[LE MONDE] Ces FEMMES qui se PROSTITUENT pour se RÉAPPROPRIER leur CORPS
Article publié il y a deux jours :
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1/4 - Véronique, la trentaine, et Léa,
Elles déclarent avoir choisi le travail du sexe : « Il y a deux ans, je me suis dit : et si je sautais le pas ? »
La prostitution demeure, dans la grande majorité des cas, synonyme de contrainte et d’exploitation. Certaines femmes, cependant, disent avoir décidé, pour un jour ou pendant plusieurs années, de se faire payer pour du sexe, une manière pour elles de se réapproprier leur corps.
JOHANNE LICARD
Pour Véronique (la plupart des prénoms ont été modifiés), la trentaine à l’époque, tout est allé très vite. « Cela n’allait déjà plus avec le père de mes enfants, dont je me suis ensuite séparée », raconte cette professeure des écoles nantaise. Sur le réseau social X, où elle possède un compte anonyme, elle poste un jour, sur le ton de la provocation : « Avez-vous déjà couché pour de l’argent ? »
« Un de mes abonnés est venu me demander si cela m’était arrivé et si cela me dirait de le faire avec lui. Je suis restée totalement interdite, ne sachant quoi répondre. Mais cela me trottait dans la tête. C’était un de ces “vieux beaux”, il était chef d’entreprise. Je ne l’avais vu qu’en photo, je me suis dit : pourquoi pas ? »
Le premier rendez-vous, fixé à l’hôtel, est une « catastrophe, se souvient cette mère de deux jeunes enfants. Il voulait que je le domine, je n’étais pas du tout à l’aise. Mais ça lui a plu, et je me suis prise au jeu. On s’est revus trois, quatre fois en quelques mois ».
Ce qui a frappé Véronique ? A quel point il lui a été « facile » d’avoir des relations sexuelles tarifées. « J’avais posé la question à quelques personnes de confiance sur les réseaux, on m’avait dit : “Demande 200 euros !” J’aurais pu demander plus, mais c’était déjà beaucoup : une heure et demie pour gagner 200 euros ! »
Après son premier rendez-vous, Véronique ne savait « pas trop quoi faire de cet argent » : « C’était du liquide, je n’allais pas le déposer à la banque… J’ai fini par m’acheter une belle paire de chaussures. » Six ans plus tard, elle n’a jamais réitéré l’expérience, mais ne l’exclut pas. « Finalement, ce n’était pas très différent de ce que j’aurais pu faire avec un mec rencontré sur Tinder, sans me faire payer. »
« Militante de rien »
Pour Léa, les choses sont beaucoup plus organisées : à 500 mètres de son appartement de la banlieue parisienne, cette assistante commerciale mariée et mère de famille possède ce qu’elle appelle sa « garçonnière », un studio dans lequel elle reçoit ses clients. En couple libre depuis une vingtaine d’années, elle a l’habitude des soirées libertines et avait déjà plusieurs fois envisagé de proposer à des hommes du sexe payant, « par fantasme ».
« Il y a deux ans, je me suis dit : et si je sautais le pas ? Mes premières expériences étaient très ponctuelles : on avait fait des cams virtuelles ensemble, ça met en confiance. » En octobre 2022, Léa dépose son annonce sur un site Internet spécialisé : « Escort occasionnelle pour relation suivie. » « J’ai eu jusqu’à une dizaine de “réguliers”, une fois par mois chacun. Le télétravail me permet de m’organiser facilement. » Son mari a toujours été au courant.
Léa ne s’en cache pas, c’est l’aspect financier qui l’a décidée : « Dans mon boulot, que je travaille bien ou pas, je gagne la même chose, je n’ai pas de prime sur objectif. J’ai songé à créer une entreprise, investir dans l’immobilier… » Pour une heure, elle demande 150 euros, 280 pour deux heures. « Je propose des rendez-vous à l’heure, alors qu’avant, je fixais un tarif pour une rencontre. Et je n’accepte plus de négocier. »
De quoi gagner en moyenne 1 800 euros par mois, soit presque autant que son salaire principal, celui de son travail « sérieux ». Avec cet argent, Léa peut payer les traites de son studio, ce qui lui « permet d’acheter pour [sa] retraite ». Et, au terme d’un mois où elle avait gagné davantage, elle s’est fait « une séance de shopping pour [se] récompenser » : un sac et un manteau, « mais dont j’avais besoin aussi, rien d’extraordinaire ».
