Viande des grisons et fromage de chèvre
En parallèle, sa mère, Stéphanie D., est depuis visée par une enquête pour «soustraction par un parent à ses obligations légales compromettant la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant», ainsi que pour «privation de soins ou d'aliments». Dans l'attente de son procès, prévu le 5 octobre prochain, elle est laissée libre sous contrôle judiciaire et bénéficie d'un droit de visite médiatisée d'une heure et demie, deux fois par mois.
Du haut de ses 14 ans, Pierre-Alexandre nous fait part de son incompréhension. «Je suis très triste d'être loin de ma maman. Au foyer, je suis anxieux et sur mes gardes… Je n'attends qu'une chose, c'est de la retrouver», confie-t-il quand nous le rencontrons. Il estime n'avoir jamais manqué de rien lorsqu'il vivait avec sa mère dans ce «logement comme un autre, avec des affaires entassées à droite à gauche», où il dormait dans ce qu'il décrit comme «un salon-chambre», tandis que Stéphanie D. s'installait «un futon dans la salle de bains».
«Je pèse entre 28 et 33 kilos mais j'ai toujours mangé à ma faim», affirme-t-il en brandissant deux tablettes de chocolat qu'il transporte dans sa sacoche. «À la maison, si j'avais un petit creux, je pouvais prendre ce que je voulais. Surtout de la viande des grisons et du fromage de chèvre, j'adore ça», précise-t-il. «Depuis que je suis au foyer, c'est tout l'inverse. La qualité de la cantine est déplorable. Je dois acheter ma propre nourriture avec l'argent que ma mère me donne quand on se voit», détaille l'adolescent très loquace.
Au moment où nous le rencontrons, Pierre-Alexandre - qui n'a jamais mis un pied à l'école - s'exprime sans aucune difficulté, dans un vocabulaire semblant bien plus riche et varié que celui des adolescents de son âge. En optant pour une éducation à domicile sans pour autant n'avoir jamais demandé -
ni obtenu - l'autorisation nécessaire du directeur académique des services de l'Éducation nationale, sa mère a contrevenu au cadre légal de l'instruction obligatoire des enfants de 3 à 16 ans. Comme elle l'affirmait précédemment au Figaro , Stéphanie D. a préféré instruire son enfant «de manière autonome», en l'emmenant elle-même au musée, à la bibliothèque, au cinéma ou en flânant entre les étals des bouquinistes, plutôt que de s'en remettre à l'Éducation nationale. Pour autant, la quadragénaire à la voix fluette et au style vestimentaire suranné soutient n'avoir jamais interdit à Pierre-Alexandre de développer une vie sociale.
Tournoi de cartes Pokémon
«Vu comme ça, on pourrait croire que je vivais comme un vampire, sourit l'adolescent. C'est absolument faux ! Je n'ai jamais vécu reclus. Je participais à des tournois de cartes Pokémon, par exemple. C'est dans ce genre d'endroits que je me suis fait des copains de mon âge. J'avais un environnement très riche, j'allais chez des antiquaires, chez des libraires, je faisais des activités que j'aimais», décrit-il. «Là où je suis maintenant, je subis le racket, les violences et les insultes des autres enfants. L'un d'entre eux m'a volé mes lunettes de soleil et mon chapeau et il m'a lancé des cailloux», déplore le garçon qui préfère désormais «rester dans sa chambre et lire des livres» pour éviter d'être pris à partie.
Selon nos informations, depuis le début de l'affaire, Stéphanie D. refuse toute collaboration avec l'aide sociale à l'enfance et la justice. Un comportement qui intrigue et qui ne fait qu'aggraver la situation. «C'est une mère qui n'est pas encadrante. L'enfant mangeait ce qu'il voulait, il avait une mauvaise hygiène alimentaire, il apprenait ce qu'il voulait», nous glisse une source proche du dossier. «On est dans une affaire atypique, avec des personnages un peu fantasques», tentent d'éclaircir les avocats de la quadragénaire, Mes Emmanuel Ludot et Thomas Koukezian.
«Cet adolescent n'a jamais manqué d'affection, soutenait précédemment Me Ludot, contacté par Le Figaro. Je dirais qu'il est en quelque sorte trop aimé, dans une relation fusionnelle avec sa mère, une espèce de prison affective». Mais alors, la mère exerce-t-elle une forme d'emprise sur son fils ? Cet ascendant pousse-t-il l'adolescent à légitimer la situation dans laquelle il vivait ? Me Ludot explique être «dans l'attente d'un bilan de santé et d'un bilan pédagogique car, pour l'instant, on reste sur les conclusions péremptoires des médecins du mois de juillet 2022».
Un premier signalement à Paris
Ce n'est pas la première fois que le binôme mère-fils interpelle les services sociaux et la justice. Le 17 août 2021, alors que la famille habitait à Paris, un juge des enfants a été saisi à la suite d'une «information préoccupante transmise aux services sociaux, la mère s'étant soustraite à l'évaluation de la situation de son enfant mineur», nous indique le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc. Après avoir déménagé en Bretagne, elle n'a «jamais répondu au juge des enfants et ne s'est pas présentée devant lui».
Un an plus tard et près de 400 km plus loin, Stéphanie D. a donc été rattrapée par les autorités. Le 5 octobre prochain, la quadragénaire aura l'occasion de présenter sa version des faits devant le tribunal. Entre une mère et un fils qui crient à l'injustice et des professionnels de santé qui tirent la sonnette d'alarme sur un cas a priori de maltraitance, le président de la chambre correctionnelle devra trouver où placer le curseur. Stéphanie D. encourt jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende. De son côté, Pierre-Alexandre s'imagine déjà contraint de rester en foyer jusqu'à ses 18 ans. «Je ne vois pas où est la protection de l'enfance dans cette histoire. J'entrevois un futur incertain, le foyer est une fabrique de l'échec», tance-t-il sur un ton un brin péremptoire.
*Le prénom a été modifié afin de préserver l'anonymat de l'intervenant, mineur.
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