculature impressionnante (hum hum) ne la rassure guère, bien au contraire. Loin de moi toute misogynie ou machisme déplacé, mais si ça tourne mal, c'est pour ma pomme. Entre une doc enceinte, ma collègue de 40 kilos et une maman exténuée, je me sens quand même un peu seul dans cette histoire...
Après moults dialogues l'homme se laissera injecter une dose de tranquillisant. La médecin flippe à mort, on reste au plus près afin de pouvoir réagir vite si ça se passe mal.
Piqûre ok, reste à attendre que ça fasse son petit effet, ce qui ne devrait normalement pas être long.
Le patient regagne sa chambre, se couche. Une fois calmé on pourra enfin l'emmener. On prépare le brancard, on attend avec notre chaise portoire au bas de l'escalier.
Les minutes s'écoulent, longues et silencieuses.
Soudain il redescend quatre à quatre et reprend son manège interminable sous nos regards incrédules, comme si de rien n'était.
Concertation avec la médecin : il faudrait peut-être lui refaire une piqûre ? Elle n'a que peu d'expérience de ce genre de situation et ne sait pas trop quelle(s) dose(s) lui administrer sans danger. Heureusement, le SAMU est notre ami, elle l'appelle, dialogue quelques minutes : "C'est bon, on peut lui refaire une piqûre."
On prend les mêmes et on recommence donc à parlementer, l'homme se laisse faire.
"Bon là, normalement, vu la dose, il devrait somnoler ou s'endormir !"
Pourtant rien n'y fera, notre patient ne se calmera jamais vraiment, mais, Ô miracle, quelques minutes plus tard il ira monter de lui-même dans l'ambulance.
Soulagement pour tout le monde et trajet sans encombre jusqu'aux urgences !
2 heures d'intervention, un téléphone professionnel qui n'aura pas arrêté de sonner (on avait normalement d'autres missions non urgentes de prévues), mais au final plus de peur que de mal heureusement.
J'aime bien, t'en as d'autres ?
Ce serait du gâchis que de ne rien en faire de ces histoires.
Faut juste pas laisser bider le topic !
Le 26 mai 2021 à 21:50:43 :
Oui j'en ai des tas déjà écrits, et d'autres en préparation ^^
Faut juste pas laisser bider le topic !
fais un blog
Pour info j'ai déjà un groupe fac***** avec 1,7k membre depuis un an, plus mon profil sur Reddit ;-)
J'ai au moins une quinzaine/vingtaine de récits déjà écrits, et d'autres en préparation
Si tu veux tout voir, recherche sur Facebook le groupe "chroniques ambulancieres", je suis l'admin
Ou sur Reddit, mon profil, r/elleoce,
Au plaisir
Données du topic
- Auteur
- Ochoch
- Date de création
- 26 mai 2021 à 17:55:01
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