[PAVE] L'enfer de l'usine
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Se lever à 4h du matin, une heure tellement pas naturelle pour arracher son corps du lit, se lever en ayant envie de crever, choper son vieux sac de merde qu'on lave jamais et y jeter des biscuits avec supplice car sur le moment on ne sait rien avaler, même si on sait qu'à 8h on crèvera la dalle..
Le trajet en voiture qui dure 10 minutes mais qu'on souhaiterait qu'il ne termine jamais, pour ne jamais arriver dans cette usine, où l'ennui, l'austérité et la cadence nous attendent..
Les mêmes odeurs de nettoyant à la pêche dans les vestiaires, les mêmes collègues avec les mêmes gueules mal réveillées qui te sortent les mêmes phrases chaque jour.. "Ca va ? Comme un lundi !"
Tu sais déjà qu'ils tiendront la journée en discutant foot/travaux dans la maison/politique/coût de la vie/voitures, certains semblent avoir accepté leur sort puisqu'ils font des blagues et rigolent dés 6h du matin, comme si un mécanisme de sécurité s'était enclenché dans leur cerveau
En préparation de commandes, dés la prise de poste, tu dois courir pour espérer choper du matériel (machine, casque,..), car évidemment il n'y en a pas assez pour tout le monde, donc tu marches à petit pas comme un canard dans l'escalier qui mène à l'entrepôt, vu que tu es au milieu de 50 personnes qui feront la même chose que toi.. Si il n'y a plus rien, ils te donneront un casque et un appareil cassés qui trainent dans un fond du tiroir, et qui se pètera la gueule toute la journée car l'attache est tombée. Comme machine, tu en auras une avec des fourches super longues car ce sont celles qui restent, et tu galèreras à manoeuvrer toute la journée
Le superviseur allume les machines, et là le vacarme qui servira de bruit de fond toute la journée commence.. Accompagné également de la radio et des cris des collègues (sûrement un autre stratégème de leur cerveau pour protéger leurs facultés mentales), tu enchaineras les mêmes actions et les mêmes mouvements jusqu'à la pause.
La pause, parlons en. Impossible d'avaler quoi que ce soit, ta situation et ton envie de crever te serre l'estomac mais tu avales quand même tes vieux biscuits parce qu'il faut bien manger. Tu vois tes collègues arriver avec leur soupe et un grand sourire, tu te demandes comment ils font pour avoir autant d'insouciance et accepter leur sort ainsi (et ne pas vomir leur soupe)
A midi, tu entends le traditionnel "allez on y retourne !".. Par cette phrase, ils ont sonné la fin de la pause..
Puis jusqu'à 14h, tu réaliseras encore les mêmes mouvements, les mêmes actions. La seule chose qui peut éventuellement te sortir de ta routine, c'est quand tu es convoqué dans les bureaux pour des détails administratifs. Tu traverses les bureaux dans ta tenue de travail et tu sens les regards hautains des gars et des 8/10 qui travaillent dans les bureaux, en mode "qui l'a laissé sortir de sa cage ? Il n'est pas censé venir ici"
Arrivé chez la RH, tu te rends compte qu'elle fait vraiment la distinction entre son monde et le tiens, quand elle commence à te parler comme si tu étais un enfant, et qu'elle t'explique des choses simples en parlant lentement et en insistant sur son articulation. En repartant, tu croises le regard des Chad qui te font bien comprendre qu'ils lèvent les 8/10 du bureau pendant que tu portes des packs de bière et que tu charges des camions
Parfois, tu as le malheur de te faire engueuler ou te faire mettre la pression par un manager qui passe dans l'entrepôt en marchant vite et qui crie comme une hystérique dés qu'il y a un souci. A le voir, tu as l'impression qu'il sauve le monde et t'as juste envie de lui dire "redescends mec, tu travailles dans un entrepôt qui livre du PQ et des briques de lait dans les supermarchés.."
