Topic de koniyota1489 :

Obésité et transidentité

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J'ai été obèse du milieu du collège environ, à mes 22 ans. C'est une expérience dont je voudrais parler, parce que je crois qu'elle me permet aujourd'hui avec le recul, de mieux comprendre le phénomène des trans, et j'aimerais, s'il y en a qui lisent ces lignes, avoir leur avis sur ce que je vais dire. Si ce processus psychologique a un nom, je veux bien le connaitre, et s'il a une solution, aussi. https://image.noelshack.com/fichiers/2021/43/4/1635454847-elton-john-tison-golem.png

Le divorce de mes parents et le départ d'un père strict et discipliné qui m'obligeait à contenir une tendance naturelle pour le sucre et le gras a provoqué une hécatombe physique me concernant.

J'ai passé quasiment dix ans en état d'obésité, et j'ai développé une manière très particulière de fonctionner.

Il y avait deux Paul (faux prénom que je vais utiliser ici) : le premier : 1m83, 85/80 kilos, musclé mais pas trop, grand, fin, ultra-sociable, une confiance en lui à tout épreuve, réussit à peu près tout et se relève sans problèmes de tous les échecs.

Le deuxième Paul est moins glorieux: il fait lui aussi 1m83, il pèse près de 120 kilos, il est gros, obèse, rigolard et assez sociable mais tout de même assez peureux, il n'ose rien tant la peur de l'échec le paralyse et rien ne lui fait plus peur que d'être rejeté ou moqué par les autres, en particulier pour son poids. Sa vie n'est pas un échec total : il a des notes moyennes, quelques amis même s'il est toujours "le gros" et qu'il se fait chambrer là-dessus, blagues qu'il accueille avec un sourire qui dissimule mal la tristesse infinie que lui provoque ces moqueries.

Le premier paul n'existe pas, il n'est pas réel, il est une version idéalisée de moi-même que j'ai développée, en particulier au lycée. Le second Paul fut le vrai Paul pendant près de dix ans.

Sauf que pour moi c'était exactement l'inverse : le Paul idéal, c'était le vrai moi, caché à l'intérieur du Paul obèse, une statue magnifique que je n'avais qu'à tailler pour faire advenir. Le produit d'une volonté que je n'avais pas réussi à avoir pendant des années mais qu'il me suffirait d'avoir un jour.

Le premier paul est parfait, le second porte sur ses épaules le poids de tous mes échecs, de tous mes complexes, de toutes mes failles.

Je ne réussis pas un oral ? C'est parce que je suis gros, donc d'une manière ou d'une autre (manque de confiance en soi, pas à l'aise, mauvaise image renvoyée) ce n'est pas "vraiment" de ma faute, c'est de celle de mon poids, de mon "gros" moi. Une fille me rejette ? Idem ; quelqu'un ne m'aime pas ? Idem.

Ce gros qui vit en moi, par-dessus moi est une armure, un bouclier, qui me permet de garder mon égo totalement intact.

En 2020, je suis arrivé à ce moment, à 22 ans, ou je me suis dit que j'avais trop tardé à faire advenir ce Paul idéal. Plus je vieillissais, plus ce gros Paul se substituait au "vrai" moi. Il me fallait donc profiter de ce moment de pause dans mes études pour me prendre en main. D'autant plus que j'étais monté à 150 kilos.

J'ai développé, pendant environ 9 mois (j'ai en fait commencé un peu avant le premier confinent dés janvier) de Janvier à Septembre, une routine de moine. Levé à 6h : 1h de marche jusqu'à la salle, 6j/ semaines 2 à 3h de cardio 3j/semaine ; 1h de cardio + 1h30 de muscu les trois autres jours. Retour de la salle : encore 1h de marche. Repas du midi très équilibré, puis environ 3h de marche supplémentaire dans l'après-midi. Plus d'écran après 20h, lecture obligatoire chaque jour après la marche, routine peau. Je ne comptais pas simplement "perdre du poids", je voulais faire advenir cette version idéale, le vrai "moi".

En moyenne, j'ai tenu un déficit calorique d'environ 2500 kcal/jour. Les résultats ne se sont pas fait attendre : j'ai fondu, je perdais au début près de 500 g par jour : de 150 à 130 kg entre Janvier et début Mars, de 130 à 111 entre Mars et Mai, en Mai/Juin, j'ai enfin pris rendez-vous pour me faire circoncire : un phimosis que j'avais depuis des années et que je n'avais jamais eu le courage de régler. Je me fais opérer fin Mai, je ne peux plus faire de sport pendant 3 semaines et plus marcher longuement pendant 1 semaine. Je stagne entre 111 et 105 environ.

