Joseph de Maistre sur la Philosophie de l'histoire
Histoires de la Révolution et de l'Empire de Gueniffey pages 412 a 426 :
Les considérations sur la France s'ouvrent sur l'exposition de la théorie providentialiste de l'histoire à laquelle le nom de Maistre reste attaché. Écoutons le :
Nous sommes tous attaché au trône de l'Etre suprême par une chaine souple, qui nous retient sans nous asservir. Ce qu'il y a de plus admirable dans l'ordre universel des choses, c'est l'action des êtres libres sous la main divine. Librement esclaves, ils opèrent tout à la fois volontairement et nécessairement : ils font réellement ce qu'ils veulent, mais sans pouvoir déranger les plans généraux.
Il existe un ordre voulu par Dieu, gouverné par des lois que l'on peut dire "souples" dans la mesure où Dieu agit seulement par les moyens qu'il a placés dans l'homme. Cette interprétation de l'histoire n'exclu pas, on le voit, toute espèce de liberté : les hommes sont libres de suivre, ou non, les prescriptions divine. Le XVIIIe siècle l'a prouvé en voulant échapper à la tutelle de Dieu. Que les hommes acceptent de se soumettre à ces lois ou qu'ils décident au contraire de les ignorer, les conséquences seront assurément différentes ; mais, même même dans la seconde hypothèse, les hommes continueront de servir, malgré eux, les plans secrets de la Providence : même "les irrégularités produites par l'action des agents libres, affirme Maistre, viennent se ranger dans l'ordre général".
C'est pourquoi on se trompe lorsqu'on peint la Révolution française comme un monstrueux désordre. Comme il n'existe point de hasard dans le monde, il ne peut davantage exister aucun désordre ou, plutôt, il faut admettre que tout ce que l'esprit perçoit comme un désordre "est ordonné par une main souveraine qui le plie à la règle, et le force de concourir au but". Tout ce qui dérange l'ordre des choses tend ainsi à la réalisation des plans insondable de la Providence. Comme Rousseau après le tremblement de terre de Lisbonne, Maistre pourrait s'écrier : "Tout va bien !" Tandis que la Révolution française apparaît à l'abbé Barruel comme la subversion, par des hommes dévoyés, de l'ordre voulu par Dieu, elle tend au contraire, selon Maistre, au rétablissement de cet ordre. La Révolution a même quelque chose de miraculeux, puisque Dieu utilise cet instrument pour se substituer aux hommes, leur ôter la liberté d'action dont ils jouissent ordinairement et intervenir lui-même dans les affaires du monde : "Dans les temps de révolution, poursuit Maistre, la chaîne qui lie l'homme [...], l'action supérieur se substitue à celle de l'homme et agit toute seule." La Révolution française est simultanément crime, Châtiment et salut.
C'est à la lecture des œuvres de Malebranche et de Bossuet que Maistre a élaboré son discours sur l'histoire. L'influence de la pensée de Malebranche sur celle de Joseph de Maistre a souvent été soulignée. C'est en effet à l'Oratorien qu'il emprunte l'idée que le monde est gouverné par un "ordre commun" dont les lois sont aussi fixes et régulières que celle qui régissent le monde physique. "Rien ne marche au hasard, mon cher ami, écrit Maistre au Baron de Vignet des Etoles le 28 octobre 1794 ; tout a sa régle, et tout est déterminé par une puissance qui nous dit rarement son secret. Le monde politique est aussi règlé que le monde physique ; mais comme la liberté de l'homme y joue un certain rôle, nous finissons par croire qu'elle y fait tout un certain rôle, nous finissons par croire qu'elle y fait tout." Sans ces lois, l'histoire ne serait qu'un chaos d'événements inaccessible à l'intelligence humaine.
C'est parce que les même causes produisent ordinairement les même effet que l'esprit attentif peut, en observant ces effets et leur répétition invariable, déduire "des conjectures Assez certaines pour l'avenir". L'histoire ne pourrait être, comme le dira Maistre, la "Politique expérimentale" et ne pourrait devenir la matière d'une science de la politique si elle n'obéissait pas à des lois générales et fixe.
