Topic de UNKSRA :

Drumont raconte : comment Adolphe Thiers sauva Jules Bergeret, l'un des chefs de la Commune

  • 1

À propos de Jules Bergeret, Wikipédia nous raconte succinctement que :
« Après la Semaine sanglante, il réussit à quitter Paris et est condamné à mort par contumace par le Conseil de guerre. Il fuit à Londres puis à New-York. »

Comment "réussit"-il, toutefois ? C'est Édouard Drumont qui nous livre la réponse dans le dernier ouvrage qu'il publia, Sur le chemin de la vie, au chapitre "Alexandre Dumas et Nadar". https://image.noelshack.com/fichiers/2020/43/3/1603304270-franck-sourire.png

(…) Nadar, qui a connu toutes les célébrités de son temps, évoquait chaque jour des figures intéressantes et des souvenirs curieux, en ce langage imagé qui était le sien. C'est là qu'il me raconta l'évasion de Bergeret, dont je m'étais entretenu aussi avec Dumas dans les trop courts entretiens que j'avais eus avec lui à Puys.

Nadar avait eu quelques rares relations avec le petit employé photographe qui était devenu le général en chef de la Commune. Une femme arriva un jour chez lui et lui dit que Bergeret était caché chez elle depuis quinze jours, mais que la maison était surveillée et qu'il fallait songer à un autre asile.

- Dites-lui, répond Nadar, de venir ce soir à neuf heures, pas une minute plus tôt, pas une minute plus tard, et recommandez-lui de ne pas entrer par la porte cochère, mais par le vestibule de la photographie.

Quelques minutes avant neuf heures, Nadar dit à son fils et à son commis de prendre un tablier bleu et de laver le vestibule à grande eau. Les badauds qui contemplaient les photographies s'éloignent devant ce déluge. Bergeret entre.

Le lendemain, Nadar s'en fut chez Dumas et lui dit :
- Il faut que vous m'aidiez à sauver un des chefs de la Commune.
- A-t-il pris part au massacre des otages?
- Non... c'est...
- Ne me dites pas son nom... Vous savez qu'en ce qui me concerne, je pilerais volontiers tous ces gens-là dans un mortier, mais je ne demande pas mieux que de vous être agréable. Que faut-il faire ?
- Venez avec moi chez M. Thiers. Vous serez bientôt académicien comme lui et il vous recevra admirablement.
- Soit !

Nadar, accompagné de Dumas, se présenta chez Thiers. Grâce à sa haute taille, l'auteur du Miroir aux alouettes avait toujours exercé une certaine influence sur Thiers qui, comme tous les nabots, était fasciné par les géants. Le Président de la République reçut fort courtoisement ses deux visiteurs et, après avoir remercié Dumas de la dernière Lettre de Junius, dans laquelle il était parlé de lui, il dit à Nadar en riant :

- Comment ! vous n'êtes pas encore fusillé ?
- Vous le voyez, monsieur le Président.
- Qu'est-ce qui vous amène ?
- Je viens vous dire que Bergeret est chez moi depuis trois jours.
- Pourquoi me dites-vous cela ? interrompit Thiers en prenant tout à coup un visage très sérieux et très sévère.
- Pour que vous le sachiez... Je viens vous demander le moyen de le faire partir sans vous compromettre.
- Comment ?
- Vous pourriez donner une mission à un député qui emmènerait Bergeret comme secrétaire.
- Quel député?
- M. Costa de Beauregard.

Nadar n'avait pas oublié que, quelques jours auparavant, M. Costa de Beauregard s'était offert à l'aider à sauver des hommes dont le crime serait exclusivement politique.

- Je ne veux pas d'un député de la Droite.
- La Grande Ourse?
-Cela m'irait mieux.

La Grande Ourse était le surnom de M. Ducuing, député du Centre gauche, fort honnête homme et jouissant d'une certaine influence.

- Je ne veux me mêler de rien, ajouta Thiers ; voyez Barthélémy Saint-Hilaire, vous vous entendrez certainement avec lui. C'est un ange.

Ducuing, après avoir hésité quelque temps, se laissa entraîner par la chaude parole de Nadar. On lui confia, d'accord avec Barthélémy Saint-Hilaire, la mission d'aller étudier le système monétaire belge. Nadar coupa les cheveux de Bergeret. Ducuing lui mit une serviette sous le bras, et tous trois s'acheminèrent vers la gare du Nord.

Nadar, qui avait gonflé là des ballons pendant le siège, connaissait le chef de gare ; il demanda un compartiment réservé pour un député en mission.

