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En pleine pénurie de médecins, les ratés de la réforme des études de santé

Saisi par un collectif de parents et d'étudiants, le Conseil d'État a sommé le gouvernement de revoir, d'ici juin, les modalités de sélection.

Beyer, Caroline

page 9
C'est un fait désormais avéré. La grande réforme des études de santé, annoncée en 2018 par Emmanuel Macron et mise en place tambour battant en 2020, n'a pas été suffisamment pensée et anticipée.

Elle ambitionnait de mettre fin à un système qualifié d' « absurde » par le chef de l'État - avec son taux d'échec massif en première année - et de diversifier le profil des futurs médecins. Elle s'est cassé les dents sur la réalité. Sur le territoire, les voies d'accès se sont multipliées et les universités, autonomes, ont agrémenté à leur sauce les modalités de sélection et d'admission. Pour les lycéens et leurs familles, le système est devenu illisible, car trop complexe. De leur côté, les étudiants engagés dans ces études estiment trop souvent avoir été trompés sur la marchandise. On leur avait vendu la fin du numerus clausus et la possibilité de devenir médecin en faisant une licence de droit ou de lettres. Ils ont découvert que les places étaient toujours aussi chères et qu'il valait mieux avoir de solides bases scientifiques pour embrasser la carrière. Pendant ce temps, la France manque toujours cruellement de médecins. Au point que le premier ministre, Gabriel Attal, dans sa déclaration de politique générale du 30 janvier, a annoncé la nomination prochaine d'un « émissaire chargé d'aller chercher à l'étranger des médecins qui voudraient venir exercer en France » . C'est à n'y rien comprendre.

Fin décembre, le Conseil d'État a implicitement pointé le manque d'anticipation de l'exécutif dans la préparation de sa réforme des études de santé. Saisie pour la troisième fois par le collectif de parents et d'étudiants Pass-Las, qui réclame depuis trois ans l'abrogation de la réforme, la plus haute juridiction a constaté que les textes de 2019 étaient « entachés d'illégalité ». Estimant que le décret était imprécis et donnait trop de marge de manoeuvre à chaque université, il a sommé le gouvernement de revoir, d'ici juin, une partie des modalités de sélection des étudiants admis en deuxième année. En cause, la nouvelle épreuve orale. Elle était l'un des éléments clés de la réforme, destinée à prendre en compte les qualités orales et humaines des futurs médecins et mettre fin à un système accusé de faire la part belle aux « bêtes à concours ». Sans lien avec les études réalisées pendant l'année, cet oral est une « mise en situation ». Et donne lieu, selon les universités, à des situations pour le moins variables, voire rocambolesques. À Rouen, les étudiants sont interrogés sur des Prix Nobel, en sciences comme en littérature, et doivent expliquer ce qui a conduit une personnalité à une telle consécration. «Mais on trouve de tout, explique Emmanuel d'Astorg, du collectif Pass-Las. Des commentaires de peintures comme des jeux de rôle plaçant les étudiants dans des situations qui n'ont rien à voir avec la médecine. Il y a autant de manières de faire que d'universités » , résume-t-il. Mais c'est surtout le poids de cet oral qui interroge. Selon les universités, il pèse à hauteur de 30 % à 70 %. Quand il atteint cette dernière proportion, il écrase les épreuves écrites qui, dans le système actuel, ne sont pas conçues comme un premier filtre. «Il faudrait peut-être envisager un système d'admissibilité écrite, puis d'admission orale, comme le font les grandes écoles , estime Benoît Veber, président de la Conférence des doyens des facs de médecine et doyen à Rouen. Quoi qu'il en soit, 70 %, c'est trop selon moi. Dans sa décision, le Conseil d'État a demandé aux universités d'être plus jacobines. Il faudrait discuter d'une fourchette fixée entre 20 % et 35 %, poursuit-il. Par ailleurs, si l'on suit la logique de sélection de bons communicants, il faudrait s'interroger sur la situation des « grands classés » » , ajoute-t-il. Car si la réforme a réfuté rhétoriquement l'idée de recruter des petits génies des maths évalués sur QCM, elle a dans le même temps réservé 50 % des places ouvertes dans sa principale filière d'accès à la médecine (Pass) aux premiers du classement. Ces « grands classés » sont dispensés d'oral. Illogique.

