Pour la diplomatie, cela s’appelle un embarras protocolaire. Pour l’autorité judiciaire française, c’est un camouflet. Et pour la victime présumée, un viol. Un crime d’autant plus traumatisant qu’il risque de rester impuni. Visé par une enquête du parquet de Paris pour « viols sur mineure de plus de 15 ans par ascendant », un colonel camerounais, affecté à l’ambassade de son pays, est pour l’heure intouchable.
Les policiers n’ont pas même pas pu l’interpeller. Dès le premier contact avec les forces de l’ordre, le suspect a brandi son immunité diplomatique. Un totem qui a complètement bloqué l’enquête. L’affaire ferait désormais l’objet d’une « discussion » entre les deux pays.
Le soir du samedi 25 mai, une femme appelle le Samu. Sa belle-fille âgée de 16 ans souffre de douleurs au niveau du vagin. Elle est là avec elle. C’est apparemment son père qui l’a violée. Les secouristes foncent sur place en prévenant la police. Mais à leur arrivée, la victime n’est plus là. Elle s’est rendue chez une proche. Le médecin appelle l’adolescente et la convainc de revenir. Elle accepte, mais pas question qu’elle ne parle à la police.
Comme convenu, la jeune fille revient sur place. Accompagnée de sa sœur et de sa cousine, elle est conduite par les secouristes à l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu (IVe). Selon nos informations, les médecins constatent une fissure de son périnée. La victime est sous le choc. Elle est finalement conduite au commissariat du XVIIIe. Pendant ce temps, les policiers appellent le père de l’adolescente. D’emblée, cet homme de 47 ans, inconnu des services, brandit son immunité diplomatique.
Le lendemain matin, le parquet de Paris confie l’enquête à la brigade de protection des mineurs, le service spécialisé de la police judiciaire. La jeune fille est entendue. Elle confirme qu’elle a bien été violée ce soir-là. Et d’après elle, c’est la troisième fois que cela arrive. Et le père pendant ce temps ? Son cas est aujourd’hui entre les mains du ministère des Affaires étrangères. L’après-midi, la réponse tombe : le suspect est bien accrédité auprès du protocole en qualité d’attaché de défense adjoint à l’ambassade de la République du Cameroun à Paris.
En clair, c’est un « agent diplomatique », et, à ce titre, il « bénéficie des immunités prévues par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 et notamment d’une immunité de juridiction et d’une inviolabilité qui s’étend également à son domicile et celui de sa famille ».
Circulez, il n’y a rien à voir ? Même pour des viols ? « La question n’est pas encore tranchée », espère une source proche de l’enquête. L’autorité judiciaire devra-t-elle manger son chapeau ? Oui, sauf si l’immunité diplomatique du colonel est levée. Encore faudrait-il que le Quai d’Orsay en fasse la demande auprès du Cameroun.
Le ministère des Affaires étrangères, qui a un service dédié au protocole et aux immunités diplomatiques, botte en touche : « S’agissant d’une procédure judiciaire en cours, il ne nous appartient pas de nous exprimer sur ce cas ». On ne sait donc pas si la France a demandé la levée de l’immunité diplomatique. Si tel était le cas, il faudrait ensuite que le Cameroun, dont nous avons contacté en vain l’ambassade, accepte. En cas de refus, le ministère pourrait alors faire une « dénonciation officielle ».
« Dans ce genre d’affaires, tout se règle au cas par cas, souffle une source diplomatique. Quand il s’agit d’infractions mineures, on laisse couler. Pas question d’entamer des tractations pour une contravention ». Pour des délits sans victime, comme du trafic de drogue, là aussi tout s’arrête. En 2017, le fils d’un personnel de la diplomatie camerounaise, soupçonné de se livrer à du business dans une cité de Villejuif (Val-de-Marne), avait été sorti de garde à vue sur ordre du Quai d’Orsay. Les policiers, qui avaient été copieusement insultés par l’intéressé, avaient même dû rendre l’argent saisi.
Quand, en revanche, il y a une victime à gérer, c’est plus délicat. Visé par une enquête pour viol et violences volontaires après des plaintes de deux anciennes employées, l’ambassadeur du Liban Rami Adwan avait été rappelé dans son pays en juin 2023. Toujours l’année dernière, à Paris, un peintre en bâtiment avait eu la jambe broyée par un chauffard dont le véhicule était équipé de plaques diplomatiques guinéennes. D’après Me Ballal Dilawar, l’avocat de la victime, si la plainte végète encore au commissariat du XVIe, la médiatisation de l’affaire avait néanmoins permis d’obtenir 5 000 euros de provisions avec les assurances.
Pour l’affaire impliquant le colonel camerounais, impossible de savoir si l’enquête a une chance d’aboutir. La jeune fille, qui était très réticente à l’idée de témoigner, craignant notamment de se retrouver en foyer, a bien été placée. Elle a aussitôt fugué.
Source : https://archive.is/20240605185710/https://www.leparisien.fr/faits-divers/paris-soupconne-de-trois-viols-sur-mineure-un-colonel-camerounais-avance-limmunite-diplomatique-05-06-2024-4327NG5HIZG7PEQMBFKV5RKFNU.php
