Topic de LeslieCheung :

Je ferai tout pour ne pas avoir fait cette rencontre

Sweet ou j’appelle Jade

Hoedh – Hymnvs, un album de musique qui m'apportait une certaine paix dans la solitude. Impossible de vous dire comment j'ai connu cette œuvre obscure. Sur internet, sans doute au détour d'une « recommandation » automatique. Aujourd'hui, si j'y prête une oreille attentive, elle ne parvient plus à m'emporter comme elle le faisait. Au contraire, elle m’enchaîne ici, dans cet appartement où je pourris encore. Elle est liée à cet endroit pour toujours et semble me chuchoter que ce sort m'est aussi réservé. C'est à cette période de l'année que j'ai commencé à l'écouter, à apprécier la froide atmosphère de ses nappes mystérieuses. Ce fut le cas après avoir croisé le facteur ce jour-là. J'étais parti dans mes pensées, sur le flanc d'une montagne enneigée, où personne ne pouvait m'atteindre, et où le vent tumultueux m'était égal.

Six mois s'étaient écoulés depuis la rentrée, l'heure était aux premiers bilans. En retournant à la faculté, j'avais compris que je ne m'accoutumerai pas à cet environnement. La motivation qui m'animait encore quelques semaines plus tôt était sur le point de disparaître. L'envie de sociabiliser avec qui que ce soit, elle aussi, s'éteignait. Toutes les petites lumières de la vie, les stimulations et les aspirations du quotidien, court-circuitaient comme des ampoules usées. Jusqu'à ce que ce soit celle de ma chambre qui rende l'âme après deux flashs fulgurants, un soir de cet hiver 2016. L'idée de tout arrêter, de quitter ces ténèbres grandissantes me faisait doucement rêver. Ce soir-là, j'ai réécouté Hymnvs dans la pénombre du studio, pour m'échapper un peu.

Pendant les cours, mon attention se déportait sur l'unique tableau accroché dans la classe que nous occupions. Il répondait sans doute à une esthétique contemporaine qui, un jour bien court, avait exprimé un certain modernisme. Aujourd'hui, il avait ce petit quelque chose de foncièrement scolaire et académique. J'aurais voulu savoir qui avait choisi de l'afficher ici, et surtout pourquoi. Était-ce le hasard qui l'avait mené là, lui aussi ? Ce dernier faisait-il si mal les choses ? On y voyait des personnages grossièrement représentés et composés de carrés rouges, jaunes et bleus, eux-même inscrits dans un fond de gros carrés aux couleurs franches. En forçant l'interprétation, j'y voyais une sorte d'éloge de la société et du vivre-ensemble. Un support peut-être dédié dès sa création à un certain enseignement humaniste, thématique particulièrement présente dans les cursus universitaires. Je l'imaginais en couverture d'un ouvrage portant au hasard sur les pédagogies alternatives pour enseignants du primaire. Certains y voyaient peut-être un océan de symboles et de métaphores, pour moi c'était un grand rien. Un tableau aussi évocateur que les barreaux d'une cellule, imperméable au rêve, pour empêcher l'évasion de mon esprit somnolent.

Un jeudi soir, après l'avoir contemplé pendant des heures, j'ai pris la direction du centre-ville pour jouer au Go. Un léger brouhaha émanait de la boutique, celui de la dizaine de personnes qui s'installait pour jouer. Comme d'habitude, deux grandes tables pouvant accueillir trois damiers chacune avaient été disposées au fond de la pièce. A mon arrivée, tous étaient déjà engagés dans un duel. J'ai donc commencé à revoir certains joseki sur un plateau vide en attendant l'arrivée d'un joueur. Un homme d'une trentaine d'années en pardessus bleu marine a fini par se présenter quelques minutes plus tard. Il m'a salué et s'est rapidement installé face à moi. Ses cheveux noirs mi-longs coiffés en arrière avec du gel lui donnaient un air de jeune arriviste fraîchement sorti d'une grande école de commerce. A certains égards, il ressemblait curieusement à mon professeur de droit économique européen. En réalité, je savais d'une conversation entendue quelques semaines plus tôt qu'il était expert immobilier dans une petite agence de la ville. C'était la première fois que nous nous affrontions, mais j'avais déjà la sensation d'être face à un joueur confirmé.

Nous avons donc commencé à jouer dans le silence. Tour après tour, les coins du damier se sont constellés de pierres noires et blanches. Je privilégiais une approche défensive avec des territoires forts pour qu'il ne puisse pas les diviser par la suite. Sa tactique s'est révélée être l'inverse de la mienne. Sans se soucier du danger, il faisait directement pression sur mes pierres, loin des territoires qu'il s'attribuait. Je n'avais d'autre choix que de riposter dans l'urgence pour l'empêcher d'entrer dans mes structures. Il a continué ainsi pendant plusieurs tours, ne me laissant aucune marge de manœuvre.