Puis c'est reparti : 105 à 93 entre fin juin et fin aout, et enfin, 93 à 89 entre fin aout et fin septembre.

Je me suis radicalement transformé : j'ai pris plusieurs cm (mes disques sont moins compressées et j'ai une meilleure posture, je fais environ 1m85/86, quasiment 1m90 avec des air max ou des bottines), j'ai énormément musclé mes bras et mes épaules, je suis en V, j'ai une mâchoire ciselée, je suis devenu le Paul idéal.

En théorie, parce que dans les faits, même si chaque aspect de mon existence s'est largement amélioré, j'ai l'impression qu'aucun changement radical n'a eu lieu. Je me sens toujours le même, je ne me sens pas énormément plus confiant qu'avant, je sens en moi les mêmes retenues et les mêmes peurs enfouies qu'auparavant. Je ne suis pas devenu un surhomme, une autre personne, la révolution n'a pas été radicale, on a pas décapité la tête du roi, on a juste fait la monarchie constitutionnelle.

Pire : ma haine de moi-même tend en fait à se renforcer : j'ai honte de la personne que j'ai été pendant 10 ans, je fais méthodiquement disparaitre chaque photo de moi. Une photo de moi gros, est exactement à mes yeux, comme une photo qu'on aurait pris de moi en train de déféquer aux toilettes ou dans une autre situation tout aussi compromettante.

La personne sur ces photos n'est pas moi, elle me terrifie, elle me dégoute.

Pire encore, et c'est là que le lien se fait avec les trans, même si vous l'aurez peut-être compris, il est en filigrane de tout ce pavé : je ne supporte plus mes propres amis, qui me renvoient toujours cette image du "Gros Paul", déjà littéralement, parce qu'ils continuent de m'appeler comme ça, et même symboliquement. Tous m'ont largement félicité pour ma perte, mais ils me regardent toujours de la même façon, aucun de semble véritablement subjugué, impressionné par l'effort consternant que j'ai pourtant réalisé en un peu moins d'un an.

J'hésite à couper les ponts : être avec eux, c'est reprendre mon rôle de "Gros Paul", ma place dans cette petite société qu'est un cercle d'amis, au sein de la hiérarchie amicale, n'a pas changée.

Le "Gros Paul", surnom qu'ils m'avaient affublé et qui demeure, est comme un dead name qui me donne envie de vomir.

Encore aujourd'hui, je ne suis pas totalement remis de cette expérience, je suis toujours dégoutée par l'image de moi-même, du moi d'avant, je suis relativement heureux, mais pas totalement bien dans mon corps, j'aimerais parfois être une autre personne, n'avoir jamais été obèse, parce que je comprends peu à peu qu'il n'y a pas et qu'il n'y aura jamais deux moi, que je suis cette personne, l'obèse, la fine, que ces deux aspects sont moi, ont été moi.

J'ai lu certain trans sur twitter parler de leur expérience, et je crois y avoir lu beaucoup de similutes avec mon expérience : cette idée d'un dédoublement de soi, l'attribution à son "soi" mauvais de tous nos défauts, l'idée que le changement radical fera advenir un nouveau soi purifié de tous ces défauts, le dégout envers le soi mauvais, la terreur du "dead name", de tout ce qui peut renvoyer à cette identité rejetée.

Qu'en pensez-vous, je sais que la lecture fut longue, j'espère qu'elle ne fut pas fastidieuse.

Tu as envie d'être maltraité pour ton ancienne obésité.

Tu te rends compte que les changements ne t'apportent pas de sentiments positifs (ca c'est ton soucis)

Du coup tu réequilibres, pour te sentir vivant tu fais une obésité de sentiments négatifs, et qui te ramènent à la souffrance d'antan.

Ton problème n'est pas tant l'obésité, qu'un problème de pulsion, morbide on pourrait dire, ou mortifère, car dans ta démarche, ton moteur a pour essence le mal être.

Et le mal être devient donc ton bonheur.

A toi de voir et de déconstruire ta vision du bonheur, car celle que tu t'infliges est du mal être paradoxalement, et ton gros ventre en était plein, donc tu es nostalgique aussi.

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Données du topic

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koniyota1489
Date de création
28 août 2024 à 07:44:17
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