Je me rendais au bureau de vote local - une modeste bâtisse brutaliste, ornée de motifs déteints, frustes mémoires d'un temps révolu.
Sous la pluie battante, les vitraux usés de l'édifice -tantôt parcourus de ruissellements- se chargeaient de la ferveur maladive des plébéiens ôtant toute transparence à ce qui fût autrefois le miroir de la bureaucratie sur le monde extérieur.
Aussitôt entré dans l'antre de la démocratie, j'assistai à un funèbre spectacle se déroulant non loin des isoloirs. Un Homme, ou plutôt, un homme, ni trop grand, ni trop petit et de noir vêtu se querellait avec un assesseur.
Une histoire de vote, à priori.
Une histoire de cœur, selon la doxa.
"De mon vivant, nul homme ne votera la haine", braillait l'assesseur.
L'assesseur. Un homme de petite stature. Trapu. Aux traits grossiers. Porcins. Le patricien était empourpré. Des veines bleuâtres se dessinaient sur son front. Était-ce la colère? Ou bien l'effort?
"Je... n... non je veux voter comme tout le monde" bégayait son interlocuteur. Il amenda son propos: "je veux prendre tous les bulletins, comme la loi l'exige".
L'assesseur ne trahit pas sa surprise: comment cet être indolent -cette crapule- avait l'indigence d'invoquer la Sainte République ?
Il hurla au visage du pharisien. Des mots, que je n'aurais l'audace d'écrire. Le brouhaha se tut. L'air, était figé.
Tout les regards étaient fixés sur lui.
"LA HAINE N'A PAS SA PLACE DANS LA V° "
Il écumait. Quelques voix se soulevèrent.
"No Pasaran ! No Pasaran !", entendait-on dans l'auditoire.
Peu à peu, les quelques voix devinrent clameur, et clameur devint tumulte.
Au centre de la foule, l'assesseur toisait sa Némésis.
C'en était fini.
L'homme était redevenu enfant. Thénardier était devenu Gavroche.
"Va. Clephte tu es, de ton sang. Et ainsi tu demeureras: orphelin de la République. "