Quand finalement, j'ai eu l'impression d'avoir sécurisé mes territoires et de pouvoir tenter une avancée sur le damier, il a déposé une pierre au cœur d'une de mes zones. J'étais persuadé qu'il ne pouvait rien tirer d'un tel coup. Pourtant, une erreur aussi basique n'était pas possible de la part d'un joueur comme lui. J'ai relevé les yeux. Il semblait complètement absorbé par la partie et ne laissait pas transparaître le moindre doute. J'ai réfléchi une petite minute avant de jouer le prochain coup, loin de ce qu'il venait de faire, car son opération m'apparaissait vaine. A ce moment, j'ai cru déceler un très léger plissement de ses paupières, sans savoir s'il s'agissait d'un signe de satisfaction ou de surprise. Autour de nous, les joueurs discutaient. Il y avait cet étudiant en chimie que j'avais affronté plusieurs fois déjà, et qui était en bonne position pour l'emporter. Mon adversaire a posé sa pierre quelques secondes après la mienne, une nouvelle fois dans ma zone. Pour une raison que j'ignore, à cet instant, j'ai commencé à lui parler. Je n'avais pas la moindre idée de ce qui était sur le point d'advenir, de cette conversation qui allait rester dans ma mémoire, mot pour mot, et que je vais vous rapporter à présent.

— Tu joues toujours aussi offensif ?
— Je joue sente.

Il n'avait toujours pas levé les yeux du damier. Il s'était contenté de requalifier mon propos avec un vocabulaire plus juste, ce que j'interprétais comme une volonté de ne pas rompre son effort de concentration. Un coup sente était un coup offensif qui m'obligeait à répondre. C'était effectivement ce qu'il s'appliquait à faire depuis le début de la partie : conserver l'initiative et s'attribuer le rôle de chef d'orchestre. Silencieusement, j'avais posé la prochaine pierre, sente également, pour tenter de renverser l'ascendant établi. Je crois que c'est à ce moment qu'il a commencé à sourire et qu'il a levé les yeux vers moi. C'était comme s'il réalisait soudain que quelqu'un était assis en face de lui. Comme si jusqu'à présent, ce que nous faisions, n'était pas l'affaire de deux hommes, mais uniquement la sienne. Comme s'il venait de passer d'une partie sur smartphone comme celles que je faisais, sans aucune considération réelle pour son adversaire, à un face à face réel.

— C'est un jeu d'encerclement, a t-il poursuivi avec un air un peu déboussolé.

J'ai pointé du doigt la zone dans laquelle je pensais qu'il s'était lui-même piégé.

— Mais le but est d'encercler l'adversaire, pas de s'enfermer tout seul.

Après cette phrase que j'ai prononcé, son regard est passé d'une sorte de confusion maladroite, à ce que j'interprétais comme un certain mépris contenu. La bouche, légèrement tirée vers le bas apportait à son attitude une certaine assurance antipathique. Il a regardé sur le côté en se frottant le menton avec le pouce. C'était sans doute le temps d'une certaine réflexion, avant qu'il ne réponde.

— C'est comme plonger dans un trou sans fond, a t-il finalement rétorqué.
— C'est à dire ?
— Tu vas chercher quelque chose sans savoir si tu en ressortiras.

C'est à partir de ce moment que quelque chose d'indicible a commencé à me perturber. Impossible de déterminer s'il s'agissait de ses mots ou de son attitude teintée d'une certaine prétention. Il était désormais clair que je ne pourrai pas avoir de conversation détendue avec ce type. Ces quelques mots échangés avaient suffi à mettre en évidence un décalage inné entre nos deux êtres. Je n'avais encore jamais rencontré ce genre de personne ici. Sur le fond, la comparaison qu'il venait d'exprimer était cohérente : il avait plongé dans ma zone, mais il faisait aussi l'aveu de ne pas savoir s'il en ressortirait, comme si les coups qu'il jouait n'étaient pas fondés sur une projection stratégique solide. Pourtant, depuis le début de la partie, j'avais l'impression qu'aucune décision n'était laissée au hasard. A cet instant, il a joué une troisième fois dans ma zone et j'ai compris. J'ai compris que c'était moi qui ne ressortirait pas de ce trou. Il allait emprisonner mes pierres, rien n'avait été laissé au hasard. Sa métaphore avait une résonance désagréable, quelque chose que je n'avais pas envie d'entendre. Mais alors que j'essayais de me concentrer sur le damier, il a continué...

— Quelque chose ne va pas ?
— Si, tout va bien...
— Dans ta vie je veux dire.
— Comment ?
— C'est ta façon de jouer qui me fait te poser cette question.
— Ah oui ?

Ces mots ne signifiaient rien mais ils avaient réussi à rompre ma concentration sur le jeu. J'ai posé une autre pierre, un peu au hasard, pour feindre l'insouciance. C'était maladroit de me poser cette question si brusquement, alors que nous ne nous étions jamais parlés auparavant. Il était évident que je ne voulais pas évoquer ma vie privée avec un parfait inconnu, et ce malgré le lien qui était censé nous unir dans ce club. Qu'est-ce que ma vie pouvait bien lui faire ? Pourquoi ne se demandait-il pas plutôt si cette question était déplacée ? Entre nous, il n'y avait pas le moindre lien de confiance, il n'y avait qu'un affrontement survenu par défaut, que ni lui ni moi n'avions réellement désiré. Malgré mon mutisme, il ne s'est pas arrêté là. Il est entré dans une étrange démonstration qui m'a semblé de prime abord n'avoir aucun rapport avec ce qu'il venait de dire.