Ce faisant, la doctrine de Malebranche confère à l'idée de Providence une signification très éloignée de l'acceptation commune. Malebranche voulait réconcilier le rationalisme cartésien avec la théologie Chrétienne : c'est pourquoi il rompait avec la conception commune en affirmant que Dieu agit sur le monde "depuis une distance considérable". Dieu, d'après Malebranche, n'intervient en effet dans le gouvernement du monde qu'au moyen des lois générales qu'il a créés en vue de la perfection de l'univers ; il s'interdit d'agir d'une façon capricieuse ou même en visant des fin particulière. "Dieu ne fait pas ce qu'il désire, remarque un commentateurs de Malebranche. Sa sagesse le rend pour ainsi dire impuissant. Elle l'oblige à ne pas avoir de volontés particulière." Si le monde, gouverné par ces volontés générales, connaît "désordre et monstre", on peut, dans un certain sens, en imputer la création à Dieu, puisque tout obéit aux lois qu'il a voulues, mais on ne peut dire pour autant qu'il a voulu ces désordres et ces monstres : "Dieu agit pour sa gloire, et songe avant tout à la perfection de sa conduite. En sorte que les défauts de son ouvrage sont les effets de sa conduite sans défaut." Mais si l'on ne peut imputer directement à la volonté divine l'incendie qui consume la maison d'un homme de bien ou la rapidité des secours qui sauve la maison d'un homme méchant, mais seulement les lois physiques qui déterminent l'action du Feu et celle de l'eau, que reste-t-il de l'idée de Providence ?
"Pour tout le monde, souligne justement Ferdinand Alquie, l'idée de Providence est celle d'un Dieu réglant chaque détail, et permettant parfois, dans son omniprésence et l'impénétrabilite de ses desseins, un mal présent pour réaliser plus tard un plus grand bien."
N'est-ce pas d'ailleurs ce que suggère d'ailleurs ce que suggère Maistre à propos de la Révolution française, en cela bien peu Malebranchien ? Imaginer ainsi la Providence, objecte Malebranche, c'est concevoir le vouloir divin à l'image du vouloir humain et supposer que Dieu agit comme le ferait un homme investi d'un pouvoir comparable au sien. Cet homme, assurément fera tomber la tuile du toit sur la tête de son ennemi, tandis que Dieu ne se préoccupe nullement de savoir si la tuile assomme un méchant ou un homme vertueux.
Toutefois, Malebranche faisait une place à l'existence d'une "Providence extraordinaire". Celle-ci s'était manifestée lors de l'acte créateur, lorsque Dieu avait fixé les lois établissant la perfection de l'ordre. Elle pouvait encore se manifester par des miracles, Dieu ayant assurément le pouvoir de déroger à l'action des lois de sa propre création. «Mais l'instant premier de la création est passé depuis longtemps, ajoutait Malebranche, et il n'y a presque jamais de miracle.» Cette Providence indifférente au particulier avait indigné Bossuet, qui déclara mépriser «Les philosophes, qui, mesurant les conseils de Dieu à leurs pensées, ne font auteur que d'un certain ordre général dont le reste se développe comme il peut ! Comme [...] Si la souveraine intelligence pouvait ne pas comprendre [inclure] dans ses desseins les choses particulières, qui seules subsistent véritablement ». Si Maistre pense que le temps ordinaires sont gouvernés par la Providence selon Malebranche, mecanise et visant à l'universel, il considère que les temps extraordinaire - les Révolution notamment - le sont par la Providence selon Bossuet, attentive au particulier et sans cesse « réajustée et réadapté ».
Il arrive en effet certaines époques, écrit Maistre, où «nous voyons des actions suspendues, des causes paralysées et des effets nouveaux.» qui paraissent démentir toutes les lois connues du monde politique et moral : c'est le signe que Dieu a décidé, dans sa sagesse et pour la conservation de l'ordre, de «suspendre ou de contredire une cause ordinaire », de déroger aux lois par lesquelles il gouverne indirectement le monde, pour agir lui-même et visant une fin particulière. En quelques sorte, Maistre ajoute, à propos de la Révolution française, un chapitre à ceux que Bossuet avait consacré à l'élévation et la chute des Empires dans le *Discours sur l'histoire universelle*. Il aurait pu, par exemple, emprunter ces lignes à l'évêque de Meaux :
Ce Long entraînement de causes particulière, qui font et défont les Empires, dépend des ordres Secrets de la divine providence. Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes ; il a tous les cœurs dans sa main : tantôt il retient les passions, tantôt il Ieur lâche la bride ; et par là il remue tout le genre humain. [...] C'est ainsi que Dieu règne sur tous les peuples. Ne parlons plus de hasard ni de fortune, ou parlons-en seulement comme un nom dont nous couvrons notre ignorence. Ce qui est hasard à l'égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tout les effets dans un même ordre. De cette sorte tout concourt à la même fin ; et c'est faute d'entendre le tout, que nous trouvons du hasard ou de l'irrégularité dans les rencontres particulières.
