Des soldats américains qui distribuent sur leur passage des tablettes de chocolat et des paquets de chewing-gum à la foule qui leur tend les bras, c'est une des images qui restent de la Libération. Les chars Sherman étaient équipés d'une sorte de niche permettant le transport en toute sécurité des bouteilles de Coca-Cola, c'est tout dire. Les Français découvrent en même temps cette étrange boisson, le jazz aérien de Glenn Miller et les grosses voitures aux chromes étincelants. Ils sont à la fois fascinés et envieux.
"La France made in USA", le documentaire de Bob Swaim diffusé mercredi 4 juillet sur Arte, raconte cette américanisation qui s'opère à une vitesse étonnante. En 1947, le secrétaire d'Etat américain George Marshall propose son plan de reconstruction et de redressement financier de l'Europe. Bientôt les premiers tracteurs arrivent dans le port du Havre. Ils vont révolutionner les campagnes françaises, avec l'aide de milliers d'instructeurs du ministère de l'agriculture qui, dans les salles d'école, prônent la mécanisation grâce à des films de propagande projetés sur de simples draps blancs.
L'habileté du plan Marshall est de laisser une grande marge d'autonomie aux pays qui reçoivent cette aide. Tout cela ne procède pas seulement de la charité ni de l'émotion suscitée, outre-Atlantique, par le spectacle de l'Europe dévastée. "Les Américains ont compris que les Etats-Unis ne peuvent pas être riches tout seuls. Si l'on veut que le monde occidental repose désormais sur des échanges commerciaux, et si l'on veut que ces échanges commerciaux soutiennent des valeurs démocratiques, il faut que des deux côtés de l'Atlantique il y ait des partenaires en état de commercer et en état de défendre ces valeurs", explique l'historien André Kaspi. Et, bien sûr, très vite, il s'agit aussi de lutter contre l'influence communiste. "Le plan Marshall est un plan de guerre", affirme le secrétaire général du Parti communiste, Maurice Thorez. D'un côté les tracteurs, de l'autre le culte de Staline. Le choix est inégal, même si certains aimeraient bien avoir les deux. Et Coca-Cola, toujours. En 1949, le groupe communiste à l'Assemblée nationale réclame, sans succès, l'interdiction de cette boisson symbolique.
On retiendra de ce documentaire assez décousu les images d'archives sur la reconstruction du pays, et surtout sur cet épisode un peu oublié : celui des bases militaires américaines, comme celle de Châteauroux, dans l'Indre. Les premiers contingents arrivent à la fin de l'année 1950. Les derniers soldats partent en 1967, à la demande du général de Gaulle. Entre-temps, leurs voisins ont pu admirer leurs aspirateurs, réfrigérateurs et machines à laver. Ils voudront désormais avoir les mêmes.