Il y a d’abord Tonyo, 28 ans. Plombier, le jeune homme vient tout juste de trouver l’âme sœur et souhaite avoir des enfants. Il y a aussi Joe. Photographe de mode et réparateur de voitures, le quadragénaire est en concubinage depuis dix ans, envisage d’acheter une maison et de faire un bébé. Eddie, ensuite. À 44 ans, cet éducateur d’une association de lutte contre l’exclusion paye tous les mois le loyer et l’électricité de ses parents. Enfin, il y a Étienne. Célibataire sans enfant de 48 ans, ce fonctionnaire de mairie en Seine-Saint-Denis veille plusieurs nuits par semaine sur son père malade.
Voilà la très lisse face A de quatre hommes insérés et sans histoires. La face B est bien plus sombre. Acteurs amateurs de films X, ils ont été mis en examen le 22 octobre pour des « viols en réunion » commis sur une vingtaine d’actrices lors de tournages extrêmes et dégradants, ainsi que l’a révélé BFMTV. Trois d’entre eux ont été placés en détention provisoire.
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Ces poursuites judiciaires inédites sont une étape de plus dans la tentaculaire affaire qui secoue le porno amateur depuis octobre 2020 et la chute du producteur Pascal OP, créateur du site FrenchBukkake. Cette enquête hors norme, à laquelle nous avons eu accès, pose désormais la question centrale du rôle des acteurs lors des tournages. Elle questionne aussi sur la liberté de choix d’actrices soumises aux désirs pervers de producteurs en quête de scènes toujours plus humiliantes.
Dans ce dossier exponentiel piloté par les gendarmes de la section de recherches de Paris, les enquêteurs ont déjà recueilli les témoignages de 53 victimes déclarées. Près de 30 d’entre elles, recrutées par la ruse et les subterfuges d’un complice de Pascal OP qui se faisait passer pour une escort-girl sur les réseaux sociaux, ont déposé plainte.
« J’étais leur objet. Ils me retournaient… J’avais envie de mourir »
C., l'une des victimes
Retrouvées au fil de l’enquête, ces femmes ont raconté aux gendarmes l’enfer des sans gloire du X : la soumission chimique par l’alcool et la drogue, les pratiques sexuelles violentes imposées et la pression économique sur des femmes précaires. « Tout se fait en même temps sans me demander mon avis ou me prévenir, raconte par exemple G., entendue le 11 octobre. C’est un peu l’instinct de survie. Soit je dis non, et je prends le risque d’être séquestrée dans un appartement et personne ne sait où je suis ; soit je le fais, je pars et personne ne saura ce qu’il s’est passé… »
Expérience tout aussi traumatisante pour C., qui décrit des actes sexuels « forcés ». « De toute façon, j’étais leur objet…, explique-t-elle. Ils me retournaient… Je n’avais rien accepté de tout ça. (…) J’ai pleuré sur la dernière scène avec tous les mecs. Ça les a amusés. Au moment où ils m’ont fait des fellations forcées, j’ai essayé de les repousser mais c’était impossible. (…) Je me suis sentie utilisée, violée. J’avais envie de mourir. Ce qui m’a été imposé, ce sont les scènes, parce que six hommes ce n’était pas prévu… »
Entendue en avril par les enquêteurs, M. se souvient aussi de l’état second dans lequel elle s’est retrouvée au moment du passage à l’acte : « Il (Pascal OP) a sorti de la cocaïne et de la vodka. Je me souviens qu’il y a eu plusieurs prises, parce que j’étais tellement défoncée que je suis tombée par terre. » « J’arrivais même pas à me payer le train (…). J’étais littéralement obligée de faire les poubelles pour manger », relate encore E. pour expliquer comment elle s’est retrouvée sur ces tournages extrêmes.
« Les filles sont utilisées comme des morceaux de viande »
Joe, acteur porno mis en examen
Lors de toutes ces scènes sordides, Pascal OP est présent. Mais il n’est pas seul. Grâce aux témoignages des jeunes femmes et au visionnage des vidéos saisies, quatre acteurs sont identifiés par les gendarmes et interpellés le 19 octobre dans le Val-de-Marne, en Seine-Saint-Denis et en Seine-et-Marne. « Quand vous m’avez arrêté, j’ai lu la notification et il y avait marqué viol, je ne comprenais pas, admet Eddie, plus de 300 films au compteur, après quelques heures de garde à vue. Mais au vu de ce que vous m’avez dit de la notion du consentement… Même si Pascal est réalisateur et qu’il est responsable de tous ses acteurs, nous acteurs on a une responsabilité… »
Cette absence du respect du consentement des actrices amatrices ressemble pourtant à une norme sur les tournages de Pascal OP. « Les filles sont utilisées comme des morceaux de viande, admet Joe, très au fait des pratiques du métier. Je dirais que par rapport à la définition du viol, c’est des viols déguisés sous prétexte de vidéos. Et que les vidéos donnent toutes les libertés aux acteurs et producteurs, que ça leur permet de ne pas demander le consentement… »
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Au fil de leurs auditions, ces acteurs amateurs, qui ne vivent pas de leur carrière dans la pornographie, semblent comprendre que répondre aux injonctions de Pascal OP lors des tournages ne les exonère pas de responsabilités. « Bien qu’il y ait la notion de consentement que j’ai bien compris, dans ces moments-là, moi je ne savais pas, je ne pensais pas que je commettais un crime », confie par exemple Eddie.