— Je t'ai laissé une ouverture, regarde.

Il m'a montré le coin inférieur gauche du damier, dans lequel je n'avais pas joué depuis plusieurs tours. Effectivement, il y avait la possibilité de prendre l'avantage sur cette partie du plateau, mais je n'avais pas eu la moindre occasion de le faire avec la pression qu'il me mettait.

— Tu sais ce que ça veut dire ? a t-il poursuivi.
— Non.
— Ça fait déjà plusieurs tours que je t'ai laissé cette possibilité, et maintenant c'est à moi de jouer.
— Certes. Tu vas donc m'empêcher de saisir cette chance. A quoi bon m'en parler dans ce cas ?

Il n'a pas répondu. Mais il a joué ailleurs, là où aucune urgence ne se manifestait. C'était une nouvelle possibilité pour moi de prendre l'ascendant sur la partie du plateau qu'il venait de me montrer. Mais je ne voyais toujours pas où il voulait en venir si ce n'est peut-être à un handicap qu'il s'infligeait lui-même. Cette possibilité témoignait davantage d'une certaine condescendance que d'un signe de fair-play à mon égard. Nous courions tous les deux vers la même ligne d'arrivée, vers la victoire. Il s'était simplement arrêté un court instant pour me laisser réduire l'écart qui nous séparait. Quel intérêt pourtant ? Gonfler son ego sur un ton pédagogique ?

— Qu'est-ce que tu en penses ?
— On dirait une main tendue, mais je ne t'ai rien demandé.

Il s'est remis à sourire. Je me suis accordé environ trente secondes de réflexion avant de placer ma pierre, et de saisir la chance qu'il me laissait, parce que plus encore que ma fierté, ce qui m'importait à ce moment était de le battre. Il a immédiatement répondu par une pierre qui m'a fait comprendre qu'il n'y avait en réalité pas le moindre avantage à tirer de ce qu'il me vendait depuis tout à l'heure. Il avait réussi une fois encore à me faire son petit piège, à montrer comme il était malin. C'était maintenant le moment idéal pour la leçon pédagogique qui le démangeait sans doute depuis le début.

— La chance, tu l'as saisie trop tard. Mais était-ce vraiment une chance au départ ? Regarde, on va juste remettre le plateau comme il était avant que tu ne fasses ta connerie.

Il a retiré sa dernière pierre ainsi que la mienne, ce qui nous faisait revenir deux tours en arrière. Déjà, la forte envie de lui demander d'arrêter son petit numéro me titillait. Je voulais que cette partie se termine rapidement pour ne plus avoir à écouter sa démonstration. Des sensations que j'avais en jouant sur mon téléphone émergeaient de nouveau. Gonfler son ego, je connaissais, mais pas en face à face. Sur internet, il n'y a pas de dialogue stricto sensu. Tout s'interprète à travers le rythme de la partie. La partie en elle-même est un dialogue abstrait, et la bataille d'ego n'a lieu que sur ce terrain. Je découvrais à cet instant une autre manière de le faire, artificiellement connectée au jeu lui-même. Une vaine leçon de joueur confirmé, l'ego envahissant qu'on est susceptible de trouver dans toute discipline et dans toute hiérarchie.

— Voilà, tu peux saisir ta chance avec le bon timing. Quelle question te poserais-tu maintenant ?
— Je ne sais pas, mais...
— Alors joue.

Machinalement, je pose une pierre, décontenancé par la tournure des choses.

— La question, c'est de savoir si c'est une chance ou non. Car dès le départ c'est un piège. C'est vrai qu'il est bien enrobé.
— Bien, j'ai compris. On peut terminer la partie normalement ?
— C'est comme une fille qui te sourit dans un bar, t'as un peu trop bu, tu te retrouves finalement entre ses jambes...

A cet instant, il pose sa pierre, exactement au mĂŞme endroit qu'il l'avait fait avant.

— …et elle te mange.
— ...Hein ?
— Pourquoi tu as fait cette erreur ?

Je suis resté silencieux, à moitié sonné par cette douce agressivité qui l'animait. Parlait-il vraiment de notre partie à cet instant ?

— Parce que tu ne te poses pas les bonnes questions. La partie, là, elle est finie, je préfère te le dire directement. Tu ne peux plus remonter le trou. La corde qu'elle t'a tendu pour remonter, en fait elle l'a utilisée pour... enfin, tu as compris. L'intention est mauvaise. Tu ne décodes pas correctement les signaux que tu reçois.
— C'est quoi ce ton, là ?
— Pardon ?
— Tu te prends pour qui depuis tout à l'heure ?
— Ah d'accord, ça vaut bien la peine de te donner des conseils...
— Garde tes leçons pour toi, et tes comparaisons...
— Elle t'a fait beaucoup de mal non ?

