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[ALERTE NOIRE] Jean-Denis Bredin est MORT !

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92 ans, il a bien vécu

L’avocat et académicien Jean-Denis Bredin est mort
Jean-Baptiste de Montvalon

Le ténor du barreau, professeur de droit et écrivain, est mort à l’âge de 92 ans. Engagé dans de nombreux combats, il fut notamment un ardent partisan du procès en révision de l’affaire Seznec.

L’avocat et écrivain Jean-Denis Bredin, membre de l’Académie française, où il avait été reçu le 17 mai 1990, est mort, à l’âge de 92 ans, a annoncé le bâtonnier de Paris, mercredi 1er septembre, après une information du Point. Sans doute ceux qui l’ont approché et entendu, dans les amphithéâtres, les colloques, les prétoires ou ailleurs, regretteront-ils d’abord l’exquise courtoisie d’un homme de tempérance, de tolérance et de respect, épris de justice. Ils se souviendront aussi d’une modestie à toute épreuve, d’une étonnante retenue, compte tenu de l’ampleur et de la qualité de ses écrits.

« Il ne suffira pas d’une vie entière pour se faire pardonner d’exister. » Cette phrase terrible figure dans le seul récit autobiographique que Jean-Denis Bredin s’était résolu à publier, en 2007. Ses souvenirs d’enfant triste, il les avait précédemment évoqués à l’abri de la fiction, dans Un enfant sage (Gallimard, 1990). Il y revint, sans détour cette fois, dans un livre qu’il voulait intituler « Excusez-moi ». Son éditeur (Grasset) préféra Trop bien élevé. Il y raconta les tourments d’un enfant réduit au silence autant qu’à l’excellence. Un enfant « condamné à ne pas vivre », qui dut – et sut – ensuite grandir, et se frayer de (brillants) chemins, tout en s’excusant souvent de les emprunter.

Né le 17 mai 1929 à Paris, Jean-Denis Bredin grandit corseté, écrasé sous le poids d’une montagne de vertus bourgeoises à deux versants. Le travail, le sérieux du côté de son père, issu d’une famille de juifs alsaciens ; un homme austère au « visage grave, encombré de soucis », à qui il est confié après le divorce de ses parents. L’élégance et le raffinement chez sa mère, qu’il rejoint à la mort de son père ; à charge pour l’enfant de le prier (catholiquement) tous les soirs. « Ces deux bourgeoisies (…) s’accusaient respectivement d’être étroite et ennuyeuse, ou légère et pervertie. Elles ne voyaient pas comme elles étaient semblables, seulement attentives aux apparences, si méfiantes envers la vie ! » La mère de Jean-Denis Bredin se remariera en 1939 avec Jean Lemaire.

Premier, partout et toujours

Toute médaille a son endroit. Ce furent des prix, et une excellence dont il ne put se défaire. Premier de la classe au lycée Charlemagne, à Paris, où, marmonnant un inaudible « présent » à l’appel du nom d’emprunt qui lui avait été imposé pour le protéger, il voit disparaître peu à peu ses camarades qui portaient l’étoile jaune. Est-ce pour ménager son identité malmenée, ou plus simplement pour préserver sa liberté ? Il refuse ensuite d’entrer à Normale Sup car il faut y être « pensionnaire », et choisit le droit plutôt que les lettres. Un pas de côté. Ce ne sera pas le dernier. Jean-Denis Bredin est premier, partout et toujours. Docteur en droit à 21 ans, il est premier à l’agrégation de droit privé à 28 ans, premier au concours de la Conférence du stage des avocats.

En 1950, année où il obtient par décret de changer définitivement son nom d’origine, il est admis au barreau de Paris. En 1965, il s’associe avec Robert Badinter – avec lequel il cosignera plusieurs articles dans les colonnes du Monde – pour fonder ce qui devint par la suite un prestigieux cabinet d’avocats d’affaires. Dans la période récente, Jean-Denis Bredin a fait partie du tribunal arbitral chargé de solder le litige dans l’affaire Tapie-Crédit lyonnais.

Jean-Denis Bredin, qui a écrit de nombreux articles juridiques, ainsi que des textes sur l’art de l’éloquence et la profession d’avocat, a été professeur à la faculté de droit de Rennes, de Lille, à Paris-Dauphine, puis à l’université Paris-I de 1971 à 1993. S’il a enseigné le droit à des générations d’étudiants, il en a défendu auprès d’un plus large public les grands principes, ceux qui lui tenaient particulièrement à cœur.

A commencer par la présomption d’innocence, à chaque fois – et les occasions furent nombreuses – qu’il la sentait particulièrement malmenée. « Elle n’est en France, qu’une solennelle hypocrisie. Nul, chez nous, n’est présumé innocent sitôt que le soupçon pèse sur lui », écrivait-il en juillet 1997. Avocats de Denis Seznec, le petit-fils de Guillaume, qui a consacré sa vie à la réhabilitation de son grand-père, tous deux exprimaient alors leur « déception » et leur « stupéfaction » devant le « sinistre arrêt » de la Cour de révision, qui ne les avait pas suivis.

