Soumettre la puissance au droit et faire que la justice soit forte implique une démystification de l’expression mal formée « droit du plus fort » qui aligne deux ordres hétérogènes : celui de la réalité physique et celui de la moralité. Pour Rousseau, nul n’est vraiment maître en raison de la réalité physique, on doit s’appuyer sur la réalité morale : « transformer la force en droit » et « l’obéissance en devoir ». L’expression « droit du plus fort » est un oxymore : la force ne peut relever du droit car obéir à la force n’est ni volontaire ni moral mais nécessaire voire prudent. À supposer que la force soit un droit, aucun ordre politique ne serait possible puisque la force ne tire sa légitimité que d’elle-même et de son avantage sur une autre force. Ainsi l’obéissance stricte à la force nous détourne de tout sentiment de devoir moral, donc de tout droit et de toute citoyenneté (ou du moins de tout sentiment d’appartenance à un État). « Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes ».
Ce chapitre est une continuation critique des Pensées de Pascal (art 298-299), où l’auteur justifiait l’usage de la force si elle a une cause juste : « Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste ». Mais si Pascal se place du point de vue de la force juste, Rousseau se place du point de vue de l’obéissance à la force, comme obligation ou comme contrainte.