J'ai senti les regards se tourner vers nous et le silence s'installer brusquement dans la boutique. Il a fait une sorte de pincement de lèvres avec sa bouche accompagné d'un haussement de sourcils. Le tout formant une expression faussement empathique directement héritée de sa vie professionnelle.

— Arrête...
— Tu es trop sur la défensive. T'as défendu les coins du damier pendant toute la partie, c'est vrai ou pas ? T'as pas pris un seul tour pour te déployer. C'est caractéristique d'un état d'esprit ça, c'est tout ce que je dis.

J'étais incapable de laisser échapper le moindre mot correctement, dominé par une rage qui bouillonnait dans mes tripes. La partie était foutue. Pour moi, elle n'existait même plus. Pour lui si, et à cet instant il était sur le point de poser la pierre déterminante. Mais il a dit une dernière chose.

— Te laisse pas bouffer mon vieux, conseil d'ami...

Je me suis levé, prêt à le saisir au cou et à l'envoyer vers la porte de sortie pour en découdre. Mais au lieu de ça, j'ai juste balancé le plateau par terre. J'ai pris mon sac et je suis parti. Personne n'a tenté de m'arrêter, personne n'a ouvert la bouche pour me calmer. Les démons livides et silencieux m'ont tous regardés disparaître pendant que les dizaines de pierres rebondissaient par terre. C'est la dernière fois que j'ai vu le club de Go. J'ai marché dans la nuit, à travers cette ville morte. Tremblant de rage, l'esprit perdu dans des émotions troubles, souhaitant voir mon être disparaître dans les ténèbres. Si ce genre d'ordure pouvait me donner des conseils d'ami, alors je préférais croupir éternellement au fond du trou, sans ne jamais recevoir d'aide.

Ces mots arrogants ont continué de me déranger, de s'inscrire à l'encre indélébile dans mon esprit. Cette clairvoyance qu'il pensait avoir sur ma vie, j'ai fini par me demander si elle n'était pas réelle, si je ne donnais pas vraiment cette impression d'un être soumis, dominé par les regrets et les sensations d'échecs qui se succèdent. Si j'étais si faible que j'étais lisible au premier abord, comme un livre ouvert, triste et soumis. Certaines analogies entre son discours et la « rencontre » que j'avais faite quelques mois plus tôt m'ont aussi perturbées. J'ai envisagé le fait que ce type était au courant, d'une manière ou d'une autre, du contact singulier que j'avais eu avec cette étudiante. Cette idée m'a glacé le sang. Les mots sont restés.

A partir de cet événement, j'ai manqué massivement les cours de master. Au moins une fois par semaine, je me rendais chez le médecin pour me procurer des certificats médicaux. C'était un homme agréable. Avec le recul, ces consultations étaient les seuls moments plutôt réconfortants de mon quotidien. Mais le fait de revenir, semaine après semaine, me mettait dans une situation culpabilisante. Il en voyait d'autres passer, comme moi. C'est ce qu'il m'a confié une fois au sujet d'une enseignante au bout du rouleau. « Les choses ne tournent plus rond dans ce monde » comme il disait. Après tout, c'était une bonne phrase à ressortir aux nombreux patients dans mon genre, les malades de la vie. Rendez-vous après rendez-vous, les périodes d'arrêt qu'il m'accordait s'allongeaient. Un jour, alors que je lui répétais une fois encore mes symptômes migraineux, il m’a conseillé de faire un examen complémentaire dans une clinique de la ville. C’est vrai, le paracétamol ne m'aidait plus. Mais je ne pensais pas avoir besoin d'un spécialiste. Pour moi, la migraine n'était qu'une conséquence de l’insomnie qui s'installait au fil des nuits. Alors il m'a prescrit des somnifères que je n'ai jamais pris. Avais-je vraiment mal à la tête ? Parfois, oui...

J'ai poursuivi les efforts pour me rappeler de Jade pendant cette longue période d'absence. Les mots du joueur de go ont contribué à alimenter le feu paranoïaque qui me calcinait déjà. L'enfermement a fini par devenir insupportable. Un matin, j'ai décidé de retourner à la bibliothèque pour me réconcilier doucement avec le monde extérieur. C’étaient les premiers jours de mars.

Enfin ! Je me la garde pour ce soir merci l'op :-p
Toute cette histoire juste pour dire que ta pas eu de couilles ? c'est sérieux ?
Bon, y'a pas un résumé ? Franchement la flemme de tout lire c'est trop détaillé et trop de détails intéressants. C'est dommage vu que c'est bien écrit
Bon j'attends la sweet du coup :(

A partir de cet événement, j'ai manqué massivement les cours de master. Au moins une fois par semaine, je me rendais chez le médecin pour me procurer des certificats médicaux

Le résumé de ma vie salariale.:)

L'auteur, n'oublie pas que t'as une histoire Ă  finir :(
On dirait du Rohmer. Non merci

Idem que mon vdd

La partie de go, comme si on y Ă©tait :bave:

