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Le 31 janvier 2022 à 11:09:59 HumveeDePoche a écrit :
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Dix années d’études supérieures dans les plus prestigieuses écoles de design graphique en France, et couronnées par un doctorat à l’Ecole des arts décoratifs de Paris. Côté formation, Damien Bauza affiche un CV sans fautes. Le volet expérience professionnelle n’est pas moins impressionnant : trois ans après sa sortie d’école, le graphiste de 29 ans a réalisé la nouvelle identité des Arts déco (Ensad) et exposé un de ses projets à la Biennale internationale de design graphique 2021, à Chaumont (Haute-Marne). Mais ses succès ne le préservent pas d’un marché du travail concurrentiel. Le graphiste indépendant est à la recherche d’un à-côté pour pouvoir vivre de sa passion : « Il n’y a pas d’ordre professionnel pour les graphistes, n’importe qui peut exercer, ce qui fait baisser les prix. Valoriser l’expertise apportée par mes longues études pour un client devient de plus en plus compliqué. »
De nombreux jeunes designers graphiques se retrouvent dans ses propos : l’arrivée des technologies numériques a attiré de plus en plus de candidats et développé les possibilités d’emploi, tout en paupérisant une profession qui reste mal identifiée aux yeux du grand public. Le réalisateur Michel Gondry, l’auteur de bandes dessinées Manu Larcenet, les directeurs artistiques M/M… Plusieurs célébrités ont fait leurs armes au sein des murs inspirés du Bauhaus de l’Ecole nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (Ensaama). Elles témoignent du rayonnement de l’institution, mais également de la variété de la filière graphique, au croisement de plusieurs disciplines, comme la photographie, la peinture, le cinéma. Son éventail de missions est tout aussi ample : un graphiste réalise des affiches, des logos, des emballages, des couvertures, des sites Internet…
De plus en plus d’indépendants
« Quand j’ai commencé à assurer des cours, en 1999, il suffisait d’avoir un BTS pour décrocher un emploi. Aujourd’hui, il faut poursuivre ses études et la part d’indépendants s’est accrue », analyse Paul Benoit, coordinateur du diplôme supérieur d’arts appliqués (DSAA) Design mention graphisme à l’Ensaama. Si les élèves diplômés en 2018 travaillent tous pour des grandes entreprises, la promotion de 2019 compte cinq indépendants, et la suivante (2020) en dénombre sept, sur 24 étudiants, énumère-t-il : « Les meilleurs éléments gagnent 3 500 euros à la sortie de l’école, mais ça peut tomber à 1 700 euros, c’est variable. » Le directeur de l’établissement, Eric Chenal, se veut rassurant : « Nous sommes dans une situation privilégiée du fait de la réputation de l’école, l’insertion professionnelle de nos diplômés ne nous inquiète pas. »
Ce qui s’apparente à un léger soubresaut au sein de l’institut devient un marasme à plus grande échelle. Christophe Lemaire, membre du conseil d’administration de la fédération des designers, l’Alliance France design (AFD), pointe une baisse importante des rémunérations : « Les jeunes sont majoritairement recrutés au smic, voire à un pourcentage du smic quand ils ne sont pas à temps plein, et attendent des années avant de voir leur salaire décoller. »
L’arrivée de logiciels comme Photoshop ou InDesign, dans les années 1990, a rendu une partie du travail de designer graphique accessible au plus grand nombre
La révolution numérique a bouleversé la profession. L’arrivée de logiciels comme Photoshop ou InDesign, dans les années 1990, a rendu une partie de ce travail accessible au plus grand nombre, retrace Christophe Lemaire : « Des brouettes de personnes se sont alors formées à la mise en page et muées en graphistes, croyant à tort maîtriser le savoir, là où elles maîtrisent l’outil. Qualité et tarifs baissent. » Sans pour autant freiner l’envolée des effectifs. Jean-Pierre Durand, auteur de Métiers du graphisme, un ouvrage sur la profession commandé par le ministère de la culture en 2011, chiffre à environ 50 000 le nombre de graphistes en France en 2010. « Aujourd’hui on est autour de 65 000, dont une bonne moitié qui vit marginalement du graphisme », détaille le sociologue.
Une tendance renforcée par l’essor de formations en design graphique, « indexées non pas sur le nombre de débouchés, mais sur la demande de formation, avec des frais de scolarité très élevés et des logiques de concentration très fortes. Le groupe Galileo prend de plus en plus de place dans l’enseignement supérieur artistique privé », note Emmanuel Tibloux. Le secteur, poursuit le directeur de l’Ensad, demeure très attractif : « Notre environnement est de plus en plus visuel, les supports ne cessent de se multiplier. A la différence de l’art, le design n’est pas tant perçu comme un risque professionnel que comme un compromis entre une vocation artistique et une certaine garantie d’emploi. Il se situe entre le désir de l’étudiant et le rappel à l’ordre du réel des parents. »
Passionné d’arts visuels depuis le plus jeune âge, Sofian Medjdoub a surmonté les inquiétudes de son père, « qui avait une image noire de l’artiste », en s’inscrivant à l’Académie des beaux-arts, à Tournai, en Belgique. En 2018, il décroche son diplôme et un CDD comme graphiste dans une entreprise de signalétique. « Je faisais du contrôle de fichiers, c’était un travail à la chaîne. J’étais mobilisé du matin au soir, pour 1 400 euros », témoigne celui qui finit par démissionner.
