Qui n'a jamais manqué de rien

Mais est quand même devenu un colossal déchet par la seule inclinaison de son âme mutilée ?

Je n'ai absolument rien à reprocher à personne. Ni à mon enfance, ni à mes parents, ni à mon environnement, ni à mon éducation, ni à mon physique, ni à ma santé, ni à mon intelligence, ni à la société, ni à mon apparence et ainsi de suite.

Si je devais l'expliquer en quelques lignes, je dirais que j'ai toujours vécu et que j'ai toujours laissé vivre parce qu'il était trop fatiguant d'entreprendre des voyages dont on connaissait déjà la destination. Certains diront que l'intérêt n'est pas la destination, mais ça c'est facile à dire quand on est accompagné et/ou qu'on aime être accompagné.
Sans partage, le voyage n'est plus qu'une immense fiction entre soi et soi. Et pour pénétrer à l'intérieur de ce terrain vague, bouger n'est plus obligatoire. Il suffit de fermer les yeux.
Petit à petit, je me suis enfermé dans ma propre déréliction. Les herbes sauvages ont poussé, le portail délabré a rouillé, le facteur ne passe plus.
J'écoute les cigales chanter en été, le vent froid s'époumoner en hiver sur ma peau grimaçante. Les saisons se succèdent en suivant un ordre qui m'est désormais inconnu. Le temps ne fait plus que passer. Comme s'il s'était arrêté sur mes lèvres. Il y est suspendu. Dès que je murmure, je le vois frissonner. A peine ma voix s'élève qu'il disparait à toute vitesse et que je suis transporté dans une autre époque.
Mes interactions sociales sont devenues si inhabituelles. Ma gorge est toute enrouée. Quand je lève les yeux, et que je me vois vieillir, déjà si vieux, cela m'effraie. Le temps passe plus lentement quand on est en mouvement.
Je sens le temps tisser sa toile sur mon vieux corps figé. Je ne lui en veux pas, je lui en ai laissé l'opportunité.
Je n'ai personne d'autre à blâmer.
Il me fait peur. Avec ses huit yeux. Je ne sais plus ou donner de la tête. Quel œil me fixe, quel œil me veut du mal.
Je contemple ma propre mort dans huit regards différends. Je suis pétrifié par la peur. Je sais qu'au bout du compte, quand la toile sera tissé, il en sera fini de moi.
J'entends au loin les autres hommes s'amuser. Comme s'ils m'invitaient à sortir. Ca me donne envie de pleurer, car je sais déjà que j'ai sacrifié ma vie pour être ici plutôt qu'avec eux. Je pourrais me débattre, je pourrais me lever, ouvrir la fenêtre, et m'échapper. Mais pour quoi ? Pour aller ou ? Il n'y a qu'une seule destination qui m'a toujours intrigué, qu'une seule dont le terrain reste indéchiffré.
Et elle me regarde car je l'ai invitée. De ses longues pattes velues, je suis son prisonnier. Volontaire. Je dois rester figé pour l'approcher au mieux. Pour voyager en sa compagnie vers la mort de ma vie