Par ce post, je remonte le topic au sommet de la liste des sujets

Le soleil irradiait les grandes artères de la ville. Un air frais me caressait les joues. Je m'étais arrêté dans une boulangerie pour acheter un pain au chocolat et continuer à pied jusqu'à la bibliothèque qui se trouvait au bout de la rue. Mes cordes vocales, en veille depuis plusieurs semaines, venaient de resservir. Pendant un moment, j'étais resté sur le trottoir, à regarder le bleu matinal du ciel. Un mois s'était écoulé depuis l'arrivée de cette lettre dans le hall de mon immeuble. Un mois pendant lequel je n'avais cessé d'y penser, jour après jour, jusqu'à n'en plus pouvoir. Les souvenirs dans lesquels j'apercevais Jade ne me menaient nul part. Ils m'accablaient de cet étrange sentiment de culpabilité, aussi tenace qu'inexplicable. J'aurais voulu m'en défaire, une bonne fois pour toutes. Mais les questions sans réponses se multipliaient et polluaient mon esprit. Elles s'y accrochaient comme des parasites. Le temps n'avait pas permis d'expliquer pourquoi cette lettre était arrivée là, ni même sa disparition le lendemain matin. L'immeuble était sans vie, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ou presque. Je n'avais jamais eu l'occasion de croiser qui que ce soit, ni même de pouvoir supposer la présence de quelqu'un, à l'exception de mon voisin dont le pas ne pouvait être que celui d'un homme. En marchant vers la bibliothèque ce matin-là, j'étais toujours obnubilé par le mystère, angoissé par un nom dont même les services postaux n'avaient pas eu écho.

Les portes coulissantes se sont ouvertes à mon passage. L'atmosphère n'était pas tout à fait celle des soirées de décembre dernier. Dans le hall encore bien calme se trouvaient quelques étudiants matinaux en train de travailler. La scène, immobile à la manière d'une toile, jouait avec les lueurs de l'extérieur et les silhouettes à contre-jour des personnes assises. Face aux rayons du soleil qui fendaient l'atmosphère, il était impossible de distinguer leur visages. Le contraste aveuglant les transformait en une assemblée de statues qui semblait m'observer. Je ne pouvais pas m'empêcher de revoir à travers cette scène les membres du club de Go, assis en silence au moment où j'avais quitté la boutique pour la dernière fois. L'immobilisme du tableau s'est finalement rompu quand j'ai senti quelqu'un m'effleurer le bras en entrant dans la bibliothèque. Le garçon s'est dirigé vers l'escalier menant au premier étage. Au fond de moi se terrait l'envie de le suivre, de m'installer là où j'avais toujours étudié auparavant, devant la baie vitrée ouverte sur l'éclatante matinée. Je pouvais sans doute y trouver cette paix égarée, oublier les tourments des jours passés. Mais j'ai réprimé cet espoir avec une certaine peine, parce qu'elle aussi m'attendait peut-être là-haut. Elle, qui m'avait embarqué dans ce petit jeu insensé, et dont j'avais finalement réussi à me défaire. Je craignais de la croiser, de lui rappeler mon existence. Et puisque j'ignorais la fréquence de ses venues ici, je ne m'y suis pas aventuré. J'ai traversé le rez-de-chaussée jusqu'à une salle dédiée aux ouvrages de psychologie, une vaste pièce sans fenêtres où un jeune homme étudiait seul.

Il régnait une atmosphère sereine que je n'avais plus ressentie depuis trop longtemps. Mon emploi du temps faisait état d'un cours de droit international public qui venait de commencer dans le troisième amphithéâtre. Je devais m'y trouver à cet instant précis, somnolant derrière mon ordinateur. A midi, je serais rentré chez moi, avec un sandwich et l'agréable sensation d'avoir fait ce qu'il fallait. Rien ne m'aurait dérangé, pas même cette solitude indéfectible, parce que j'aurais suivi ma partition, j'aurais fait ce qui était prévu. Les enseignements de ce master n'étaient pas inintéressants en soi, j'appréciais l'idée d'une spécialisation dans le secteur public, l'étude méticuleuse de la littérature administrative et des grands arrêts de jurisprudence. Ce qui m'enthousiasmait moins, c'était l'absence de toute dimension professionnalisante au sein du cursus. Les enseignants m'apparaissaient, pour la plupart, déconnectés du monde du travail, cantonnés à leur microcosme universitaire. Leurs incitations répétées à faire des stages sonnaient comme des formules creuses. Sans réseau et sans expérience professionnelle préalable, le marché caché de l'emploi restait cruellement hermétique pour un petit étudiant d'université, et la perspective d'un stage en cabinet relativement improbable. Je vivais moi aussi une forme de déconnexion sociale, sans doute bien plus radicale que la leur. Depuis de longues semaines, je composais ma vie à l'instant présent, plus seul que jamais. Ce qui aurait pu être l'opportunité d'une liberté insouciante et d'un épanouissement personnel s'était mû en une longue errance sans fin, un néant dans lequel je me perdais jour après jour, des divagations obscures qui m'avaient détourné de mes objectifs et des activités qui me tenaient à cœur.
Cependant ce matin-là, en me délectant du calme reposant de la bibliothèque, j'ai finalement décidé de briser la glace qui avait paralysé mon esprit. Il était temps de faire demi-tour, de laisser derrière moi ces pensées nébuleuses. Je pouvais retrouver une vie saine, reprendre en main mon destin et balayer cet amas d'angoisses infondées. Pour m'en persuader, je suis revenu sur ma décision et j'ai pris la direction du premier étage. Il était à peu près dix-heures et demie.

