Depuis quelques semaines il y a, dans mon immeuble, des travaux de rénovation de la cage d’escalier, conduits par de véritables gougnafiers.
Ils s’interpellent, d’un étage l’autre, dans une langue qu’aucun hurlement poussé par un Européen ne saurait rendre ; ils fument, écrasent leurs cigarettes sur les plastiques de protection ; un beau jour, notre immeuble va s’embraser comme Notre-Dame et je ne croirai pas à la thèse de l’accident.
Ils écoutent, à fond, une musique que le qualificatif de “sauvage” ne suffirait pas à décrire. Ils donnent des coups contre les portes, puent, ne disent pas bonjour, font peur aux enfants et aux dames… Je ne saurais dire de quelle région du monde ils ont été importés, ceux-là. Quel soleil sur Terre produit de tels animaux ?
Il y a aussi, dans mon immeuble, un sympathique couple de trentenaires ; deux êtres absolument charmants, souriants, toujours prêts à rendre service, et dont on dirait qu’ils préfèreraient mourir plutôt que de déranger. Des saints. Je les reçois, de temps à autre, à la maison, pour partager une bonne bouteille de vin d’Auxerre, une bonne terrine de sanglier ou un bon camembert de bufflonne. On parle de tout, travail, vie de couple, enfants, football… Mais jamais de politique. Je n’ai aucune idée de leurs opinions et ils n’ont aucune idée des miennes. Mais je ne peux m’empêcher de les rêver en patriotes menant dans le secret une lutte sans merci contre le Grand Remplacement. Ils sont si parfaits.
L’autre jour, je l’ai croisée, elle, sur le palier. Elle est jolie et toujours souriante. C’est un plaisir que de la voir, et je me contente souvent des banalités d’usage : « salut Claire, ça va le boulot ? Et Pierre, la forme ? Tu l’embrasses de ma part ! ». Mais, cette fois, j’ai craqué. Est-ce de l’avoir vue enjamber une boîte à outils négligemment abandonnée devant sa porte ? Mes nerfs ont quelque peu lâché : « C’est insupportable, ces travaux ! On n’a vraiment pas de chance, les ouvriers sont affreux ! C’est quoi ces mecs ? »
Sa réponse, chuchotée de peur que les ouvriers l’entendent, s’est perdue dans un souffle et s’est dérobée à mon oreille : « C’est des A… ! ». Merde, je n’ai pas entendu ! Était-ce le mot maudit ? Celui qu’on ne prononce qu’au prix de la mort sociale ?
« C’est des A… ! » Ses yeux pétillaient comme ceux d’un enfant pris en faute. « C’est des A… ! » Il me semble même que ses joues ont rosi. « C’est des A… ! » Mais je ne suis pas spécialiste de lecture labiale, moi ! « C’est des A… ! ». J’ai bien lu deux syllabes. « C’est des A… ! ». Ça finissait par un “b”, j’ai l’impression. « C’est des A… ! », donc pas des Alsaciens. « C’est des A… ! ».
« Ahah, oui ! », ai-je rétorqué avant de laisser sa silhouette et son sourire malicieux s’évanouir avec leur mystère.
Quel con ! L’occasion était unique d’avoir une voisine natio. La vie est plus belle quand on assume ce qu’on est. La prochaine fois, c’est promis, je fais mon coming out, et je lui dirai qu’on en a plein le cul. Et pas des Alsaciens !