Stéphane, allongé dans sa baignoire balnéo, rasoir à la main, ne se lassait pas de ses vocalises. "AAAAHHHH AAAHHH" répétait l'éphèbe cacaoté tout en rasant, de son petit doigt relevé, le maigre duvet qui s'était formé dans son entrecuisse.
"Grazie Cochet" lâcha-t-il de sa voix la plus grave, faussement désabusé par l'idée qu'il se faisait de son propre talent.
Une fois l'épilation achevée, le baryton des Antilles, une fois redressée sur ses deux fines gambettes, ne put résister à l'envie de se contempler et se tourna lentement vers le miroir sur pied posé dans un coin de la salle de bains. Sourire aux lèvres, il s'immobilisa net, et mima la posture du Doryphore, manifestement satisfait du résultat. "Magnifico..." souffla-t-il en forçant, comme toujours, dans les graves.
Cette mauvaise habitude, de celle qu'on adopte d'abord en public pour se rassurer et, à force de répétition, finisse par déteindre dans l’intimité, avait fini par lui irriter la gorge. Un petit spasme nerveux déforma son visage, contractant sa bouche et ses joues en un sourire gêné.
Lui revint alors en mémoire ce séminaire donné au deuxième étage du bâtiment D de l'école des Mines d'Albi, ce funeste séminaire de février 2022 qui avait pour thématique "Logique de couple : les femmes, toutes des salopes."
Devant un parterre de puceaux malingres, oscillant entre la petite fierté d'être en école d'ingénieur et la honte d'exister, Stéphane jouait sa partition bavarde, fier de son aisance oratoire, de sa voix de baryton forcée. Il aimait ces moments-là, notre coach en séduction, ces moments où il déroulait son verbiage, dominant de son timbre grave cette assemblée inquiète.
Non content d’être puceaux et laids - de cette laideur incurable, de celle dont on ne guérit pas, de celle qui se rappelle à vous à chaque instant, en toutes circonstances - Théo et Louis, se montrèrent indisciplinés, et pouffèrent à quelques centimètres du professeur improvisé. Ni une ni deux, Stéphane se retourna en un mouvement rapide et instinctif. Ces cours de Salsa partagés avec Alessandro avaient manifestement porté leurs fruits car il poursuivit dans son élan en ébauchant un déhanché serré et un pas de droite rapide et assuré. Mince ! Sa part de F venait de se révéler aux yeux de tous au pire des moments ! Souhaitant contrebalancer cette exécution spontanée, peu virile il est vrai, il força dans les graves, pour apeurer les deux galopins aux corps de lâches. « Et ! bande de petites merdes, j’ai fait 2 000 bornes en Ferrari pour venir vous voir, gratuitement, pour vous délivrer un contenu, et tu ne me réponds pas enculé, tu me respectes, si tu veux blablater, tu déga… » Sa voix se brisa sur la dernière syllabe de sa tirade - remarque, personne ne le saura jamais, notre conducteur de voiture de luxe était lancé à pleine vitesse, prêt à enchaîner nos deux vauriens sans aucune vergogne - et partit dans les aigus. On aurait cru entendre une castra ! « dégageeeuuuuuhhhhh ».
Le silence se fit dans la salle. La honte s’abattit soudainement sur lui, alors qu’il allait aborder la deuxième partie de son séminaire « Les femmes vous détestent », et abreuver son auditoire de ses célèbres anecdotes personnelles, parfois interminables.
Stéphane reprit conscience, presque hébété. Ses jambes fines, flageolantes, se dérobèrent ; il se rattrapa in extrémis au bord de la baignoire en poussant un gloussement étrange.
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