A la frontière les choses faillirent se gâter. Le commissaire de police voulait retenir Bergeret qui n'avait pas de passeport. Nadar se dévoua encore ; il alla trouver le commissaire et lui dit : « Mon ami, vous avez une physionomie qui m'est sympathique, et je vous vois avec chagrin vous engager dans une sale affaire. Arrêter le secrétaire d'un député en mission ? c'est très grave ! »

Le commissaire laissa passer Bergeret.

Ducuing n'intervint pas dans ce débat, et pendant tout ce dialogue il donnait les signes d'un certain malaise ; il voyait déjà tous les yeux du Centre gauche fixés sur lui et, comme Arnal dans un vaudeville célèbre, il regrettait « d'être venu avec Gavet ».

Une fois la frontière franchie, Nadar, avec son exubérance habituelle, jeta Bergeret dans les bras de Ducuing en disant : « Vous êtes deux grands cœurs faits pour vous comprendre. Embrassez-vous ! ». « Allez au diable ! » dit Ducuing à Bergeret.

Quant à Bergeret il revint quelque temps après à Paris et Lepère lui délivra un sauf conduit qui fut renouvelé indéfiniment.

Notez que ce Bergeret ne s'était pas contenté de mettre le feu aux Tuileries, ce qui n'était déjà pas mal... Il avait présidé du haut du balcon des Tuileries à l'exécution d'un malheureux pharmacien de la rue de Rivoli, du nom de Kock, dont l'agonie fut horrible. Après avoir été traîné à l'Hôtel de Ville au milieu d'une foule hurlante, il avait été ramené aux Tuileries et fusillé dans la cour en compagnie de quelques infortunés qui étaient à peu près dans le même cas que lui.

Ainsi que je vous le racontais, je me souviens d'avoir rappelé les détails de cette évasion à Dumas, devant un beau paysage de mer. Je lui disais :

« Nadar était dans son rôle ; il était fidèle à ses convictions. Vous obéissiez à un mouvement d'humanité qui vous honore profondément, puisque vous vous êtes laissé traiter de « pourvoyeur du plateau de Satory » par les défenseurs de la Commune sans avoir même daigné rappeler cet épisode... Avouez, cependant, que cette histoire montre bien à quel point le sentiment de toute justice a disparu de ceux qui gouvernent cette nation.

« Pas une seule fois, vous le constatez vous- même, et Nadar l'avait constaté jadis devant moi, Thiers n'a eu l'idée de vous rénondre : Je suis chef d'Etat ; je n'ai pas le droit de me prêter à la comédie pour laquelle vous venez me demander ma collaboration. On a fusillé trente mille Français, parmi lesquels beaucoup n'étaient coupables que d'avoir eu besoin des trente sous de la Commune, et vous voulez que je vous aide à faire échap-per un des chefs les plus compromis. A ma place, monsieur Dumas, le feriez-vous ? »

Dumas m'approuvait et il avait raison.

Ce qui frappe en effet dans les faits contemporains, quand on en prend un au hasard pour le regarder de près, c'est l'absence de tout sens moral, de toute préoccupation d'équité, de tout principe en un mot. Le caprice, la fantaisie, le hasard dirigent tout. Pendant les jours qui suivirent la défaite de la Commune on tirait la vie ou la mort comme la rouge ou la noire aux macarons. Si Tony Moilin avait vécu quelques heures de plus, l'ordre d'arrêter les exécutions sommaires serait arrivé et Tony Moilin serait peut-être ambassadeur de France comme Barrère qui aurait été impitoyablement exécuté s'il avait été pris à ce moment-là.

Bergeret a eu la chance de tomber sur un homme qui avait la bosse du dévouement et qui a conduit un grand écrivain chez Thiers. Cela suffisait pour qu'on donnât une mission spéciale à un député du Centre gauche afin de sauver la précieuse personne de celui qui avait incendié les Tuileries. On fusillait sans pitié, en revanche, des petits soldats qui, abandonnés dans Paris, avaient obéi à la Commune, parce qu'ils croyaient que c'était le Gouvernement.

Qu'est-ce qu'ils en pouvaient savoir ces pauvres? Le 4 Septembre, au matin, ils montaient la garde pour défendre l'Empire, qui avait été consacré quelques mois avant par sept millions de suffrages. Le soir ils montaient la garde à la porte d'insurgés qui avaient renversé l'Empire, et c'étaient ces insurgés, ces Jules Favre, ces Jules Simon, ces Picard qui faisaient tuer les petits soldats parce qu'ils n'avaient pas su discerner où était l'autorité régulière.

Que toutes ces farces sont macabres !

  • 1

Données du topic

Auteur
UNKSRA
Date de création
4 octobre 2024 à 20:34:32
Nb. messages archivés
1
Nb. messages JVC
1
En ligne sur JvArchive 289