Dans la Révolution française, deux traits aussi remarquable que singuliers manifestent l'intervention directe de Dieu. Le premier est un défi à toutes les lois connues : c'est l'invincibilité de la Révolution qui, réduite à ses seules forces dans une situation d'anarchie indescriptible, a résisté victorieusement à tous les efforts de l'Europe coalisée. «Son tourbillon emporte comme un paille légère tout ce que la force humaine a su lui opposer ». Le second trait, non moins étonnant que le premier, réside dans la médiocrité et l'insignifiance des hommes qui ont successivement dirigé la Révolution, dans leur nullité au regard de l'immensité de l'événement, enfin dans la facilité avec laquelle ils ont été renversés en dépit de la force qu'ils avaient pu conquérir. «Ces hommes excessivement médiocres exercèrent, sur une nation coupable, le plus affreux despotisme dont l'histoire fasse mention, et sûrement ils étaient les hommes du royaume les plus étonnés de leur puissance.»
Cela ne s'était jamais vu : les grands changements avaient toujours été accomplis par des hommes exceptionnels, illustrés par la naissance ou le talent : la révolution anglaise elle-même avait eu son grand homme, Cromwell, dont l'éclat laissait moins apercevoir L'action de la main de Dieu. Rien de tel dans la Révolution Française, où l'action Divine se manifeste en pleine lumière. Comment, en effet, un Collot d'herbois, un barère et même un Robespierre auraient-ils pu faire L'action libre et souveraine des hommes ?
Jamais, affirme Maistre, on n'a vu avec tant d'évidence Dieu agir lui-même, en se servant des hommes, sans doute, mais d'hommes qui ne sont intervenus qu'au titre d'instruments passifs de la Providence qui les a choisis, élevés et enfik broyés : « Ce ne sont sont pas les hommes qui mènent la Révolution, observe Maistre avec profondeur ; c'est la révolution qui emploie les hommes. On dis fort bien, quand on dit *qu'elle va toute seule*. Cette phrase signifie que jamais la divinité ne s'était montrée d'une manière aussi claire dans un aucun événement humain.» Robespierre et ses acolytes n'ont été que les «les instruments d'une force qui en savait plus qu'eux». Non seulement ils n'ont pas fait l'histoire qu'ils croyaient faire, mais, comme le diront à leur tour Tocqueville et Marx, ils n'ont pas sur quelle histoire il faisait réellement.
Ils ignoraient en particulier qu'ils avaient été choisis pour infiltrer à la France le châtiment appelé par ses crimes, et pour contribuer ainsi au rétablissement de l'ordre qu'ils croyaient détruire. Le crime à punir était si grave, que les coupables si nombreux et si haut placés que Dieu ne pouvait s'en remettre à l'autorité légitime et à ses tribunaux, avec leurs formes légales, leurs lenteurs et leurs recours. Il fallait employer des moyens extraordinaire : il fallait que le crime punisse le crime. La «grande épuration » devant être accompli, de toutes nécessité, la «guillotine de Robespierre » était indispensable : elles seule pouvait réussir là où l'autorité royale eût échoué.
Vue par les hommes, la Révolution française apparaît comme un monstrueux enchevêtrement de crimes ; au regard de Dieu, elle est justice : expiation et réconciliation avec le Créateur. Maistre, sur ce point, se montre encore fidèle à Bossuet, qui avait enseigné que l'excès même du mal tendait au bien. Chez l'un comme chez l'autre, le providentialisme permet de lever le voile des apparences pour saisir le sens profond et caché des évènements. Il tend, comme le dit Jean-Marie Goulemot à propos de l'œuvre de Bossuet, à « lever le masque événementiel de l'histoire pour connaître son vrai visage qui est lumière. Les ténèbres qui l'enveloppent n'en sont que l'apparence et la violence qui l'habite n'est pas le signe absolu de sa malédiction. Selon qu'on y lit la volonté de Dieu ou le désespoir des hommes, qu'on situe sa fin en elle ou hors d'elle, elle est plénitude ou malheur.»
