Cette nuit j'ai fait un rêve.
J'allais au cinéma pour assister à l'avant-première d'une énième comédie de Christian Clavier.
Gérard Depardieu y était invité.
La chaleur était étouffante, et l'air de la salle, vicié.
En traversant les rangées, Gégé me demanda courtoisement s'il pouvait s'asseoir à côté de moi pour voir le film, et j'en étais ravi.
- « J'aime beaucoup ce que vous faites », lui dis-je.
- « Ah bah ! Merci, c'est gentil ça », lança Gégé.
Au moment de poser son séant, il avait déjà accaparé deux banquettes et débordait dangereusement sur la mienne.
Les lumières de la salle se tamisèrent, et je le vis sortir de sous son siège un immense sac en papier suintant de graisse, rempli de morceaux de couenne de porc taillés en bandelettes, qu'il commença à s'enquiller dans le goitre, en les aspirant comme des tagliatelles, ce qui produisait des bruits de succion ridicules.
Dans la foulée, je le vis ratisser péniblement de ses pieds sous le siège en face de lui, et finir par en dégager une cordelette, elle-même rattachée à une sorte de grosse outre.
Il prit directement la rasade (en en renversant une bonne partie sur son marcel déjà léopardé) de ce qui semblait être un vin épicé, à forte odeur de cannelle... « De l'hypocras », pensai-je, « il va s'enquiller de l'hypocras, le sagouin ».
Il me tendit l'outre, mais j'étais trop gêné par le dérangement qu'il causait aux autres spectateurs, d'autant plus qu'il éructait, flatulait, haletait, et se raclait la gorge bruyamment, sans une once de vergogne.
Les gens montraient des signes d'irritation, à cause des bruits et de l'odeur d'un seul et même homme.
On l'entendit même brusquement hurler « LA CHAAATTEUH ! LA CHATTE ! » (alors que rien à l'écran ne le justifiait), avant de reprendre « normalement » ses activités.
Plus tard, il ôta (non sans effort) ses godasses, des mocassins en cuir brun fauve.
A cet instant j'étais soulagé pour lui, vu comment ses arpions enflés débordaient largement des grolles.
Aux odeurs de macération et de fermentation se mêlait celle des repas précédents de Gégé qui exsudaient par ses pores, puis vint en sus celle des pieds puants, qui m’enveloppaient dans une flétrissure abominable, et qui désormais, s'annonçaient pour moi comme une sentence de mort.
Ce bouquet nouveau... cette chaleur suffocante... j'en avais la nausée, c'en était trop.
Je le voyais trifouiller au fond de son sac de couenne, et assécher son outre.
« Bon... Plein le fion », dit-il sur un ton définitif en me claquant sa paume sur la cuisse, « faut vidanger ».
Il remit ses mocassins, se leva en lâchant dans un bruit sourd une énorme ruine qui, par conséquent, surgit en une vaporisation prismatique au fond de son bermuda (certifiée vue, de mes yeux vue), puis il racla le fond de ses fouilles dans un bruit de tintement. Il en sortit quelque mitraille, qu'il me tendit « pour la peine », en m'adressant un sourire enjoué.
Il remonta son bermuda, puis la rangée de sièges, et s'en alla tout rougeaud avant la fin de la séance, la grosse outre en bandoulière, le sac de couenne en baluchon.