Les français ne veulent pas retrouver lavy davant
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Par Anissa Hammadi
Le 21 mai 2021 à 13h57
Autour d’elle, tout le monde se réjouissait de voir passer le couvre-feu de 19 à 21 heures. De s’attabler enfin en terrasse. À cette annonce que la plupart des Français attendaient avec soulagement, la première réaction de Clara a été de se demander : comment occuper ces deux heures supplémentaires ? Pour aller où ? Et avec qui ? « L’injonction » de profiter de la réouverture des terrasses ou du cinéma lui fait penser à la pression du 31 décembre, au soir duquel « il faut absolument fêter le Nouvel An ». « Je n’ai pas peur du virus, mais j’ai l’impression d’être obligée de sortir », résume l’étudiante parisienne de 23 ans, originaire de Bernay (Eure). Comme la plupart des jeunes femmes de son âge, Clara courait pourtant toutes sortes de salles obscures avant la crise sanitaire : boîtes de nuit, cinémas, bars.
Un mode de vie qu’elle n’est pas certaine de vouloir reprendre. « J’ai trouvé un confort, le couvre-feu a rythmé ma vie. À 19 heures, je suis chez moi, j’ai mes petites habitudes. Peut-être que ma vie d’avant reviendra, mais je me sens dépassée. Comme si d’un coup la multitude de possibilités me paralysait. » Le soir de la réouverture des terrasses et lieux culturels, Clara est restée dans sa tanière, en observation. « Le ciné me manque mais c’est comme si on m’ouvrait une montagne et que je n’arrivais pas encore à la franchir. Je vais y aller doucement. »
Romain, lui, ressent surtout une « injonction à consommer ». Il n’a plus envie d’aller au restaurant, lui qui adorait ça, ni au cinéma, ni de boire des coups avec ses collègues après le boulot. Au début, le trentenaire associait son envie de rester à la maison à la peur du virus. « Mais vu que je ne suis pas à risque, j’ai compris que je ne voulais tout simplement pas renouer avec ce qu’on pouvait faire avant. »
« J’ai existé par la consommation, et je me suis recentré »
Le chamboulement de nos façons de vivre, pendant la pandémie, a eu l’effet d’un déclic chez ce père de famille qui vit à Orléans : « Pendant des années, je sortais par habitude et ça me coûtait très cher. C’est un peu comme le Beaujolais : on ne le trouve pas forcément bon, mais c’est un moment de partage donc on l’achète quand même. Je trouve nettement moins de sens à mes sorties, j’ai envie de vivre différemment », explique Romain, qui s’auto-diagnostique, en plaisantant à moitié, le « syndrome de la cabane » (aussi appelé « syndrome de l’escargot », il correspond à la peur de sortir de son lieu d’enfermement).
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Il écoute davantage de musique, fait « des choses plus passives ». Son nouveau casque réducteur de bruit l’isole dans son « cocon ». Il prend soin de décorer sa maison, auparavant simple « lieu de passage ». Se comparant au personnage de Tom Hanks dans « Seul au monde », de retour parmi les siens après avoir échoué des années sur une île déserte, Romain a la sensation d’être « décalé » par rapport à la société : « J’ai été un bon petit soldat, j’ai existé par la sortie, la consommation, et en fait je me suis recentré. »
Le repli sur soi comme ressource
Chez les personnes qui ont trouvé un bénéfice dans cette rupture du cadre de vie, « l’effort demandé pour se réadapter à un rythme antérieur est très coûteux, constate la psychologue Agnès Bonnet-Suard. Tout ce qui faisait partie de la norme devient une contrainte parce qu’on est épuisés psychiquement. Et on a tendance à se replier sur soi pour retrouver des ressources. »
Toute la journée de mercredi, des photos de café ou de plat sur des terrasses bondées ont inondé les réseaux sociaux. Tout ce que cherche à fuir Raphaël, kinésithérapeute à Créteil (Val-de-Marne). « Avec le Covid, on ne pouvait plus se projeter et on a dû vivre au présent. Évidemment je suis content que les commerçants puissent reprendre le travail, mais je ne veux pas retrouver cette société où tout le monde s’affiche sur les réseaux sociaux. »
« On ne fait plus les choses pour les vivre, mais pour les montrer, poursuit-il. Chacun y va de sa photo de vacances sur Instagram, et inconsciemment vous avez l’impression de rater quelque chose, même si ça ne vous correspond pas. Ça crée de faux manques. Ce confinement a été une vraie leçon de vie : j’ai appris que j’étais très heureux dans ma maison, avec ma femme et mes enfants, à profiter de choses simples. »
« L’agitation du monde perçue comme une menace »
Raphaël l’affirme : le premier confinement était « ce qui pouvait arriver de mieux » pour lui. « Cette agitation permanente du monde est perçue comme une menace, et cela va de pair avec l’usage du numérique », confirme Agnès Bonnet-Suard, également autrice de « Agir contre l’épuisement émotionnel et se retrouver » (éditions Eyrolles).
La psychologue reçoit par ailleurs beaucoup de patients « qui n’arrivent pas à se remettre au travail sur site ». Parfois, l’appréhension est liée à la crainte de la maladie, mais « la plupart d’entre eux se sont adaptés au télétravail et ne veulent pas reprendre comme avant, ça les fatigue d’avance ». Il y a aussi ceux qui présentent des troubles anxieux allant jusqu’au syndrome de la cabane ou l’agoraphobie.
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« Le confinement a pu accentuer des habitudes chez des personnes qui ont des phobies ou des tendances initiales à l’anxiété, explique le psychiatre Antoine Pelissolo, chef de service au CHU Henri-Mondor de Créteil. Cela correspond à des pathologies comme l’agoraphobie, la crainte de l’extérieur, de la foule en terrasse, la proximité avec les autres… Toutes les adaptations qu’on a dû subir depuis un an sont difficiles à vivre, et lorsque nous sommes habitués à un fonctionnement régulier, le stress lié à un nouveau changement peut surgir. »
Alexis, 25 ans, préfère "recevoir à la maison", chez lui à Enghien-les-Bains (Val-d'Oise) que de profiter des terrasses. "Tout le monde se rue sur les commerces, ça met une pression." DR
Alexis, 25 ans, préfère "recevoir à la maison", chez lui à Enghien-les-Bains (Val-d'Oise) que de profiter des terrasses. "Tout le monde se rue sur les commerces, ça met une pression." DR Droits réservés
C’est le cas d’Alexis, agoraphobe. Le jeune homme « pantouflard » avait trouvé son compte dans « cette idée du confinement », qu’il percevait comme un cocon. « On va pouvoir reprendre une vie sociale, mais c’est angoissant de sortir, revoir du monde. » Avant le télétravail, la vie s’apparentait pour lui à « une course de Mario Kart ». Grâce à l’économie de ses déplacements, l’ex-conseiller voyages s’octroie désormais « une demi-heure quotidienne de lecture ou de télévision ». « Nous n’avons jamais été aussi libres que sous le Sars Cov 2, libres de refuser une invitation », ironisait le journaliste et sociologue Guillaume Erner, sur France Culture. Une « liberté », ou plutôt une « excuse », comme dit Alexis, qui s’est envolée le 19 mai.
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- maestrorocco
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- 22 mai 2021 à 15:30:23
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