Ce discours providentieliste sur l'histoire avait connu son plus grand rayonnement au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècle. Il avait ensuite perdu de son éclat, lorsque, supplanté. Celui-ci envisageait l'histoire sous la forme du progrès et la peuplait des efforts accomplis successivement par la volonté des hommes en vue de leur émancipation. Aussi l'œuvre de Maistre rend-elle un son singulier en cette fin de siècle, peu familier à ceux-là mêmes qui, dépossédant les hommes du pouvoir d'agir par eux-mêmes, sinon comme les instruments passifs de la providence, ne leur laisse d'autre choix que de s'abandonner à la sagesse de Dieu. Si la Révolution, comme l'affirme Joseph de Maistre, est l'effet d'un décret providentiel, ceux qui ont pris les armes contre elle ne sont-ils pas dressés contre la volonté divine ? Maistre en définitive, ne donnait à la Contre-révolution aucun motif de réconfort ni aucune raison d'espérer.
Le 01 avril 2021 à 19:29:41 RisideRiv a écrit :
je fav et je lis plus tard
Tu devrais lire vite, car je ne compte pas garder ce topic longtemps.
Le 01 avril 2021 à 19:28:56 Napoleon-II a écrit :
Joseph de Maistre
Par l'un des meilleurs spécialiste de la Révolution.
Le 01 avril 2021 à 19:30:21 Napoleon-II a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:29:41 RisideRiv a écrit :
je fav et je lis plus tardTu devrais lire vite, car je ne compte pas garder ce topic longtemps.
Faut être une merde humaine pour supprimer ses propres topics
Le 01 avril 2021 à 19:35:08 NuageFlottant_ a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:30:21 Napoleon-II a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:29:41 RisideRiv a écrit :
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Propriété intellectuelle oblige khey.
Le 01 avril 2021 à 19:38:22 Napoleon-II a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:35:08 NuageFlottant_ a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:30:21 Napoleon-II a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:29:41 RisideRiv a écrit :
je fav et je lis plus tardTu devrais lire vite, car je ne compte pas garder ce topic longtemps.
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Propriété intellectuelle oblige khey.
C'est dommage de retirer du forum les quelques topics potentiellement intéressants...
Le 01 avril 2021 à 19:44:22 Tisseplume a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:38:22 Napoleon-II a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:35:08 NuageFlottant_ a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:30:21 Napoleon-II a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:29:41 RisideRiv a écrit :
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C'est dommage de retirer du forum les quelques topics potentiellement intéressants...
Je ne compte pas le retirer demain
Le 01 avril 2021 à 19:30:21 Napoleon-II a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:29:41 RisideRiv a écrit :
je fav et je lis plus tardTu devrais lire vite, car je ne compte pas garder ce topic longtemps.
Ouais bah supprime tout de suite, Joseph de Maistre est intéressant dans sa radicalité mais de là à en faire une référence, c'est gênant. Après tu es peut-être un militant AF de 16 ans, autrement c'est inquiétant
Aucun événement historique n'est un désordre dès lors que l'on considère une forme de nécessité au déroulement des choses. Tout au plus n'est-ce qu'un désordre moral, mais la morale s'en sort toujours.
Les équilibres, les calmes, les événements, les accélérations, tout cela est de l'ordre des représentations, fragmentaires, lacunaires, tout comme un rouage peut éventuellement avoir des périodes plus lentes ou plus rapides mais la machine en elle-même tourne avec une implacable régularité.
Le 03 avril 2021 à 13:04:08 OfficerPulaski a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:30:21 Napoleon-II a écrit :
Le 01 avril 2021 à 19:29:41 RisideRiv a écrit :
je fav et je lis plus tardTu devrais lire vite, car je ne compte pas garder ce topic longtemps.
Ouais bah supprime tout de suite, Joseph de Maistre est intéressant dans sa radicalité mais de là à en faire une référence, c'est gênant. Après tu es peut-être un militant AF de 16 ans, autrement c'est inquiétant
Non je partage c'est tout.
Données du topic
- Auteur
- Napoleon-II
- Date de création
- 1 avril 2021 à 19:20:15
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