Des cours d’économie et de gestion
S’ensuivent deux années difficiles : « J’ai envoyé des centaines de candidatures. Je n’ai essuyé que des refus, des silences, voire des insultes. Une directrice artistique m’a envoyé paître : elle avait reçu 200 candidatures en deux jours. » Il finit par renoncer : « Pour être embauché, il faut avoir une expérience de dingue, être ultra-polyvalent et accepter de travailler à moindre coût. Je me suis résolu à créer ma propre entreprise. »
A l’AFD, Christophe Lemaire voit défiler les jeunes diplômés formés dans la promesse d’un emploi salarié et ignorant le b.a.-ba du travail indépendant : « Des ouvriers du graphisme, qui savent ce qu’est une image mais sont incapables de vendre leur travail, démarcher un client, se savonnent eux-mêmes la planche en facturant en prestations de service ou en autoentrepreneur. » Et sont démunis face à la concurrence des dizaines de plates-formes qui « précarisent le secteur en permettant de trouver un graphiste en quelques clics et à moindres frais », déplore le correspondant Ile-de-France de l’AFD.
La profession est en guerre contre les appels d’offres non rémunérés, car les projets, maquettes et notes d’intention demandés lors des phases de sélection représentent un travail considérable
Laurent Ungerer, référent du secteur design graphique à l’Ensad, appelle à faire tomber les tabous autour de l’argent : « L’avenir d’un élève qui s’oriente en design graphique est avant tout d’être un futur indépendant. J’aimerais inviter des professionnels pour qu’ils abordent de manière transparente les mécanismes financiers du travail indépendant. »
La profession est également en guerre contre les appels d’offres non rémunérés. La tribune « Non aux créations gratuites », publiée en mai 2021, rappelle que les projets demandés lors des phases de sélection représentent un travail considérable, qui n’est pas rémunéré dans plus de 80 % des cas. « En quête de notoriété, les jeunes diplômés sont plus susceptibles de travailler gratuitement. Il faut que les écoles soient davantage aguerries sur ce sujet », estime Mathias Rabiot, à l’initiative du texte et fondateur de l’agence de communication Graphéine. « Les institutions comme les entreprises spéculent sur le désir de reconnaissance des jeunes diplômés. On ne cesse de dire à nos étudiants de ne pas répondre à des concours ou à des appels à idées gratuitement », souligne Gilles Poplin, directeur de Penninghen, une école de direction artistique et d’architecture intérieure basée à Paris.
L’Ensaama veille aussi au respect des droits d’exploitation de ses étudiants, rappelle Paul Benoit : « Nous avons annulé une collaboration avec une entreprise qui voulait faire appel à nos étudiants pour son identité visuelle en exigeant la cession de leurs droits d’exploitation. » Les écoles s’inquiètent également de l’essor du mécénat de compétences, qui permet aux entreprises de mettre des collaborateurs à disposition d’un organisme d’intérêt général. « Cela appauvrit le paysage visuel et constitue une forme de concurrence déloyale dont sont victimes les graphistes indépendants », affirme Emmanuel Tibloux.
La concurrence du mécénat de compétences
Historiquement, le marché du design graphique des institutions culturelles était principalement dévolu aux petites et moyennes structures créatives. Avec le mécénat de compétences, certaines agences de publicité ont pu entrer dans ce secteur en proposant des solutions médiocres qui ne coûtent rien à l’institution, alerte une tribune de l’Alliance graphique internationale publiée en 2020.
L’économie réalisée par l’institution est indirectement financée par le contribuable grâce au crédit d’impôt octroyé au mécène. « Les ateliers de création graphique sont exclus du marché », regrettent Elsa Aupetit et Martin Plagnol. Les fondateurs du studio de design graphique Kiosk sont diplômés de l’Ensad, en 2012 : « Il nous a fallu dix ans pour être à l’aise en tant que graphistes indépendants. »
« Quand on réalise un logo, on décortique la concurrence, on envisage les enjeux stratégiques, cela demande du temps, et du travail. Quand le client en face veut faire baisser les prix en rétorquant “dessine-moi juste un petit logo”, c’est méprisant », regrette Mathias Rabiot.
Pour que la profession soit davantage connue, Jean-Pierre Durand appelle à la création d’un lieu consacré au graphisme, soutenu par la puissance publique. Et milite pour une meilleure formation à la culture visuelle : « Nous sommes dans une société de l’image. La lecture d’une image est tout aussi élaborée que la lecture d’un texte. Sauf qu’on ne l’apprend à aucun moment de notre scolarité. »
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Données du topic
- Auteur
- DeunisBrogniart
- Date de création
- 31 janvier 2022 à 11:06:37
- Date de suppression
- 31 janvier 2022 à 11:24:57
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