Topic de ContrapunctusIV :

Les putes-à-fiches

Supprimé
  • 1

Elles étaient les Ergastines des cortèges anti-CPE, les habituées des boules Quies, les buveuses d’eau compulsives aux examens.

Elles sont là sur les bancs des campus, un Starbuck en main, le dernier iPhone dans la poche arrière ; un crop-top sous leur manteau ouvert laisse leur ventre bien apparent ; aucun soutien-gorge, un jean large et des Air Force 1. Une longue chevelure lisse leur tombe jusqu'au milieu du dos.

Elles sont étudiantes en histoire, sociologie, droit, économie ou sciences de gestion. Toutes leurs études sont motivées par la volonté de servir les puissants un jour.

Après leur licence en sciences molles, elles se dirigent vers des Masters en journalisme ou en sciences de gestion. Elles rêvent d’Amérique, de start-up et d’écrire pour Rue89.

Tout ce qui est doxa, discours dominant les attire. Elles ont conscience d’exister dans cette médiocrité qui les accepte.

Elles peuvent également être appréciées pour leur physique et leurs fautes d’orthographe plutôt rares après des années à réviser leurs fiches de grammaire. C’est ainsi qu'Émilie la dyslexique finit chef de projet et que Mélanie la bégayeuse devint R.H.

Ce sont des robinets d’eau chaude de bien-pensance, tout ce qui est dissident les rebute et les choque.

Face à leur manque de culture, elles vont serrer le poing, redoubler d’efforts, relire continuellement leurs fiches Bristol barriolées de traces de surligneurs jusqu’à réciter des simagrées de banalités, pour ensuite se confier en sanglots à Hugo du cours d’anglais. La confidence est une thérapie pour ces jeunes filles. Elle leur permet d’avoir la conscience de souffrance.

Frida Kahlo, Olympes de Gouges, Angèle sont quelques-unes de leurs idoles. Elles aiment avertir sur les inégalités homme-femme, le racisme, la destruction des forêts par les multinationales.

Elles passent chaque jour une vingtaine de minutes à faire défiler les hommes sur Tinder, gloussant en groupe quand un moche s'impose à elles, s'extasiant quand apparaît un faciès agréable.

Ces putes-à-fiches ont souvent à leur disposition une garde rapprochée de demi-femmes. Hugo en est un exemple. Il est dans la zone d’amitié depuis qu'il connaît Mélanie. Il suit continuellement cette pute-à-fiche à la BU dans l’espoir d’obtenir un jour un baiser. Mais Mélanie sort avec Enzo le desco, un bad-boy rencontré un peu par hasard alors qu'il abordait aux alentours de la fac. Enzo a arrêté définitivement les cours après une année passée en lycée pro, et il a fait un peu de prison par la suite. Cela ne dérange pas Mélanie, qui apprécie les hommes de caractère ; chose paradoxale pour une féministe me direz-vous, mais Mélanie, selon ses propres mots, « aime la contradiction ».

Pour Hugo, la pute-à-fiche est tellement amoureuse qu’elle est aveuglée. « Et si pour l’aider je dois la détourner vers moi afin qu'elle ait conscience d'être manipulée, lui fais-je du bien ou du mal ? » Hugo veut sans doute que Mélanie comprenne qu'il pourrait faire son bonheur. Pendant qu’il se perd dans des questionnements vains, Enzo, lui, fourre la belle allègrement et quotidiennement.

En fait, Enzo procure à Mélanie ce qu’Hugo le cultivé rêveur ne peut pas : les émotions. La pute-à-fiche est obsédée par les émotions. Ce qu’elle nomme « émotion » désigne en réalité la culture de l’instant. L’épopée napoléonienne, la lecture des vers de l’Illiade ou la portée de la mort de Socrate l’ennuient profondément. Ce qu’elle désire c’est de l’émotion brut, celle que l’on retrouve dans la littérature de supermarché. Après un week-end entier à la BU, Mélanie la lectrice médiocre dévore Musso, Lévy et Nothomb.

Il lui arrive par moment de lire Tahar Ben Jelloun, auteur qui lui a été conseillé par Samia, son amie maghrébine, elle aussi pute-à-fiches. Mélanie se permet par moment de l'appeler « ma petite arabe ». C'est l'émotion, c'est l'émotion.

Quant aux émotions d’Enzo, elles, la font passer du rire aux larmes - c’est le supplément d’âme de ces études qui l’épuisent. Il peut arriver qu’elle craque mais Hugo est toujours là en réserve. En effet, Mélanie peut compter sur lui pour accomplir avec zèle son rôle de gigolo intellectuel.

Mélanie est à bout. Tourmentée, elle se verrait bien confier sa charge mentale sur TF1 dans Confessions intimes, devant la webcam installée au fond des chiottes du F2 de son homme chômeur.

Mais la pute-à-fiche, bien qu'elle n'ait jamais lu une phrase de Marx, appelle sans relâche à une conscience de classe étudiante. Oui, elle est étudiante, et elle en est fière (elle le rappellera 10 ans plus tard dans les colonnes de Rue89).

Elle est étudiante, contrairement à Vanessa-CAP de Confessions intimes, sans diplôme. Pour Mélanie, il existe entre elles un écart infini, insurmontable, et pourtant, tout rapproche ces deux filles.

À la différence qu'à 30 ans, Vanessa ne possède pas les moyens de ses ambitions. Mélanie, elle, peut se venger sur le stagiaire et l'employé fainéant en exposant ses diplômes, après avoir serré le poing et bien tenu ses fiches durant sa vie estudiantine, alors complexée par ces étudiants si paresseux. Évidemment, Enzo n'étant plus à sa hauteur, elle a changé de partenaire entre-temps. Mélanie est désormais en couple avec Romain, un manager ambitieux et fortuné - lui aussi a suivi des études de gestion - aux opinions politiques bien éloignées de ce que Mélanie appelle la « conscience de classe ». Oh, elle le changera, c'est sûr. Mais en attendant, c'est encore le seul qui l'emmène à Courchevel et dans des galeries d'art.

AYAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA MORE L'OP, ENVOIE LA SUITE PUTAIN ENCORE CETTE CRUXIFICTION https://image.noelshack.com/fichiers/2023/44/7/1699147784-rire-ayaa-risitas-deforme-ayaaa-aya-deratiseur-zoom.png
  • 1

Données du topic

Auteur
ContrapunctusIV
Date de création
2 mars 2024 à 20:46:28
Date de suppression
2 mars 2024 à 22:23:00
Supprimé par
Modération ou administration
Nb. messages archivés
2
Nb. messages JVC
2
En ligne sur JvArchive 254