https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2024/06/12/tout-le-monde-na-pas-une-petite-voix-dans-la-tete/
L’endophasie consiste donc à se parler à soi-même mentalement, en général dans sa langue maternelle et silencieusement.
De fait, de rares études conduites ces dernières années par des psychologues indiquent qu’il existe de grandes variations individuelles en matière d’endophasie, entre 0 % et 100 %. Il semble donc que certaines personnes n’entendent que très peu, voire pas du tout, cette petite voix dans leur tête.
Au terme de leur étude, Johanne Nedergaard et Gary Lupyan indiquent que les personnes n’ayant pas de langage intérieur, donc anendophasiques, éprouvent plus de difficultés que les autres dans la résolution de certaines tâches, en particulier celles impliquant la mémoire de travail, celle qui nous permet de retenir temporairement des informations, pendant quelques secondes ou minutes, comme un numéro de téléphone, un digicode ou le code d’une carte de crédit.
En 2008, les psychologues américains Russell Hurlburt et Sarah Akhter (université du Nevada, Las Vegas) disaient que cette pensée non symbolisée est vécue comme étant « une pensée, pas un sentiment, pas une intention, pas une indication, pas un événement kinesthésique, pas un événement corporel ». Et de citer un exemple, celui d’Abigail qui se demande si Julio (son ami qui la raccompagnera cet après-midi) viendra la chercher avec sa voiture ou sa camionnette, mais sans que cela n’évoque en elle aucun mot (pas « Julio », pas de « voiture »), ni aucune image (pas d’image de Julio, de sa voiture ou de sa camionnette). La question forme un tout unique indifférencié, en l’absence de symbole d’aucune sorte. De fait, Abigail se pose la question mais sans parvenir à décrire la manière dont elle la formule dans sa tête.
Interrogé sur son mode de pensée, Albert Einstein n’avait-il pas confié au mathématicien Jacques Hadamard que « les mots et le langage, écrits ou parlés, ne semblent pas jouer le moindre rôle dans le mécanisme de ma pensée. Les entités psychiques qui servent d’éléments à la pensée sont certains signes ou des images plus ou moins claires, qui peuvent à volonté être reproduits et combinés ». Sa pensée productrice pouvait donc être initialement abstraite avant d’être formulée dans un second temps, c’est-à-dire exprimée verbalement pour autrui.
Impossible de conclure ce billet de blog sans parler de situations dans lesquelles le langage intérieur est excessif, intrusif, au point de devenir invalidant. Tel est notamment le cas dans les ruminations mentales, ces pensées récurrentes négatives survenant en dehors d’une quelconque sollicitation contextuelle (« Je n’arrive pas à me concentrer », « Vais-je m’en sortir ? »). Les ruminations prédisent des épisodes dépressifs et entretiennent la dépression. Par ailleurs, ce discours intérieur intrusif est considéré comme extérieur dans les hallucinations auditives verbales, qui sont un symptôme fréquemment présent dans la schizophrénie (dans 50 % à 80 % des cas).
