Le mercredi à dix-neuf heures, tu n'es pas en garde à vue ou en prison ou en hôpital psychiatrique, mais c'est tout comme. L'argent, tu en as entendu parler, on te l'a promis, comme l'amour, l'amitié, les filles, la vie, Dieu et tout le reste. Mais il n'est pas là. Pas ici. Il est ailleurs. La vie est ailleurs. Tout ce qui compte véritablement est absent de ces quatres murs qui te compriment, te condensent. L'écran. Lisse, luisant, comme un calvitié dont le crâne serait transparent et dont le cerveau serait visible, ainsi que les pensées. Cette vision te fait sourire. Tu continues. Tu penses à une bouteille de whisky volée en troisième à l'épicerie du coin, à une boîte de chocolats promise à la serveuse de ce fast-food pour une des nombreuses Saint-Valentin de ton adolescence que tu n'as finalement jamais offerte ; tu te souviens de la cruauté, des crayons de couleurs, des têtes de poupées arrachées, des voitures télécommandées sans roues, des tronçonneuses, des ballons de football et du chewing-gum sans sucre, de l'odeur du gazon, de ton père à genoux devant la télé, et tu rigoles. Demain, il pleuvra toute la journée, tu te mettras à dessiner des scorpions, des léopards, des hommes à visages d'oiseaux, tu rêveras de champs de maïs qui s'enflamment avec des enfants dedans, et Montevideo sera toujours la capitale de l'Uruguay. Tu apprendras que le chèque du loyer n'est pas passé, qu'une imprimante laser coûte plus cher à l'achat qu'une imprimante à jet d'encre mais te fera moins dépenser sur le long terme, que Charlie Chaplin a fini troisième d'un concours de sosies de Charlie Chaplin, que Mikhaïl Gorbatchev n'est mort que l'année dernière, et tu le placeras au milieu d'une conversation imaginaire entre une analyse de France - Grèce et des commentaires acerbes sur la stratégie marketing d'Electronic Arts. Tu n'auras personne pour te contredire, tu t'endormiras plus tôt que d'habitude, et tu te souviendras de ranger les pâtes à la sauce bolognaise au frigo pour éviter qu'elles ne s'oxydent.