A 14h, tu fais la file à la pointeuse et tu rentres chez toi. Tu comates dans ton salon vu que tu es crevé et tu penses au lendemain, à l'histoire qui va se répéter.. Tu t'endors en pleurant et en rêvant d'une nouvelle vie, tu te détestes et te dit qu'un jour tu monteras ton entreprise et partira de cet entrepôt, mais ça fait 5 ans que tu dis ça. 5 ans que tu te lèves comme un chien chaque jour en te disant que c'est temporaire.5 ans que chaque année, tes collègues (et certainement toi) ont l'air d'avoir vieilli de 5 ans
L'enfer de l'entrepôt les kheys, n'y allez jamais
Go deliveroo dream omg
+ pavé usine
Le 19 avril 2023 à 13:46:19 :
Fallait bosser à l'école ou être un peu plus malin et curieux dans la vie
Parfois ça suffit pas par manque de chance ou par manque d’argent
Toute la journée entendre le bruit des turbines à plein régime, travailler sous -28°c, casser des blocs d'herbes surgelées à longueur de journée ayyaaaa
Le nettoyage des machines AHI AHI AHI AHI AHI AHI AHI
Le 19 avril 2023 à 13:46:19 :
Fallait bosser à l'école ou être un peu plus malin et curieux dans la vie
Malaise.
Le 19 avril 2023 à 22:18:24 EdwardPaisnel a écrit :
Le 19 avril 2023 à 13:46:19 :
Fallait bosser à l'école ou être un peu plus malin et curieux dans la vieMalaise.
This
La période d'apprentissage et de familiarisation avec les machines et les gestes. Du stress, des erreurs, du stress. Ne pas oser demander de l'aide parce-que tu l'as déjà fait l'instant précédent.
La période dorée. Tu es à l'aise avec le matériel et les tâches, tu sais ce qu'il faut faire et comment régler les problèmes qui se présentent. La motivation est à son plus haut niveau. La fierté de faire du bon travail t'habite et ferait presque oublier que tu fais l'équivalent de 3 h de musculation tous les jours sauf le weekend.
La période d'usure. Maintenant que tu connais tout de l'usine, tu commences à trouver le temps long. Les temps morts se multiplient parce-que tu es efficace, et tu sais qu'il vaut mieux attendre plutôt que risquer de se faire confier des tâches ingrates par un chef zélé. On ne court pas derrière les chaînes de production : on les attend. Les gants et les chaussures, les horaires et les pantalons, c'est la routine. Tu finis par réaliser que dans la vie, il y a bien le travail... mais que le plus important c'est un travail, un loisir qui a du sens, une famille, la santé et des amis à la fois.
Le forum ne suffit pas. Bonne chance les kheys en usine. Vous pouvez vivre dignement dans ce milieu si vous avez d'autres choses importantes dans votre vie.
"Hein euuuuuuh quoi quoi? ah merde... c'est l'heure... 3h35... l'usine"
Toujours seul, toujours puceau, toujours triste, personne à côté de moi dans ce grand lit. Je me réveille difficilement et j'allume la lumière dans ma chambre Lidl en bordel et puant le sperme.
Je vire ma couette, assit sur le côté gauche du lit je me lève puis j'enfile un boxer célio et mon jogging, je descends dans la cuisine pour manger vite fait. Dehors il fait nuit noire et sûrement frais. Je vois ces abrutis de papillons de nuit attirés par la lumière, se poser sur les fenêtres. Ils sont vraiment cons ces insectes.
Je tremble à cause de la fatigue et de la fraîcheur de l'air, je me verse un café de la veille, je le passe au micro onde vite fait et je l'avale en 3 gorgées. Je mange 2 tranches de brioche et je vais dans la salle de bain.
Je me brosse les dents, il est 3h50, je me lave le visage mais avant ça je m'observe. J'observe ma gueule dépitée de puceau tardif bossant à l'usine. Je suis cerné, calvitié, j'ai aussi des marques rouges de la veille dues à de l'acné et à un rasage trop agressif.
Je soupire et j'ai une grosse pression dans ma poitrine. Bon je taille.
