Un écrivain aussi sous-cotax que
Supprimé- 1
Forneret naît en 1809 à Beaune dans une famille de riches propriétaires viticoles.
Il s’intéresse rapidement au théâtre (on est au temps de Dumas et de Hugo) et tente de percer sur les scènes dijonnaise puis parisienne, mais ses six pièces (quatre conservées) sont des fours (elles sont plutôt mauvaises dans les faits : composition défaillante, invraisemblances). Seule une, L’Homme noir, donné une seule fois à Dijon en 1837 peut susciter l’intérêt pour la hardiesse des images et quelques belles scènes.
Après son théâtral, il se lance dans la poésie avec des œuvres originales mais très inégales (Vapeurs, ni vers ni prose ; Lignes rimées ; Ombres de poésie) qui montrent son intention de se débarrasser des carcans formels, de créer des formes nouvelles (comme son compatriote Aloysius Bertrand, précurseur du poème en prose avec Gaspard de la Nuit), mais il n’est pas grand versificateur, il a une tendance beaucoup trop moralisatrice (femme-madone, réhabilitation par l’amour, lutte contre la misère), et son œuvre poétique est raillée avant de tomber dans l’oubli.
Il s’essaie enfin à partir de la fin des années 1830 à la prose sous la forme de l’aphorisme ("Le sapin, dont on fait des cercueils, est un arbre toujours vert." ; "Oh ! que c'est malheureux que la femme mange, même des fraises dans du lait." ;"J'ai vu une Boîte aux lettres sur un Cimetière."), du récit et de la nouvelle (je présenterai quelques textes un peu plus bas), qui montrera l’étendue de son talent, de son inventivité, de son génie - qui, , ne seront pas reconnus de son vivant : il ne reçut que sarcasmes et marques d’indifférence. Son premier recueil Rien imprimé à compte d’auteur en 1836 est vendu d’abord au profit des pauvres puis donné gratuitement aux lecteurs que Forneret choisit.
Il meurt, seul (sa vie n’a été que déceptions amoureuses, échecs littéraires et politiques, mépris par la presse) et ruiné (son héritage dilapidé par ses goûts luxueux et son faste, par son œuvre qui n’a pas connu le succès), dans sa ville natale en 1884. Il ne laisse que le souvenir d’un homme excentrique, réputé vivre dans une tour gothique, portant toujours un chapeau de « nécromant » et une cape, souvent vêtu de noir, au goût prononcé pour le Moyen Âge et le macabre.
Ce sont les surréalistes (Breton, Éluard, Hugnet, Péret) qui sauvent Forneret de l’oubli. Breton lui consacre en 1937 un article dans la revue Minotaure, puis dans l’Anthologie de l’humour noir en 1940 ; Péret insère des textes de Forneret dans Anthologie de l'amour sublime ; certains de ses récits paraissent dans La Révolution surréaliste en 1927 et 1928.
Son œuvre se caractérise par l’importance des thèmes du macabre, de l’horreur, du rêve ou du cauchemar, du sang, du monstrueux, et de la décomposition ; par un côté très tranché, la recherche d’un absolu, une attitude de défi (envers soi, un humour cynique contre lui, c’est ainsi qu’est défini l’humour noir) ; par la recherche de nouveaux modes d’expression (rêve, vapeur, récit, comédie-drame)
Quelque chose du cœur (1837) prend la forme d’un dialogue entre la femme aimée et le poète où ce dernier exprimer son mal-être, sa solitude, son sentiment d’être incompris de façon particulièrement poignante, véhémente et sombre.
Et la lune donnait et la rosée tombait (1837): une femme mélancolique mariée à un barbon qui ne la comprend (il n’y a naturellement pas d’amour dans cette relation) tombe éperdument amoureuse d’un jeune homme rencontré de nuit dans un jardin ; le mari jaloux va entraîner le suicide du jeune homme, sa propre mort et la folie de son épouse). Le récit vaut pour l’atmosphère de rêve éveillé qui peut faire songer à Nerval.
Lanterne magique ! Pièce curieuse ! (1838) narre un souvenir de jeunesse : le jeune Xavier est sévèrement puni par son père pour avoir invité des prestidigitateurs à se produire dans la maison familiale pour la somme de 20 sous - le père ne voulant en donner que 14. La seconde partie du court récit est consacrée à la description de tableautins très fascinants (scènes de cruauté, quelque chose qui peut se rapporter à des aphorismes très cyniques, images suggestives).
C’est - un rêve (1840) est un court récit onirique évoquant la vision d’une vieille femme devant le cercueil d’une jeune femme qu’elle a dépouillée de ses bijoux et vêtements; le texte se termine par « Si cela signifiait bien quelque chose, ce ne serait point un rêve », coupant court à tout essai d’interprétation du texte, cette remarque vaut aussi pour le titre.
Alabrune ou le pauvre d’un soir (1840) est l’histoire du poète Alabrune qui part en Italie où il est victime de la jalousie de la Pudora (une actrice) qui déchire son drame après avoir vu le jeune homme en compagnie de Bianca (qui lui conseille de quitter l’Italie au plus vite). De retour à Paris, l’auteur vit d’expédients, sa situation se dégrade rapidement à cause des refus qu’il essuie, il ne vit plus que la nuit pour ne pas être vu pleurer. Alabrune meurt de faim et de fatigue dans les bras de son père, au moment même où il apprend que son drame est reçu dans un théâtre. Difficile de ne pas songer ici aux difficultés rencontrées par Forneret.