Et le désir dans tout ça ? « La démarche de rencontre tarifée m’excite, j’ai envie de bien faire, j’ai le souci de la satisfaction client », explique Léa dans un sourire. Ses clients sont souvent dans sa tranche d’âge. « Le profil, c’est soit l’homme marié qui veut des petits trucs en plus, soit l’homme célibataire en manque affectif. Je n’ai pas toujours d’attirance pour eux, mais pas de dégoût non plus. Une seule fois, j’ai eu un petit jeune de 19 ans qui a voulu que je le suce comme dans les films pornos, je ne l’ai pas revu. » Léa, qui se revendique comme travailleuse du sexe, ne se dit « pas du tout féministe ». « Je ne suis militante de rien, pour moi c’est vraiment joindre l’utile à l’agréable. »
2/4 - Kata, 27 ans
Tout l’inverse de Kata, 27 ans, pour qui « la plupart des hommes sont des merdes. Au mieux, on se dédommage ». « Je suis née dans un contexte où j’avais la possibilité de faire beaucoup de choses : je suis blanche, privilégiée, j’ai fait de bonnes études, je parle plusieurs langues… » Originaire de Suisse, elle se définit comme artiste polyvalente et a le statut d’intermittente grâce à ses cachets dans des clubs de strip-tease. Elle a choisi de devenir escort-girl il y a trois ans, « pour manger et financer [ses] projets sans trop galérer », et rencontre dans des hôtels, chez ses clients ou en clubs libertins. « Cela peut être trois fois par semaine comme une fois par mois. J’ai des clients que je connais depuis plusieurs années. »
« Un travail de soin »
Comme Véronique, Léa ou Kata, certaines femmes, ayant souvent déjà une approche ouverte de leur sexualité, décident pour un soir ou quelque temps de se faire payer. Certaines en ont fait des livres (Emma Becker, avec La Maison,chez Flammarion). Bien sûr, la prostitution demeure, dans la grande majorité des cas, synonyme de contrainte et d’exploitation. Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, sur les quarante mille personnes en situation de prostitution en France, dont 85 % de femmes, « une part importante serait en réalité exploitée dans un cadre de traite des êtres humains ».
Pas étonnant, dès lors, que la réalité de la prostitution choisie divise la société et les pouvoirs publics. Réitérée en mai par Aurore Bergé, alors ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, la position du gouvernement est « abolitionniste » -- celle-ci considère les prostituées avant tout comme des victimes à protéger et tend à criminaliser le travail du sexe. A rebours des « pro-droits », pour qui la pénalisation des clients, depuis la loi de 2016, fragilise les conditions d’exercice et la sécurité des prostituées. Dans un communiqué commun, plusieurs associations abolitionnistes dont le Mouvement du nid, avaient salué cette « parole publique, qui rappelle que la prostitution est une violence sexiste et sexuelle et un obstacle à l’égalité ».
Ce débat déchire également les mouvements féministes. « Le travail du sexe est complexe et hétérogène, souligne Charlène Calderaro, sociologue au Centre d’étude du genre à l’université de Lausanne. Il y a des femmes qui, pour plein de raisons, choisissent une activité sexuelle tarifée et indépendante. Mais, pour les féministes abolitionnistes, ce n’est pas une liberté acceptable. »
Depuis le début des années 2000 et encore plus depuis l’émergence du mouvement #metoo en 2017, la question du travail du sexe a été davantage prise en compte au sein des mouvements féministes, relate la chercheuse.« L’expérience et le choix de ces femmes, surtout lorsqu’elles sont issues de classes moyennes et supérieures, peuvent être marqués par les idées et les discours autour de la réappropriation du corps. »
Une référence également au débat autour du travail domestique gratuit, qui trouva son apogée dans les années 1970 et connaît un renouveau depuis une dizaine d’années. Son propos : lutter contre l’invisibilisation du travail domestique féminin -- et, dans son prolongement, des activités sexuelles -- en prônant une rémunération de ces tâches.
La position des abolitionnistes fait bondir Kata. « J’entends souvent des féministes dire : “Moi, je ne pourrais pas vendre mon corps.” Mais le travail du sexe, c’est un travail de soin comme un autre. Je choisis mes clients comme je choisirais n’importe quel mec : il faut juste qu’il soit propre, respectueux, qu’il utilise un préservatif. » Une manière de clarifier ses limites et de poser ses conditions à la relation sexuelle. « Etre une pute, c’est beaucoup plus safe qu’un rendez-vous Tinder ! Je me protège émotionnellement, je dis à mes copines où je suis… » Ses mauvais plans ? Le plus souvent des arnaques ou des lapins. « Si un mec doit me violer ou me tuer, il ne prendra pas la peine de fixer un rendez-vous et de me payer pour ça. »
3/4 - Julie, 44 ans
Puissant tabou
Dans son petit appartement du nord de Paris, Julie, 44 ans, l’assure également : « Les gens pensent que le plus compliqué, c’est de coucher. C’est tout le reste, au contraire : gérer l’administratif, les mecs lourds… » Julie a commencé à 18 ans, à Strasbourg, dans un « bar à champagne -- un bordel, quoi --, par curiosité ». « J’étais à la fac, c’était la première fois que j’habitais seule, sans être fliquée par mes parents. On avait un code, un verre ou une bouteille, pour telle ou telle prestation. Il y avait beaucoup de députés européens, se souvient-elle. Il n’y avait pas de relations sexuelles au sens coït, mais les mecs me touchaient. Ils ne m’excitaient pas forcément, c’était la situation qui était excitante. Quand tu vois le nombre de cons que tu peux te taper gratos, autant demander de l’argent ! Tu passes une bonne soirée, tes collègues sont sympas, les clients te font jouir et tu es payée », explique cette ancienne directrice marketing pour une entreprise de cosmétiques. Julie n’a pas poursuivi l’expérience une fois ses études terminées, mais a continué à « [s’]interroger sur la sexualité ».