Évidemment je n'oublie pas mon sac d'usiniste. A l'usine tout le monde a un sac, souvent un sac kipsta éclaté ou un décathlon pas cher, à l'intérieur on y met le casse dalle, dans une boîte en plastique souvent. Je prépare le mien la veille, j'y mets toujours la même chose : un jambon beurre éco+, un sachet de chips Lidl, une brioche aux pépites de chocolat noir maître Jean-Pierre (cimer chef), une banane, une pomme. Quand je suis à l'usine j'ai tout le temps faim.
4h00 il est l'heure que j'y aille. Habitant dans le nord, il fait toujours moins de 15°C la nuit et j'ai donc froid, j'ai froid dehors, j'ai froid dans ma caisse. J'allume les feux et je démarre, je fous le chauffage à fond puis je roule tranquille direction l'usine, j'ai environ 8 minutes de trajet et je prends tout le temps la même route. Le chauffage souffle de l'air froid tout le long du trajet, il se réchauffe un peu juste avant l'arrivée sur le parking de l'usine.
Je ne roule ni vite ni lentement, des fois j'éteins mes feux et j'essaie de rouler à la lumière de la lune comme les truands dans les films mais je ne fais ça que 3 secondes car je ne vois vraiment rien.
Une fois arrivé à l'usine je me gare puis j'arrive au tourniquet, je sors mon badge j'entre dans le site (tout est grillagé) puis je vais aux vestiaires. L'enfer commence.
En général peu de gens disent bonjour. On s'en branle on veut juste que les 8 heures d'enfer se terminent le plus rapidement. Travaillant dans l'agro, je dois porter un pantalon en coton blanc ainsi qu'une veste en coton blanc. Je me dirige vers les cintres ou sont rangés les habits propres et comme d'habitude, rien à ma taille. Je suis de taille normale et de poids normal mais les habits à ma taille sont soit troués ou volatilisés, merci aux cons qui prennent 3 chemises et 3 pantalons puis qui les planquent dans leur casier. Du coup je me retrouve avec un futal qui traîne par terre et une chemise qui me sert de voile, je suis grotesque.
J'ai aussi mes chaussures de sécurité bien sûr, inconfortables au possible et qui défoncent le dos.
Je passe devant les chiottes, je quitte les vestiaires puis je pointe. Prise de poste à 4h30 mais je dois arriver à 4h25 afin que le collègue avant moi me donne la relève. Souvent la journée se passe normalement, des fois c'est la merde et dans ce cas la je suis tout seul à gérer des pannes, des commandes à rattraper ou d'autres trucs chiants.
Si je devais résumer mon travail ce serait : courir partout dans l'atelier et courir encore plus quand ça merde. Rien de plus. Je m'occupe de 4 lignes de production, je dois avoir l'oeil sur tout et à tout moment, parfois je fais de la manutention. C'est très chiant et aliénant, personne ne parle car il y a trop de bruit dans l'atelier.
De toute façon de quoi parler et avec qui ? On parle souvent de la boucle sur ce forum mais la plus grosse boucle c'est l'usine et de loin. Les mecs qui viennent la tous les jours depuis des années sont atteints mentalement. Je les estime mais ils ont un grain. Certains n'ont qu'un seul sujet de conversation, leur jardin, leurs achats (la plupart sont de gros consuméristes), les voitures ou les jeux vidéos. Ça s'arrête la. Des fois on rencontre des gens intéressants et assez malins, on se demande comment ils ont pu atterrir ici, dans ce merdier.
Les pires sont ceux qui ne parlent QUE de l'usine, c'est rare mais c'est le cas de certains, si on a le malheur de les rencontrer au café ou au supermarché, ils parleront des pannes, des commandes à venir, des erreurs commises par tel ou tel employé, de la conjoncture économique dans l'industrie agroalimentaire (des remarques qui ne viennent pas d'eux mais qu'ils répètent sans cesse et de jours en jours).
Du coup j'attends la pause, et je pense. Je pense énormément car c'est la seule chose à faire. Je pense à Karl Marx et au surtravail, je pense aux gamins dans les usines d'allumettes au XVIIIe siècle en Angleterre, je me dis que c'est pas si mal ici finalement.
