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Kenza (le prénom a été changé) n’avait que 16 ans lorsqu’elle est tombée entre les griffes de Jacques Bouthier. Née au Maroc et encore mineure, la jeune fille a rejoint Leïla R., l’une de ses cousines, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Cette dernière, âgée d’une quarantaine d’années, entretient des liens personnels avec le PDG et fondateur d’Assu2000, un grand groupe de courtage en assurances rebaptisé Vilavi début 2022 (1800 salariés, plus de 160 millions d’euros de chiffre d’affaires et 550 000 clients revendiqués). Leïla semble aussi servir de « rabatteuse » pour le compte de cet homme richissime, autodidacte et fort en gueule.
Selon le récit que Kenza livre aux enquêteurs de la Brigade des protections des mineurs (BPM) de la police judiciaire parisienne le 15 mars dernier, ses premiers rapports sexuels avec le PDG auraient eu lieu début 2016. À chaque fois, sa « cousine-maquerelle » aurait empoché 200 euros.
Voilà les premiers acteurs d’un incroyable scandale sexuel qui a conduit à la mise en examen, samedi 21 mai, de six personnes, notamment pour « viols et agression sexuelle sur mineures », « traite des êtres humains », « recours à la prostitution d’une mineure » et « association de malfaiteurs criminelle ».
Le récit d’un calvaire, rythmé par des rendez-vous sexuels obligés
Dans le courant de l’été 2017, Jacques Bouthier aurait décidé de verser ces sommes directement dans la poche de Kenza, sans passer par l’entremise de la cousine. Il lui offre alors un logement en région parisienne où il peut librement lui rendre visite entre deux réunions ou à la fin de ses journées de travail et assouvir des penchants pédophiles.
À sa majorité, en 2018, Jacques Bouthier décide de passer à la vitesse supérieure. Le septuagénaire exhibe désormais Kenza dans des clubs échangistes où il lui aurait imposé, toujours selon les explications de la jeune femme, des orgies sexuelles avec des groupes d’hommes prêts à payer chacun 100 euros.
Kenza évoque aussi des moments où elle se retrouve seule avec le grand patron au siège social du groupe Assu2000, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Dans son bureau ou dans la salle de sport de l’entreprise où il règne en maître, Jacques Bouthier lui aurait imposé à intervalles réguliers des relations sexuelles rémunérées. Pas de traces de paiement évidemment. Lorsque ces viols présumés ont lieu dans l’enceinte de l’entreprise, le PDG glisse une main dans le faux plafond de son bureau d’où il extrait des billets de banque pour payer la jeune femme, raconte-t-elle.
Kenza bénéficie, certes, d’une relative liberté de mouvement, mais la jeune Marocaine dit vivre pendant plusieurs années un calvaire, rythmé par des rendez-vous sexuels obligés avec l’homme d’affaires à Noisy-le-Sec, Paris ou encore au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne).
Chargée de trouver une remplaçante plus jeune
Cette vie semi-clandestine semble arriver à son terme en ce début d’année 2022. À 75 ans, Jacques Bouthier paraît toujours animé par une quête de très jeunes femmes — mineures de préférence — et délaisse peu à peu Kenza. Désormais âgée de 22 ans, la jeune femme ferait presque figure « d’ancienne » aux yeux du PDG.
L’histoire se répète. Quelques années plus tôt, Kenza aurait elle-même succédé à une autre « esclave sexuelle » de Jacques Bouthier, de cinq ans son aînée et de nationalité marocaine elle aussi. Interrogée par les policiers en tant que victime, cette dernière a reconnu avoir été hébergée dans le même appartement que la jeune femme et payée pour chaque rapport sexuel, mais seulement à partir de sa majorité.
Désormais moins attirante pour Bouthier, Kenza explique s’être vu confier une dernière mission : trouver une « remplaçante » plus jeune. Dans des conditions qui restent encore peu claires à ce jour, une collégienne de 14 ans de nationalité roumaine se retrouve mise à disposition du grand patron par l’intermédiaire de Kenza.
Un piège tendu et une vidéo compromettante
Un premier rendez-vous est organisé le 11 mars dernier dans le fameux appartement où se sont succédé les obligées de l’homme d’affaires. L’adolescente rom expliquera ensuite aux policiers de la BPM avoir eu très peur d’être violée ce jour-là par Jacques Bouthier. Celui-ci aurait caressé ses parties intimes avant de lui demander un rapport sexuel pour lui ôter sa virginité. Une demande que la jeune fille aurait refusée, provoquant le mécontentement du septuagénaire.
Jacques Bouthier l’ignore à cet instant, mais cette rencontre signe le début de sa chute. La scène qui vient de se dérouler dans l’une des chambres de l’appartement a été filmée par Kenza à son insu. La collégienne le savait. Elle reconnaîtra d’ailleurs avoir participé à un piège organisé par son aînée.
En possession de cette vidéo compromettante, Kenza pense tenir son sésame pour faire sa vie loin de Jacques Bouthier… et peut-être se venger. La jeune Marocaine décide de faire chanter l’homme qui a trop longtemps profité d’elle. Mais le PDG d’Assu2000 n’est pas homme à se laisser intimider. Le multimillionnaire lui aurait alors affirmé qu’il ne craignait pas ses menaces et n’avait rien à redouter en raison de ses relations haut placées. Jacques Bouthier aurait même menacé Kenza de l’envoyer terminer sa vie dans une maison close en Allemagne.