En revoyant la vidéo qu’il a filmée pour le sulfureux producteur, Tonyo – occasionnel cadreur en plus de son rôle d’acteur – admet ne « pas comprendre pourquoi on n’a pas mis fin (à la scène)… J’aurais pu dire à J. : si tu veux on arrête la scène… »
« Je suis coupable, je n’ai aucune excuse. C’est un viol »
Joe, l'un des mis en examen
Étienne revoit à son tour une scène dans laquelle il a joué. L’actrice avait exigé qu’il porte un préservatif, il ne l’a pas écoutée. « Ouais, on voit bien que la fille est gênée et qu’elle n’a pas envie, admet Étienne face aux images. Mais j’ai suivi les consignes de Pascal… »
Autre extrait, même malaise. A. est en larmes, « dit qu’elle n’en peut plus » et refuse catégoriquement qu’Étienne lui éjacule sur le visage. Il passe outre. « Quand on voit la vidéo elle est en souffrance, la fille », se confond le jeune acteur. Et de déplorer les scenarii de Pascal OP : « Je m’en veux de ne pas avoir réagi sur le coup, c’était tellement exécuté rapidement, ça allait tellement dans son personnage exécrable et c’est ce qui faisait son buzz et sa notoriété, la maltraitance dans le tournage. La fille objet, le vide-couilles (sic). Il le dit sans cesse. »
Le producteur Pascal OP a été mis en examen. Selon Étienne, l'un de ses acteurs, «c’est ce qui faisait son buzz et sa notoriété, la maltraitance dans le tournage».
Le producteur Pascal OP a été mis en examen. Selon Étienne, l'un de ses acteurs, «c’est ce qui faisait son buzz et sa notoriété, la maltraitance dans le tournage». DR
La nausée qui se dégage de ces films sordides gagne même les acteurs confrontés à leurs propres prestations. « Comment qualifiez-vous cet acte ? » demande un enquêteur à Joe en lui présentant une scène durant laquelle il impose une violente fellation à une actrice. « Vous me précisez que c’est moi qui me dis : Va au fond. Dans ce cas-là, c’est moi qui suis coupable, je n’ai aucune excuse. De ce que vous m’avez dit, ça serait un viol parce que le consentement de la fille n’est pas… » s’effondre Joe en larmes, sans terminer sa phrase, expliquant être entré dans l’industrie pour faire face à une rupture.
« J’étais vraiment dans le truc, je ne cherche pas à m’excuser, mais on va dire que j’étais dans la scène, il fallait tout le temps faire plus hard, plus hard, on avait nos habitudes de vocabulaire… » Mal à l’aise, l’acteur demande à mettre fin à la diffusion d’un autre extrait présenté par les gendarmes. Une actrice y est en larmes, sodomisée de force. Joe se prend la tête dans les mains : « Pour moi, encore une fois, dès que la personne a mal et que… ben, c’est un viol… » Le mot est enfin posé, par les acteurs comme par la justice.
« Les gendarmes m’ont dit que vu que j’avais signé, j’étais consentante »
M., l'une des victimes
Un soulagement pour les plaignantes. Car longtemps, Pascal OP et ses acteurs ont joui d’une impunité liée au profil de leurs victimes. Comme s’il était inconcevable que des actrices de films X soient violées, celles qui ont voulu intenter une action en justice ont été négligées, méprisées.
« J’ai contacté une avocate, puis plusieurs, qui m’ont toutes dit : T’as signé c’est trop tard », se souvient par exemple E., qui avait déposé plainte en janvier 2018. « J’avais déposé plainte contre Pascal quand la vidéo est sortie, se remémore aussi S. Mais le policier m’a dit que comme j’avais signé un contrat je ne pouvais rien faire. » « Je n’avais le soutien de personne, pleure M., traumatisée de son tournage avec Eddie et Étienne. Mon avocat ne voyait pas la faille des contrats. Je suis allée à la gendarmerie, mais ils m’ont dit que ça ne servait à rien parce que vu que j’avais signé, j’étais consentante. »
Contactés, les avocats des trois acteurs X écroués, Joe, Étienne et Eddie (leurs noms de scène), respectivement représentés par maîtres Dylan Slama, Mourad Battikh et Josselin Guillon, n’ont pas souhaité s’exprimer. L’enquête de la section de recherches de Paris et la chute de Pascal OP, une onde de choc dans le milieu, feront-elles durablement évoluer les pratiques ?
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Exposés par le scandale, le célèbre site Jacquie & Michel – visé par une enquête – et le géant Dorcel ont en tout cas annoncé leur souhait d’adopter des chartes éthiques et déontologiques pour s’assurer du consentement des actrices. Un artifice pour se donner bonne conscience ? Pour l’heure, huit personnes sont mises en examen, dont deux producteurs et quatre acteurs dans ce dossier.
« Ces mises en examen sont un premier jalon vers la fin de l’impunité dans l’industrie du porno, estime Me Lorraine Questiaux, avocate de plusieurs parties civiles. Cette procédure ne vise pas des productions marginales mais est bien au cœur même du système puisque les mis en examen travaillaient aussi avec les grandes productions comme Dorcel et Jacquie & Michel. Aujourd’hui, la justice a décidé de croire ces femmes victimes de violences sexuelles, c’est inédit et il faut s’en féliciter. »
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