Naître PAUVRE
Le 07 septembre 2024 à 18:50:12 :
La pauvreté suinte une odeur, elle se porte à vous comme un parfum, et ses fragrances vous suivent, partout, on sent le graillon de cuisine, quand on est pauvre, le tabac froid des matins, la sueur mal lavée, on porte chaque jour les mêmes frusques, oui, on ne se change pas, on garde tout l'hiver ce pull en laine grossièrement raccommodé, on garde pour dormir, car on ne se chauffe pas, les chaussettes du sport et de l'école, et devant tous, on se répand soi et ses arômes, on est l'enfant sale, le gamin pauvre du village, ah, on vous prend bien en pitié, parfois, puisque vous avez quelques politesses, et la pauvreté vous apprend à en avoir, car c'est là un expédient de survie, quand on demande, quand on quête, un sourire, une phrase bien tournée, fait obtenir plus, c'est tout, mais la gentillesse des uns n'épargne pas la faim, l'estomac se tourne en journée, il gargouille, chante la misère, et on n'a rien pour l'attendrir, cet hurlement, qu'un pain de mie et un peu de beurre, gardé comme un trésor dans un morceau de cellophane, on va le manger à l'écart, sur le banc devant l'église, en contrebas d'un buisson, au bord du ruisseau, car on ne déjeune pas en cantine, quand on est pauvre, et personne ne vient nous chercher à midi, quand on est pauvre, alors on va bouffer seul son repas, et on pleure toute sa misère d'enfant, voilà, on s'instruit bien tôt sur l'insalubrité du temps, on fait connaissance avec le néant des jours, la vacuité sordide du monde, et tout rentre sans peine, à perpétuité, dans le coeur si vaste d'un garçon, on se crée dans ces instants-là des impressions terribles sur la vie, et la pauvreté, même sous l'or des palais, ne nous quitte plus jamais
Le 07 septembre 2024 à 19:54:46 :
Très touché par ce texte. Très bien écrit . Merci l Op
Quel compliment, merci, je suis bien sûr que ces souvenirs sont communs à tous les enfants pauvres, et ils nous touchent même sans les avoir jamais exactement vécus, car nous reconnaissons instinctivement qu'ils sont ceux de notre espèce, oh nous les distinguons entre mille
Le 07 septembre 2024 à 19:52:51 :
Le 07 septembre 2024 à 18:50:12 :
La pauvreté suinte une odeur, elle se porte à vous comme un parfum, et ses fragrances vous suivent, partout, on sent le graillon de cuisine, quand on est pauvre, le tabac froid des matins, la sueur mal lavée, on porte chaque jour les mêmes frusques, oui, on ne se change pas, on garde tout l'hiver ce pull en laine grossièrement raccommodé, on garde pour dormir, car on ne se chauffe pas, les chaussettes du sport et de l'école, et devant tous, on se répand soi et ses arômes, on est l'enfant sale, le gamin pauvre du village, ah, on vous prend bien en pitié, parfois, puisque vous avez quelques politesses, et la pauvreté vous apprend à en avoir, car c'est là un expédient de survie, quand on demande, quand on quête, un sourire, une phrase bien tournée, fait obtenir plus, c'est tout, mais la gentillesse des uns n'épargne pas la faim, l'estomac se tourne en journée, il gargouille, chante la misère, et on n'a rien pour l'attendrir, cet hurlement, qu'un pain de mie et un peu de beurre, gardé comme un trésor dans un morceau de cellophane, on va le manger à l'écart, sur le banc devant l'église, en contrebas d'un buisson, au bord du ruisseau, car on ne déjeune pas en cantine, quand on est pauvre, et personne ne vient nous chercher à midi, quand on est pauvre, alors on va bouffer seul son repas, et on pleure toute sa misère d'enfant, voilà, on s'instruit bien tôt sur l'insalubrité du temps, on fait connaissance avec le néant des jours, la vacuité sordide du monde, et tout rentre sans peine, à perpétuité, dans le coeur si vaste d'un garçon, on se crée dans ces instants-là des impressions terribles sur la vie, et la pauvreté, même sous l'or des palais, ne nous quitte plus jamais
En voilà une idée, mais je n'ai la sensation de n'avoir rien gâché de mes jours, moi, j'ai l'impression de les vivre tels qu'ils étaient prévus, selon le mode d'emploi qui m'a été livré, je ne suis ni plus, ni moins, que ce que je pouvais bien être, en vérité, on a rarement le choix d'être autre chose que ce qu'il était prévu qu'on soit, on ne déjoue la vigilance de ses jours qu'au prix d'efforts très improbables
Données du topic
- Auteur
- Rothirsch1
- Date de création
- 7 septembre 2024 à 18:50:12
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