Je ne fais pas partie de la première génération d'utilisateurs d'internet mais de la seconde.
Celle qui a commencé à l'utiliser au milieu des années 2000 et voyait déjà l'époque des pages HTML nues et des pages perso Orange comme une préhistoire maladroite, un prélude à l'immense terrain de jeux qui était devant nous.
Il y avait des sites dédiés sur a peu près tous les sujets, partout des forums, des jeux communautaires, tous mâtinés de cette énergie d'amateur passionné qui veut tenir son échoppe du mieux qu'il peut.
C'était aussi un endroit idéal où se soustraire de toutes les contraintes de la vie quotidienne : la télé déjà morose et sans phase pour nous, la chape des obligations sociales pour d'autres, le poids de la solitude pour certains aussi.
Dans ce pays neuf encore fait de petites communautés, chacun pouvait trouver sa place sous pseudonymat et contribuer au pot commun de la manière qui lui convenait.
La pensée des pères fondateurs d'internet étaient encore dans les esprits, et il était communément admis que le web n'avait pas encore atteint son apogée et que le meilleur restait devant : l'éducation allait faire des progrès fulgurants avec l'accès universel au savoir, n'importe qui pouvant accéder à la connaissance sans prérequis de classe sociale. Idem pour les artistes qui pourraient diffuser leurs oeuvres sans être tributaires des labels. On vivait sur ces promesses, et on était, quelque part, une petite brique de cette somme de connaissances qui existerait pour toujours dans l'éther.
Puis les marchands sont arrivés. Avec l'arrivée massive de nouveaux utilisateurs peu au fait des codes d'internet et de leur raison d'être, le concept de pseudonymat s'est progressivement effrité pour que l'identité en ligne ne devienne qu'une extension de celle de l'état civil.
Exit aussi le tissu de petites communautés, sous couvert de confort d'utilisation, aidés par une publicité très agressive, quelques géants ont réussi à faire croire au grand public qu'internet n'était qu'un désert au milieu duquel se dressaient quelques monolithes alors qu'il était à ses débuts une jungle luxuriante.
Enfermés de leur plein gré dans une bulle dorée, les nouveaux utilisateurs d'Internet sont devenus les cobayes d'une stratégie éditoriale pensée par des neurologues et exécutés par des algorithmes.
Il n'a pas fallu longtemps pour qu'ils deviennent une simple ressource intermédiaire que l'ont transforme en CA supplémentaire à coups de publicité ciblée.
Bref, l'ancien internet me manque, pas vous ?
