Mon explicitation de ce texte des cours d'esthétique de Hegel avec laquelle j'ai eu 20
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le passage que j'explicite :
Ainsi donc, en général, le principe de la subjectivité entraîne avec lui la
nécessité, d’une part, d’abandonner l’union naturelle de l’esprit avec sa
forme corporelle, de se mettre plus ou moins en opposition avec celle-ci,
afin de faire ressortir l’intérieur et de l’élever au-dessus de l’extérieur ;
d’un autre côté, d’ouvrir un libre cours à la représentation de l’élément
particulier et multiple des choses, de favoriser la séparation et le
développement du principe sensible comme du principe spirituel.
Le passage étudié ici décrit le mouvement de séparation nécessaire de l’esprit avec le monde sensible et le repli fatal de l’intériorité sur elle-même qu’il engendre. Hegel suppose une union déjà établie entre le sensible et le spirituel (il parle d’union “naturelle” de l’esprit avec sa forme corporelle), celle-ci n’est jamais substantielle, ni figée, mais prise dans une tension organique et susceptible d’évoluer par différents moments. Esprit et forme sensible pourraient tantôt s’harmoniser parfaitement, tantôt se nier mutuellement. Il y a donc pour Hegel un jeu de contradiction et d’opposition qui anime le développement logique de l’esprit, autrement dit : il y a une vie de l’esprit. Mais dans quel cadre ce couple de l’esprit et du monde sensible s’exprime ? On pourrait distinguer deux domaines qui chez Hegel rendent compte de ce double rapport d’union et d’opposition : l’art et la religion.
L’entreprise artistique, en tant que geste de l’esprit se prenant pour objet, sous-entend déjà une implication réciproque de la forme et du contenu. L’art se défini justement comme une spiritualisation du sensible et les œuvres d’arts sont des produits de l’esprit dont la représentation implique l’apparence, non comme réalité immédiate, mais comme un jaillissement de l’esprit (de l’imagination, des sentiments) qui s’aliène vers le sensible. Pourquoi dès lors ajouter comme le fait ici Hegel, un rapport d’opposition entre les deux, et un abandon de cette “union naturelle de l’esprit avec sa forme corporelle” ? C’est parce que cette union qui s’accomplie dans le domaine de la réalité sensible contredit le concept même d’esprit. On a grâce à cette union une conscience-de-soi mais une conscience de soi dans un objet au travers de la médiation sensible. Vient donc un moment nécessaire où l’esprit désir s’autonomiser et prendre le pas sur le monde sensible. L’esprit doit nier le sensible (l’existence immédiate) pour se sentir et sa savoir lui-même comme esprit et se poser en s’opposant à ce qui est autre que lui. C’est donc une étape de son développement où l’esprit est en-soi mais pas encore pour-soi. Pour qu’il devienne en-soi et pour-soi il faut qu’il nie ce qui l’oppose (ici la forme sensible) pour jouir “de sa nature infinie et de sa liberté”. L’esprit est donc déterminé par essence, par désir de se reconnaitre dans ce qu’il est, à se détacher d’une détermination sensible : d’où l’intervention ici du principe de la subjectivité qui vient résoudre ce point de tension.
Mais le dédoublement du sensible et de l’intelligible a aussi lieu dans la religion. Le passage étudié peut être assimilé à une analogie du drame du Calvaire. Il concentre à lui seul l’image de ce dieu fait mortel, embrassant la condition humaine jusqu’à la mort, signifiant que l’esprit ne surmontera jamais son opposition avec le sensible et qu’il doit donc se replier vers sa vraie nature soit pour ainsi dire faire “ressortir l’intérieur et l’élever au dessus de l‘extérieur”. L’esprit, ayant désormais pris conscience de son infinité, ne parvient plus à se retrouver dans la réalité du monde sensible et sa finitude, il retourne alors sur lui même et se dissous dans sa propre intériorité. Cet épanchement des sentiments intérieurs, cette expression sensible dans un monde au delà du monde, est pour Hegel le régime par excellence de ce qu’il nomme l’état romantique de l’art.
Le principe de la subjectivité est donc un héritage de l’esprit chrétien (soit du triomphe de l’intériorité) et constitue le fondement de l’art romantique. Il désigne l’individualité empirique et sa personnalité intérieure ballottée par toutes les affections naturelles du cœur et de la sensibilité. C’est le principe de l’esprit individuel qui doit composer avec l’immédiateté sensible et exister dans le coté fini et déterminé du monde. Sa réalisation dans l’art va donc exprimer la puissance de l’autonomie de l’esprit, de la richesse de son intériorité, au delà de la perfection d’un pur équilibre avec la forme sensible. “L’élément particulier des choses” signifie que l’art ne cherche pas ici à manifester l’universel mais que l’universel prend la forme du moi dans toute sa subjectivité et “l’élément multiple” signifie qu’il doit cerner la multiplicité des phénomènes qui appartiennent à la fois au subjectif et à la nature extérieure. La peinture est pour Hegel cette forme d’art qui arrive à représenter à la fois le subjectif et la nature extérieure, et accomplir en même temps la séparation et le développement du principe sensible et spirituel. Elle représente certes des objets extérieurs (corps, paysages…) mais ceux ci se virtualisent à travers la vision, l’imagination et l’exécution de l’artiste. Enfin, puisqu’elle abstrait une des trois dimensions de l’espace et prend matière sur une surface plate qui permet la profondeur, la peinture est déjà par essence une manifestation de l’esprit au travail. C’est une forme d’art capable d’exprimer la richesse et les nuances de la subjectivité.
Se pose alors un problème de taille : l’art se défini comme le déploiement extérieur du concept, mais s’il devient concept pur, alors il se galvaude par là même. La perte de foi envers le sensible et cette intériorisation de la vérité qui caractérise la conscience chrétienne annonce la fatale décrépitude de l’art dans la modernité. La séparation du spirituel et du sensible qui avait fait naitre l’art romantique le fera aussi disparaitre : l’homme esseulé au milieu du monde, n’a plus le gout de l’absolu. Il avance à présent dans l’inanité d’une recherche veine d’un idéal déjà évanoui. Don Quichote dans sa lutte entre sa propre passion et la déception du monde, est le symbole pour Hegel de cette chute du divin dans le registre du comique. La subjectivité de l’artiste en vient à prendre le pas sur l’œuvre et s’affranchit de toute forme, de tout contenu. On arrive, avec l’art moderne, au terme de l’art romantique.
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Données du topic
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- DeLaRoche[y_y]
- Date de création
- 26 novembre 2024 à 22:29:25
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