Une relation de travail chargée de « trouver une solution »
Paniquée, la jeune femme renonce au chantage et pousse, mi-mars, la porte du commissariat du XIXe arrondissement pour raconter son histoire. Les analyses psychiatriques révèlent un état de fragilité psychologique important chez la plaignante. Les faits dénoncés sont qualifiés de viols en raison de l’emprise qu’aurait exercée le PDG sur Kenza.
Jacques Bouthier est alors placé sur écoute par les enquêteurs de la BPM. Et les éléments révélés par ces interceptions téléphoniques s’avèrent particulièrement instructifs, et ouvrent un nouveau pan de cette folle enquête.
Ainsi, malgré la sérénité affichée face à Kenza, le PDG d’Assu2000 a tout d’un matamore inquiet des possibles révélations de son ancienne « esclave sexuelle ». Pour éviter d’éventuelles poursuites judiciaires, il fait appel à une relation de travail : Gabriel R. Cet homme de 49 ans est le directeur général d’une société de BTP basée dans les Yvelines. Spécialisée dans « le domaine de l’immobilier, de la rénovation et de la construction », cette entreprise met en avant sur son site « la rénovation de magasins », dont plusieurs boutiques Assu2000.
Jacques Bouthier lui montre la vidéo et demande à Gabriel R. de « trouver une solution » pour régler le problème posé par Kenza. Il suggère même à l’entrepreneur d’enlever la jeune femme et de l’exfiltrer hors de France. Gabriel R. était-il redevable à Jacques Bouthier pour s’embarquer dans une telle histoire ? Avait-il vraiment prévu d’aider ce grand patron qui fait régulièrement travailler son entreprise ?
Un ancien du GIGN reconverti dans la sécurité privée
La certitude, c’est que Gabriel R. fait à son tour appel à un ami pour l’aider à régler les problèmes du PDG d’Assu 2000. Son profil d’ancien militaire détonne. Âgé de 59 ans, agent de sécurité et membre de la garde rapprochée de David de Rothschild, Christian G. s’est reconverti dans la sécurité privée en 2002, après avoir passé plus de 20 ans dans les rangs du prestigieux GIGN.
Contre 35 000 euros, l’ancien gendarme se voit confier une feuille de route périlleuse : étouffer l’affaire, récupérer la vidéo et retrouver Kenza pour l’emmener de force dans un pays étranger. Une mission criminelle à dix milles lieux de ses fonctions passées dans un service d’élite des forces de l’ordre dédié à la libération d’otages…
En garde à vue, le sous-officier a reconnu avoir perçu de l’argent, mais il n’aurait pas réussi à retrouver la jeune femme ni à mettre la main sur la vidéo compromettante.
Un incroyable scénario
La sordide affaire aurait pu s’arrêter là. Elle va pourtant prendre un tour plus rocambolesque. Car malgré son incapacité à régler les soucis de Jacques Bouthier, Gabriel R. compte bien profiter des ennuis et de l’incroyable richesse du PDG. Pour cela, il s’associe avec Rachid B., un salarié d’Assu2000 avec qui il travaille régulièrement à la rénovation d’agences de l’assureur. Ensemble, les deux hommes vont monter un incroyable mensonge pour extorquer un million d’euros au fondateur d’Assu2000.
Le duo prétend devant le multimillionnaire avoir pu entrer en contact avec les policiers de la Brigade de protection des mineurs. À en croire ces escrocs, les flics de la PJ seraient d’accord pour étouffer l’affaire contre la somme d’un million d’euros. Pris dans la tenaille, Jacques Bouthier plonge dans cet incroyable scenario et accepte de payer.
L’épouse du PDG, au courant de l’existence de la vidéo, fera même pression sur le comptable d’Assu2000 pour s’assurer que l’argent soit bien versé à Rachid B. et Gabriel R., a-t-elle admis en garde à vue. L’analyse des comptes bancaires par les enquêteurs a permis de confirmer la réalité de ce virement… Près de 300 000 euros en liquide ont par ailleurs été découverts au domicile de Rachid B. et Gabriel R.
Finalement, le 17 mai, après une enquête menée en deux mois, Jacques Bouthier est interpellé dans sa maison de Charente-Maritime, ainsi que sa compagne. À leur domicile, les enquêteurs ont retrouvé des fichiers pédopornographiques. Après avoir longtemps nié les faits, le multimillionnaire a finalement admis en garde à vue avoir eu des rapports sexuels réguliers avec les victimes, puis avoir tenté de faire enlever Kenza pour étouffer l’affaire…
Les investigations doivent désormais déterminer combien d’« esclaves sexuelles » sont passées sous la coupe du suspect. Ce mardi, Assu2000 (désormais Vilavi) a annoncé la démission de son PDG, qui dort désormais en prison. Contactée, l’avocate de Jacques Bouthier ne souhaite pas faire de commentaires à ce stade « dans la mesure où elle n’a pas eu connaissance du dossier dans sa totalité ».
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