C'est une nécessité constante pour une société de classes que de proposer, aux populations
opprimées, de faux ennemis, des fausses horreurs à la place des vrais. La religion a tenu ce rôle de
distraction et d'unification de la société par delà ses antagonismes. Elle déplaçait de la terre au ciel
les oppositions sociales : Dieu et le diable. La répartition inégale de la richesse selon l'origine
sociale, s'y transformait en une juste répartition des récompenses et des châtiments suivant les
mérites.
Les terrifiantes visions de l'enfer, de flammes éternelles, faisaient mieux accepter aux opprimés leur
misère. Des horreurs extrêmes, mythiques, sont produites pour rendre supportable la pauvreté et la
peine quotidiennes.
Aujourd'hui, religion et morale perdent de leur force, mais la société de classes se perpétue et ses
nécessités fondamentales demeurent. La politique et l'idéologie prennent le relais. Les hommes
doivent trouver une certaine unité, se rassembler contre les mêmes ennemis, communier dans les
mêmes terreurs. De fausses oppositions politiques se substituent
aux oppositions sociales réelles. Des horreurs exagérées ou inventées doivent, par contraste, mieux
permettre aux prolétaires d'apprécier leur « confort » présent - cacher la véritable nature de leur
misère réelle.