Le rideau de songes qui m'empêchait de réfléchir s'éclipsait. Les nuages se dispersaient au profit d'un ciel azur, celui d'une nouvelle aube. Sacoche en main, j'ai commencé à monter l'escalier de la bibliothèque. Les lueurs du soleil ont émergé au fil de mes pas, elles se sont intensifiées. Marche après marche, toujours davantage... jusqu'à fulgurer intensément. Dans un premier temps, c'était prodigieux. Jamais auparavant je n'avais été à ce point assailli par la lumière du jour. Je prenais conscience de la puissance maîtresse de l'astre solaire, de sa domination totale sur le monde et de la dépendance de toute chose à son égard. A cet instant, ses radiations célestes venues d'un infini lointain pénétraient mon être, le purifiant de tous ses maux accumulés. Mais l'extase n'a duré qu'un bref instant. Au fil des marches gravies, les radiations ont continué de s'intensifier, encore et encore. Ces lueurs me transperçaient alors avec une brutalité inattendue. Le soleil s'abattait sur moi. Il semblait m'en vouloir terriblement. Tel un chien enfermé qui finit par sortir. Pétri de haine, ne voyant à travers cette liberté nouvelle qu'un moyen de hurler sa folie. Le soleil hurlait...

J'ai bien vécu cet instant où j'ai pensé disparaître dans son infernal brasier. Était-ce vraiment le soleil ou une entité pernicieuse qui usurpait son identité pour m'empêcher de retrouver ma liberté ? Était-ce simplement moi qui perdait les pédales ? Tout est devenu imperceptible dans cet escalier que je n'arrivais presque plus à monter. Le déferlement était sur le point de me faire perdre connaissance. Je me suis senti basculer en arrière, prêt à disparaître dans les flammes. Inconsciemment, ma main s'est projetée sur la rambarde et l'a saisie. En plissant les yeux, j'ai réussi à me hisser jusqu'à la dernière marche de cet escalier sans trébucher. Devant moi se trouvait la source de ce feu insoutenable, cette baie vitrée familière dont je ne percevais désormais que les bordures métalliques. A l'horizon, rien qu'un insupportable jaillissement apocalyptique. Ici aussi, tout semblait avoir disparu. J'aurais pu rebrousser chemin mais j'ai souhaité faire quelque chose que je n'explique toujours pas aujourd'hui. Une main devant les yeux, je me suis frayé un chemin jusqu'aux ouvrages d'Histoire. Le manuel que lisait cette fille en décembre était toujours là, sagement rangé à sa place habituelle. Je l’ai sorti de l'étagère et feuilleté quelques instants. En plissant les yeux, je suis parvenu à lire une page au hasard consacrée aux royaumes barbares pendant le Moyen-Âge. Il n'y avait rien d'anormal. Après l'avoir remis à sa place, la tempête lumineuse s'est progressivement atténuée. Le jour lui-même semblait me rejeter avec une inexplicable férocité. J'ai quitté les lieux.

L'étincelle de courage et de positivité qui m'avait traversée vers dix heures s'éloignait déjà. Je ne le savais pas encore, mais ce que j'allais trouver en rentrant chez moi ce même jour finirait de la faire disparaître. Dans le hall étroit de l'immeuble m'attendait une enveloppe sans timbre sur laquelle mon nom avait été correctement écrit. Avant même de l'ouvrir, j'avais cherché à comprendre comment elle était arrivée là. Personne, à l'exception de mes parents et du propriétaire de l'appartement ne connaissait mon adresse ici. Je n'avais jamais pris la peine de mettre mon nom sur l'interphone extérieur. Celui ou celle qui était venu ce matin connaissait pourtant mon identité et mon adresse. Mais puisque la lettre n'était pas timbrée, il ne pouvait pas s'agir du facteur. Il ne pouvait pas non plus s'agir de mes parents qui se trouvaient à plus de cinq-cent kilomètres de là. Il restait alors la possibilité d'un message du propriétaire, mais quelque chose en moi m'empêchait déjà d'y croire. D'un pas pressé, je suis retourné dans la rue. Planté sur le trottoir, j'ai espéré croiser le regard de quelqu'un. J'ai espéré être interpellé par l'auteur de cette lettre, pour recevoir un message banal. Quelque chose comme « pensez à fermer la porte du hall quand vous sortez ». Quelque chose qui aurait mis un terme immédiat au mystère de cette enveloppe. Mais rien n'est arrivé. Et le mystère entre mes mains est demeuré entier.

J'ai déchiré le rabat de l'enveloppe. A l'intérieur se trouvait un post-it rose sur lequel un mot avait été écrit au stylo-bille : « Autres ».