Un crétin et sa harpe (1840) narre la vie et la mort d’un mendiant idiot et monstrueux : un jour qu’il ne reçut que brimades et coups en guise d’aumônes, il erre dans la ville à la recherche d’un lieu pour mettre son corps « entre la terre et l’air », c’est alors qu’il entend une noble jouer de la harpe - instrument divin d’après le dialogue au début du récit -, son âme est alors portée dans le ciel, il n’a plus qu’une idée : atteindre le son divin, il meurt en extase - l’âme éveillée au beau par le son de la harpe, de grosses larmes roulant sur ses joues.
Un œil entre deux yeux (1840). L’action se déroule dans une Espagne de pacotille (il n’y a pas de description, tout est réduit à l’action) : le jaloux Muguetto aime la mystérieuse Blondina, une femme abandonnée à la naissance, dont un des yeux fut crevé et remplacé par un œil de verre, le moine Monako (!) vient raconter son origine au début du texte mais il meurt avant d’avoir révélé la vérité. Survient alors Sangouligo pour provoquer Muguetto en abusant de Blondina. Muguetto tue Blandina de jalousie en ordonnant à Sangouligo de la précipiter sur son épée, les deux hommes tirent alors au sort leur survie : Muguetto perd et se tue en avalant l’œil de verre de son amante.
Un désespoir (1840) tient en deux phrases (une page) : un jeune homme a coutume d’embrasser sa mère endormie en revenant du rendez-vous avec son amante, mais cette nuit-là il ne l’embrassa pas.
Un diamant sur l’herbe (1840) est considéré comme le chef-d’œuvre de Forneret : le ver luisant en fonction de son aspect est signe de bonheur ou de malheur. Un soir qu’une femme marche à travers un parc pour rejoindre son amant, le ver luisant jaunit, ne trouvant personne dans le pavillon, la femme s’inquiète, se retourne et trébuche sur le cadavre de l’amant. Le lendemain, le ver jaunit pour la femme, on la retrouve empoisonnée sur le lieu de sa chute. Tout l’art de Forneret tient ici en sa capacité à suggérer, à évoquer le drame, à inquiéter sans avoir un style pesant.
Rêves (1846) est un texte à peu près impossible à résumer : on peut le voir comme un cheminement (la pensée authentique de l’auteur d’après les premières lignes) d’un rêveur sanglé à son fauteuil qui ne parvient pas à atteindre les trois ravissantes désirées ; des apparitions merveilleuses ou horribles émaillent le parcours. Le récit n’est pas achevé, comme l’indique la mention « La sous quelques temps ». Sa modernité, son pouvoir suggestif, son onirisme, son parti pris du vrai seront très appréciés de Breton, il peut faire penser aux œuvres de Desnos ou de Dali.
Il l’a tirée
De sa poche percée,
L’a mise sous ses yeux ;
Et l’a bien regardée
En disant : " Malheureux ! "
Il l’a soufflée
De sa bouche humectée ;
Il avait presque peur
D’une horrible pensée
Qui vint le prendre au cœur.
Il l’a mouillée
D’une larme gelée
Qui fondit par hasard ;
Sa chambre était trouée
Encor plus qu’un bazar.
Il l’a frottée
Ne l’a pas réchauffée
A peine il la sentait ;
Car, par le froid pincée,
Elle se retirait.
Il l’a pesée
Comme on pèse une idée,
En l’appuyant sur l’air.
Puis il l’a mesurée
Avec du fil de fer.
Il l’a touchée
De sa lèvre ridée. -
D’un frénétique effroi
Elle s’est écriée :
Adieu, embrasse-moi !
Il l’a baisée,
Et après l’a croisée
Sur l’horloge du corps,
Qui rendait, mal montée,
De mats et lourds accords.
Il l’a palpée
D’une main décidée
A la faire mourir. -
- Oui, c’est une bouchée
Dont on peut se nourrir.
Il l’a pliée,
Il l’a cassée,
Il l’a placée,
Il l’a coupée ;
Il l’a lavée,
Il l’a portée,
Il l’a grillée,
Il l’a mangée.
Quand il n’était pas grand on lui avait dit : "Si tu as faim, mange une de tes mains."
(poème "Le Pauvre honteux" extrait du recueil Vapeurs de Forneret)
Le 25 novembre 2022 à 22:27:24 :
si t'es sur paris tu peux consulter toutes les revues surréalistes depuis les années 20' à la bibliothèque de Beaubourg
Je ne manquerai pas ! Minotaure est une véritable œuvre d'art.
Le 25 novembre 2022 à 22:39:21 :
Merci beaucoup pour la découverte l'op, si t'as d'autres auteurs méconnus je suis preneur
Merci beaucoup, clef ! Je tâcherai de poursuivre ce topic avec d'autres auteurs (j'ai déjà quelques idées en tête sur la même période), et peut-être aussi avec des peintres/sculpteurs.
Le 25 novembre 2022 à 22:43:03 :
Jean Marie Guyau est pas mal sous côté aussi, même si c'est un autre registre
J'en prends bonne note ! Merci de la suggestion.
- 1
Données du topic
- Auteur
- BarreSdeFer
- Date de création
- 25 novembre 2022 à 22:22:56
- Date de suppression
- 21 décembre 2022 à 17:43:00
- Supprimé par
- Auteur
- Nb. messages archivés
- 14
- Nb. messages JVC
- 13