Puis je pense à mes collègues du lycée, certains sont ingénieurs, d'autres profs, d'autres sont partis en médecine et je me dis que je devrais en finir. Je pense à une fille en particulier qui est en 6e année de médecine. La question du déterminisme m'obsède et me terrifie. Et si j'avais fait si, si à ce moment là j'avais fait ça est ce que j'aurais pu ...? Souvent je me dis, non. Trop pauvre, trop moche, trop faible, trop con, trop prolo.
J'aurais pu lancer les dés 100 fois de suite j'aurais tout de même fini ici dans cette usine atroce, et elle aurait toujours finie pédiatre et dans les bras de son bg 8/10.
8h20 je taille en pause. Mon poids a tendance à chuter dangereusement depuis que je suis à l'usine, alors je mange beaucoup contrairement à certains. Je me tape souvent des réflexions amicales des boomeurs matrixés "eh bah je t'emmènerai pas au resto avec moi!" ou encore "tu vas dormir tout à l'heure avec tout ce que tu manges". Je mange vite, je suis crevé, j'ai envie d'hurler et de pleurer. J'ai envie d'attraper mon voisin par le col, de le secouer et de lui dire "pourquoi on est la? Pourquoi on subit ça ??? C'est donc CA notre existence?"
Retour au boulot, rien de nouveau rien de surprenant, vivement midi trente que je me casse. Une fois l'heure arrivée je passe la relève à mon collègue, je lui souhaite bon courage et je taille, je me change en vitesse puis je sors. Lorsqu'il fait beau le soleil me fait mal aux yeux.
J'arrive chez moi, je dois préparer à bouffer mais j'ai qu'une envie c'est de mourir sur mon canapé et c'est ce que je fais souvent, du moins jusqu'à 14h. Le reste de l'après midi je somnole, comme lors d'un réveil après une anesthésie générale. Des fois je vais faire les courses, le reste du temps je reste chez moi. Je suis trop crevé pour go muscu, je ne connais personne et n'ai personne dans ma vie. Le week end est identique à la semaine sauf que je suis moins fatigué.
Le seul point intéressant est le fric, je gagne pas loin de 2k net par mois et je dépense peu : bouffe, clio de prolo, location de prolo, alcool et c'est tout. Du coup je fais comme mes collègues : je consomme.
En ce moment j'achète des fringues, ça ne me sert à rien car je ne sors jamais, mais j'ai toujours aimé porter des vêtements qui me plaisent, alors j'achète. Lorsque je reçois un colis je me sens heureux et pendant 15 minutes j'oublie presque ma vie misérable d'usiniste dépressif.
Le début de soirée est souvent alcoolisé, ça m'aide à m'endormir. Sous ma couette je rêve d'une autre vie ou d'un cataclysme nucléaire vaporisant toute forme d'existence sur Terre, puis je culpabilise, me disant que les autres n'ont pas une vie aussi merdique et méritent davantage de vivre que moi.
C'est ainsi que se poursuit ma vie, plate et sans saveur, aliénante, frustrante et déprimante. C'est ainsi que fonctionne l'industrie.
Demain ce sera pire.
J'ai fait un stage d'ingénieur à l'usine, j'ai plus côtoyé les ouvriers que les ingénieurs, et ils m'ont tous bien fait comprendre à quel point c'était de la merde.
D'ailleurs j'ai dû en passer des journées entières avec eux et bordel que c'était long, et ils rendent les journées encore plus longues avec leurs dialogues qui ressemblent à des diagloques de PNJ dans les jeux les plus chiants que tu skip à la chaîne.
Y'en a dans le tas, c'est comme les damnés dans les Dark Souls, les âmes errantes qui ont abandonné tout espoir. 60 balais par là, ils sont capables de te raconter l'histoire de l'usine depuis les années 70. Tout a bougé depuis, même ces satanées machines démoniaques qui font un boucan d'enfer.
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Données du topic
- Auteur
- AnusAriana
- Date de création
- 19 avril 2023 à 10:49:58
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