Mes suppositions se sont confirmées. La paix savoureuse de ce début de matinée n'était qu'un éphémère trompe l’œil. Ce qui se trouvait entre mes mains n'était pas un banal message de voisinage, il était précisément ce que je redoutais : l'insaisissable. Je suis retourné dans ma voiture et j'ai sorti mon téléphone. Sans surprise, mes réseaux sociaux ne faisaient état d'aucune notification. Mais je savais déjà que quelque chose m'attendait ailleurs, dans ma messagerie personnelle. Mon index s'est fébrilement posé sur l'onglet « Autres » réservé aux messages reçus de destinataires inconnus ou indésirables. Dans cette catégorie se trouvait un message, reçu quelques minutes plus tôt, à dix heures et trente-deux minutes, d'un destinataire qui ne m'était pas vraiment inconnu mais bel et bien indésirable.

« Vu :) ».

L'heure du message correspondait au moment où j'avais décidé de remonter au premier étage de la bibliothèque. Elle l'avait envoyé à ce moment précis, juste avant que je ne quitte la salle de psychologie. Dans ma tête surgissait de nouveau la vision des sinistres statues humaines attablées à contre-jour qui m'avaient accueillies en arrivant. Elle était peut-être l'une d'entre elles. Malgré la tentation de me réfugier entre quatre murs mal isolés, j'ai fait vrombir le moteur de la voiture et je suis retourné à la bibliothèque pour la trouver. Quinze minutes plus tard, je franchissais de nouveau les portes automatiques du bâtiment. Après être passé devant la documentaliste, j’ai traversé le rez de chaussée de long en large à plusieurs reprises pour tomber sur celle qui prétendait m'avoir vu ici une heure plus tôt. Les étudiants m'observaient déambuler d'un pas pressé sans en comprendre la raison. Peut-être était-elle montée à l'étage, pour se fondre dans le feu véhément. Il me carbonisait toujours autant. Le livre d'Histoire n'avait pas bougé de son étagère. J'ai pris mon smartphone, et je lui ai écrit.

« Tu me vois ? ». Mes yeux sont restés rivés sur l'écran. Je ne sais pas combien de temps l'attente a duré. Elle a vu mon message, puis elle a répondu :

« Oui :) ».

Pris de frissons, j’ai senti le besoin de m'asseoir un instant. Une nouvelle fois, j'ai regardé dans toutes les pièces du complexe, dans les toilettes et même sous les tables. J’ai regardé derrière le bureau de la documentaliste qui a semblé me prendre pour un fou. Cela a duré une quinzaine de minutes avant que je ne décide de lui réécrire dans la foulée.

« Où es-tu ? ». Aucune réponse. C'était insupportable. J’ai insisté.

« Réponds. Ça ne m’amuse plus. ». 

Toujours rien. J’étais seul au milieu du bûcher. Aucun des nombreux regards captés ici n'était le sien. La situation devenait de plus en plus irrationnelle. Non, elle était tout à fait rationnelle. Cette peste ne voulait tout simplement pas que je tire un trait sur l'épisode ridicule de décembre dernier. Elle voulait m'entraîner une fois encore dans son petit manège malsain. Et tous les moyens pour y parvenir étaient bons. Elle se cachait sans doute quelque part. Putain... il fallait déguerpir d'ici et retrouver sereine raison. J'ai fait demi-tour.

Elle n'avait pas menti cette fois-ci. Elle m'avait vu. Je n'avais pas mis les pieds dans la bibliothèque depuis plus de deux mois. Son message n'avait pas pu arriver avec ce timing par le plus grand des hasards. Elle m'avait bien vu. Mais même en admettant cela, comment avait-elle pu déposer une enveloppe dans mon immeuble aussi rapidement ensuite ? Elle avait eu environ quinze minutes pour le faire avant que je ne rentre chez moi. C’était possible à condition d'y aller en voiture et d'avoir tous les feux verts. Dans tous les autres cas, je serais arrivé avant elle. Cette fille ne pouvait pas se dédoubler. Non... Pourtant, ce post-it avait bien fini dans le petite couloir pavé de mon immeuble.

Et comment alors connaissait-elle mon adresse ? Mon nom n’était même pas sur l’interphone extérieur. Il n'y avait qu'une seule explication à cette question. Elle m’avait suivi un soir où j'étais rentré de la faculté. Ce sont à peu près les réflexions que je me suis faites à ce moment-là. Mais le détail le plus important ne m'est venu qu'un peu plus tard dans l'après-midi.

Je me suis souvenu que la fente à courrier dans la porte de l'immeuble était munie d'un petit dispositif à serrure empêchant à toute personne d'y glisser quoi que ce soit, excepté le facteur qui possédait une clé passe-partout. En utilisant cette clé, il pouvait relever le petit rabat en aluminium posé sur la fente et y glisser du courrier. Sans cette clé, la petite ouverture demeurait inaccessible. L'enveloppe était déjà dans le hall quand je suis rentré vers onze heures. Or, le facteur ne passait pas avant midi. La conclusion était aussi limpide que désagréable. Absolument personne n’avait pu déposer l'enveloppe dans le hall à cette heure-ci. Personne, à l'exception de quelqu'un qui possédait les clés de l'immeuble.