Mais le point le plus fondamental de la réforme est la mise en place de deux filières pour remplacer la « Paces » (première année commune aux études de santé). Dans l'ancien système, le taux de réussite en fin de Paces n'était que de 16 %. Un échec massif .Pour mettre fin à ce gâchis, la réforme a fait le choix de deux filières permettant de suivre une licence, sans perdre de temps. La première, la « Pass » , est une année spécialisée en santé, avec une coloration dans une autre discipline. À l'issue de cette année - qu'il n'est pas possible de redoubler -, l'étudiant peut être admis dans l'une des cinq voies de la santé (médecine, pharmacie, dentaire, maïeutique, kinésithérapie). La seconde, le « Las » est une licence dans n'importe quelle discipline avec une « mineure » santé. Si l'étudiant obtient la moyenne dans cette mineure, il peut postuler au concours, deux fois seulement. Sur le papier donc, toutes les disciplines, de l'histoire aux maths en passant par la biologie, permettraient d'envisager la médecine. L'offre de formation est d'ailleurs pléthorique. «Mais on constate aujourd'hui que les Las dysfonctionnent. Certains profils ne sont pas adaptés. Être médecin et juriste, c'est très intéressant, mais il faudrait pour cela faire un vrai double parcours » , résume le doyen Benoît Veber. Les chiffres lui donnent raison. Les étudiants admis dans les études de santé sont à 71,5 % issus de la « Pass » , l'ancienne filière. Une fois dans ces études, ils affichent un taux de réussite en fin de deuxième année de médecine de 80 %. Contre 40 % pour les « Las ». Les étudiants ont intégré cette réalité implacable et les universités, au fil des trois années écoulées, ont ainsi vu le nombre de « Las » diminuer. L'idée, à travers cette seconde voie, de diversifier les profils - mais aussi de mieux irriguer le territoire pour répondre à la désertification - n'a pas atteint son objectif.

Pourtant, le nombre de candidats aux études de médecine explose. En 2023, sur plus de 600 000 lycéens ayant candidaté sur Parcoursup, 10 % ont postulé en « Pass » et 19 % en « Las ». Il faut dire qu'en 2018, le président Macron avait annoncé la fin du fameux numerus clausus, ce « système absurde » entretenant une « rareté artificielle », alors même que « nous n'avons pas assez de médecins » , expliquait-il alors. Le numerus clausus, qui était fixé chaque année par les ministres de l'Enseignement supérieur et de la Santé, a été remplacé par un « numerus apertus » , défini par chaque université, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), en fonction des besoins des territoires et des capacités d'accueil des formations. Malgré ses efforts, le gouvernement n'a finalement relevé que de 15 % le numerus apertus, qui retrouve ainsi le niveau de formation constaté dans les années 1970. Pour 2024, 15 000 places sont ouvertes en médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie.

«La réforme des études de santé repose sur deux mensonges : l'idée que l'on a ouvert les vannes et qu'il n'y a plus de concours , assène Emmanuel d'Astorg, du collectif Pass-Las . Le paradoxe, c'est que l'on n'a jamais vu autant de jeunes partir faire leurs études de médecine à l'étranger ! En Roumanie, une deuxième fac de médecine a ouvert. Elle propose des cours en français sur les trois premières années. En Belgique, les candidatures françaises ont augmenté de 150 %. Ils ont même ouvert un numerus clausus. » Dans ce contexte, la phrase du premier ministre, le 30 janvier, sur un futur « émissaire » chargé d'aller débaucher des médecins à l'étranger, est mal passée. « C'est une insulte aux jeunes qui veulent se lancer dans ces études , poursuit Emmanuel Astorg. C'est aussi une vision très néocolonialiste que d'aller chercher des forces vives ailleurs pour les faire venir chez nous et les payer moins ! »

«Commençons par régulariser les médecins étrangers qui font tourner nos petits hôpitaux , estime de son côté Benoît Veber, le président de la conférence des doyens de médecine. Paradoxalement, nous n'avons jamais autant formé de médecins en France, ajoute-t-il. Mais nous avons mis en place un système hydraulique qui fuit, avec beaucoup de pression à l'entrée et une multitude de gouttes qui s'échappent avant la sortie. Au moment de l'internat, les cartes sont rebattues et l'on trouve beaucoup plus de médecins dans le sud de France. Notre système permet l'installation d'un énième ophtalmo dans le 16e arrondissement parisien ou à Nice. Il faudrait un vrai courage politique » , conclut-il. En attendant, le gouvernement doit plancher, d'ici juin, sur les modalités d'admission en études de santé. «Nous menons actuellement une réflexion pour prendre en compte les effets de la réforme et continuer à rendre l'accès à ces études plus lisible , explique-t-on au ministère de l'Enseignement supérieur. Un bilan est en cours. Il doit conduire dans les prochaines semaines à une large concertation pour une révision de la réforme. » Celle-ci pourrait entrer en vigueur à la rentrée 2025.

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16 février 2024 à 10:52:28
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