Quelques années plus tôt, Jean-Denis Bredin avait déjà échoué dans sa tentative de révision du procès Ranucci, guillotiné en 1976 pour le meurtre d’une petite fille. Davantage qu’une présomption, l’innocence était pour lui une obsession. « Quid du “vrai” coupable ? », l’avait interrogé le magistrat Antoine Garapon, lors d’un entretien diffusé sur France Culture en septembre 2011. « Je me suis intéressé à l’innocent, ce qui est finalement la partie la plus belle, la plus émouvante de la justice », avait répondu Bredin. Ajoutant, fidèle à lui-même, dans une constante tentation de se déprécier : « Mais c’est aussi une solution de facilité. »

La « facilité » en question, ce furent des chantiers (très) rigoureux et titanesques. Près de quatre ans de travail pour chacun des principaux ouvrages qui lui valurent d’être pleinement reconnu comme historien. Deux ou trois ans pour la recherche (bibliographie et sources imprimées) et le travail préparatoire, un ou deux pour la rédaction. Il publia Joseph Caillaux (Hachette, 1980) ; et Sieyès : la clé de la Révolution française (Fallois, 1988). Dans ce registre, un seul titre, sans doute le plus abouti, celui qui a fait date et qui continue d’être « la » référence en la matière, ne porte pas le nom de celui auquel il est consacré : L’Affaire (Julliard, 1983). Le destin du capitaine Dreyfus en est la raison d’être et le fil conducteur. Mais L’Affaire le dépasse, qui décrit au plus près cette France de la fin du XIXe siècle, notamment la place et le rôle de l’Eglise et de l’armée, pour mieux cerner les sources plurielles de cette injustice majeure – antisémitisme en tête –, qui fractura durablement le pays en deux.

Pierre Mendès France pour modèle

Sans doute y avait-il un hiatus entre la justice pensée par Jean-Denis Bredin et celle qui est appliquée – avec les faibles moyens qui lui sont dévolus – dans les tribunaux. L’inflation législative, et sa pente répressive, n’était pas pour le rassurer. Mais c’est un gouffre qui sépare la politique, à laquelle Bredin s’est un temps essayé – devenant vice-président du Mouvement des radicaux de gauche (MRG) de 1976 à 1980 –, des principes auxquels il se référait. Il abandonna toute responsabilité politique, acceptant uniquement de se voir confier dans les années 1980 des missions, notamment sur l’audiovisuel et le cinéma, ainsi que la présidence du conseil d’administration de la Bibliothèque nationale.

Jean-Denis Bredin, qui espérait de la gauche qu’elle promeuve « l’apprentissage obstiné du respect de la personne humaine et de sa dignité », avait Pierre Mendès France pour modèle. L’avocat historien avait rencontré l’ancien président du conseil pour L’Affaire. Il avait préfacé Le Procès Mendès France, de Christiane Rimbaud (Perrin, 1986), puis avait lui-même consacré un ouvrage à ce même sujet (Un tribunal au garde-à-vous. Le procès de Pierre Mendès France, 9 mai 1941, Fayard, 2002).

Dans une tribune titrée « Une autre idée de la politique », publiée dans Le Monde du 13 avril 1995, Jean-Denis Bredin écrivait – mais c’est encore la voix de Mendès qu’il faisait résonner : « L’intellectuel et le politique pourraient beaucoup faire pour que vienne une démocratie plus vivante, où ne règnent pas forcément les dogmes, les mots, les apparences. (…) Le risque détestable serait, pour la démocratie du siècle qui s’approche, qu’un jour le discours de l’intellectuel ne semble plus que pittoresque, et celui du politique indifférent », écrivait-il en juin 1999, dans un texte malheureusement prémonitoire.

Lors du centenaire de l’affaire Dreyfus, son ouvrage couronné de plusieurs prix avait été réédité, dans une version augmentée. « Peu importe que l’affaire Dreyfus soit historiquement terminée, expliquait alors Jean-Denis Bredin, au Monde du 21 juin 1994. Elle continue de tracer une “ligne de partage” entre ceux qui préfèrent le dogme à la vérité, ceux qui préfèrent la chose jugée à la justice, ceux qui croient qu’existent des valeurs supérieures à l’individu : la patrie, l’Etat, l’armée, le parti, le chef, et ceux qui refusent de s’y résoudre ». « Encore faut-il remarquer que cette ligne de partage ne sépare pas les bons des méchants, ce qui serait trop simple, mais qu’elle passe sans doute en chacun d’entre nous », ajoutait l’historien.

Une affaire – certes non des moindres – était réglée. L’Affaire, cette grande affaire majuscule, celle de la vérité et de la justice, se poursuit et se poursuivra, causant de fausses certitudes ou des tourments en chacun d’entre nous. Elle vient de perdre l’un de ses plus fervents avocats.

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CafeSucre11
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1 septembre 2021 Ă  18:08:44
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