Ce jour fut un palier décisif dans ma lente descente aux enfers. Il fut celui où j’aperçus la folie au loin, tel un vautour affamé épiant mon âme en perdition. Celui à partir duquel les cauchemars ne cessèrent de me tourmenter, jour et nuit. Ce jour, il me semblât que la source de tout ceci gisait par delà les confins de mon imagination paranoïaque.

Si cette fille avait eu accès à mon immeuble, c'était soit qu'elle habitait ici soit qu'elle connaissait quelqu'un qui habitait ici. Il était environ midi. Je savais que le voisin de mon pallier ne rentrait jamais avant vingt-deux heures, je savais aussi que c'était un homme. Deux paramètres qui contribuaient à l'écarter de mes soupçons dans l'immédiat. Mais je ne savais rien des voisins du rez-de-chaussée. Alors j’ai frappé à l’une des deux portes. Un homme d'une soixantaine d'années s'est présenté devant moi. Malgré sa chevelure et ses sourcils grisonnants, il avait conservé une allure sportive qu'il devait surtout à sa grande taille. Je me suis brièvement présenté avant de lui demander si l'enveloppe dans le hall lui disait quelque chose. Il a semblé confus et m’a confirmé que ni lui ni sa femme n’en étaient à l'origine. Avant de refermer la porte, il a souhaité savoir si c'était grave. Avec un sourire faussement insouciant, j'ai dit que non. Dans un grincement, la porte s'est refermée devant moi. Cette homme vivait donc avec sa femme. J’ai directement frappé à celle du deuxième appartement au rez-de-chaussée.
Cette fois-ci c'est une femme m’a ouvert. Maigre et marquée, je lui donnais à peu près le même âge que l'homme à qui je venais de parler, la santé en moins. Elle m’a dévisagé un instant avant d'émettre un son à peine audible :

« C’est pour quoi ? »

L'air fatigué et les pommettes extrêmement saillantes, il m'a tout de suite semblé évident que cette femme vivait seule depuis plusieurs années. J’ai été déstabilisé un court instant par ses yeux sombres et étonnamment perçants, puis je lui ai posé les mêmes questions que précédemment. Elle m’a répondu qu’elle n’avait laissé aucune lettre dans le hall et je la croyais. A vrai dire, depuis le début, je n'arrivais pas à occulter complètement le cas de mon voisin de pallier, je cherchais simplement à procéder par élimination. Alors, j’ai dû lui dire cela :

« J'irais demander à mon voisin de palier quand il sera rentré. Merci madame. ».

En écrivant ces mots, je revois son expression changer du tout au tout. Elle a froncé les sourcils sans détourner le regard et sans que l'obscurité dans ses yeux ne se dissipe. J’ai cru dénoter une sorte de compassion à mon égard dans la profondeur de ses orbites. Voici un résumé de notre conversation.

« — Pardon ?
— Je disais qu’il ne me restait plus qu’à demander à mon voisin de palier.
— Vous avez un voisin là-haut ?
— Oui, je crois qu'il vit seul.
— C’est étonnant, je ne le savais même pas. Ça fait quinze ans que j’habite ici pourtant.
— Vous ne l’entendez pas rentrer le soir ?
— Ah non, je n'entends rien. Je ne peux plus vraiment compter sur mes oreilles vous savez. Eh bien, bonne journée, Monsieur. »

La porte s'est refermée devant moi. Je suis resté figé devant sa porte, dans le silence du hall. La lumière s'est éteinte. Quelques secondes se sont écoulées, dans l'obscurité. Quelque part, un téléviseur allumé, la météo. Ailleurs, des assiettes qui s'entrechoquent doucement dans un évier. Une légère odeur de poisson pané. Puis l'eau s'écoulant dans une canalisation sur ma droite. J'ai appuyé sur l'interrupteur et je suis retourné frapper à la porte du premier appartement.

« — Excusez-moi de vous déranger à nouveau. J'avais une dernière chose à vous demander.
— Aucun problème, allez-y.
— Vous avez bien connaissance d’un voisin qui s’est installé au dessus de votre appartement cet hiver ?
— Il n'y a personne au dessus. On l’entendrait s'il y avait quelqu’un. Ça doit faire un an qu’il n'y a plus personne là haut, à part vous bien sûr.
— Vous êtes sûr de ça ?
— Parfaitement sûr. Puis-je vous demander pourquoi vous me posez cette question ?
— Il me semblait vraiment…
— Oh... les bruits de l'escalier peut-être ? Ah ça oui, il craque beaucoup. C’est du vieux bois, rien de plus normal. L'immeuble aura bientôt cent ans.
— C'est sans doute ça alors, les bruits de l'escalier... Merci beaucoup, bonne journée à vous.
— A vous également, au revoir. »

Ce jour là, je n’ai pas eu la moindre réponse à toutes ces questions. Cependant, j'ai commencé à regarder les appartements en location sur internet dans l'idée de quitter cet immeuble le plus rapidement possible. J’espère que la nuit sera bonne. Je vous le souhaite également. Vous aurez de mes nouvelles bien assez vite.

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LeslieCheung
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24 janvier 2021 Ă  18:56:26
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