Lire aussi (archive 2019) | Emma Becker : « J’ai écrit “La Maison” pour faire des putes des héroïnes »
Depuis un an, la quadragénaire est « domina », c’est-à-dire travailleuse du sexe dans l’univers BDSM (bondage, domination, sadomasochisme). Son deux-pièces est encombré de fouets, de badines, de cache-tétons et d’autres accessoires qu’elle fabrique et vend à un public d’initiés, quand elle ne les utilise pas elle-même, chez elle ou dans des lieux spécialisés. « Je peux ne le faire qu’une fois par mois, mais je me fais 900 euros en une soirée : le BDSM, c’est un sport de riches ! » Une activité tout sauf annexe pour l’ancienne hôtesse de bar. « Pour moi, c’est un vrai métier. Je me rencarde, je lis beaucoup sur le sujet… Hors de question que ce soit vu comme un petit truc à côté, parce qu’on galère et que, comme on est une meuf, ça ne nous gêne pas d’écarter les cuisses contre de la thune. »
C’est que, plus encore que le sexe lui-même, le fait de se faire payer pour cela demeure un puissant tabou. « Quand la sexualité devient un travail rémunéré, on a tendance à considérer qu’elle perd de sa valeur. Comme s’il existait une sexualité totalement désintéressée, une forme d’amour pur. Le travail du sexe questionne notre rapport à l’intime », analyse Pierre Brasseur, professeur à l’Université libre de Bruxelles, qui a travaillé sur les aspects économiques de la sexualité et a mené une étude en 2019 auprès de camgirls et de leurs clients.
Léa, qui travaille dans sa garçonnière, a « voulu faire les choses dans les règles ». Afin de déclarer ses gains, elle avait d’abord créé une autoentreprise.« Je me faisais payer via PayPal, je payais à mon tour des frais en tant que compte professionnel et je déclarais à l’Urssaf. Mais ce compte a sauté, sous prétexte de vente de contenus pour adulte. Cela m’a démoralisée. »
4/4
Lecture de « Balance ton corps »
Mathilde, trentenaire parisienne habituée des clubs et des applications de rencontre, assure « tout assumer ». « C’est quelque chose qui m’intriguait depuis longtemps, raconte cette créatrice d’une entreprise de communication. Il y avait cette volonté de transgression et j’étais séparée de mon compagnon, je venais de fermer ma boîte, j’avais besoin d’argent. Cela m’a permis de sauver un Noël en achetant des cadeaux à mes enfants et à ma famille. Mais, quand tu commences, il y a des moments où tu n’es pas bien dans ta tête : tu es maman et tu as envie de faire un truc fou, tu deviens un peu schizophrène », avoue-t-elle.
Le déclic, pour Mathilde : la lecture de Balance ton corps. Manifeste pour le droit des femmes à disposer de leur corps, de Bebe Melkor-Kadior (La Musardine, 2020). « Elle était féministe, mais aussi escort, et parlait de son métier avec des mots simples, en dédramatisant. J’ai adoré l’idée de reprendre le pouvoir sur son corps en faisant payer les hommes. »
Dans la prostitution, Mathilde voit une manière de faire avancer la cause des femmes, et la société avec. « Je suis tombée sur un jeune homme, peu sûr de lui, avec une grosse cicatrice au visage. C’est OK, c’est pour ça qu’il y a des putes. Un autre m’a dit : je voudrais faire une sodomie, mais les femmes ne veulent pas. Je lui ai montré comment faire ça bien. Ce n’est pas parce que la société dit que c’est mal que c’est le cas. »
Au bout de trois ans, l’expérience a tourné court. « Mon ex-mari a reconnu mon corps sur la photo d’un site -- j’ai un grain de beauté caractéristique. On était en pleine procédure pour la garde des enfants, il a menacé d’en parler à nos avocats. Cela m’a révoltée. » Mathilde a repris un travail salarié, mais l’idée continue de lui trotter dans la tête. « Je ne ferai jamais ça pour me payer des choses de luxe. Mais avoir un boulot à mi-temps, trois jours par semaine, et quelques rendez-vous avec des clients, ça fait envie. »
Je croyais que la prostituion était pénalisée en France
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- Dextre446
- Date de création
- 14 octobre 2024 à 20:38:20
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