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La vie secrète d'Eric

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Chapitre 1

Voilà vingt bonnes minutes qu’Éric Dupont-Moretti se trémoussait au-dessus de la cuvette, tout occupé qu’il était à torcher son vaste cul.
La tête renversée sur l’avant, presque lovée entre ses jambes épaisses comme deux bollards de Dunkerque, il ressemblait à un gros flamand-rose en pleine parade amoureuse.
« Tu vis dangereusement, mon petit Eric », se souffla-t-il à lui-même, la gueule violacée toute tordue par l’effort.
Décidément, ces exercices de contorsionniste n’étaient plus de son âge.
Il avait bien essayé, une fois encore, d’adopter l’habitude du commun des mortels, s’essuyer en position assise : rien à faire, sa grosse pogne d’ours n’arrivait pas à se glisser dans le minuscule interstice qui séparait ses cuisses velues, déjà comprimées par la pression de deux énormes fesses en lutte contre une cuvette qui n’avait pas été calibrée pour des cachalots de six semaines.
« Foutu resto chinois, ils font tous 40 kilos ces cons-là » avait-il pesté, sitôt son arrière-train arrimé sur le maigre écrin de céramique, désormais à l’agonie et craquelé de toute part.

Un paquet de lingettes bébé spécial peaux sensibles reposait dans son slip marin aux motifs bariolés, tendu au-dessus des cadavres d’une demi-douzaine de rouleaux de PQ parfumé au jasmin. L’ogre du Nord avait épuisé les munitions du restaurant, mais il lui restait les siennes. Il n’était pourtant pas au bout de ses peines. Plus il s’essuyait, plus il en restait. Les lingettes défilaient à une vitesse folle, mais chacune semblait revenir plus souillée encore que la précédente. Les pièces d’artillerie lourde sont rarement faciles à lustrer, et son derche, c’était bien la plus imposante de la Cinquième.
« Ce sont les mystères insondables de la vie » philosopha-t-il, imperturbable, se demandant s’il devait faire usage de cette anecdote pour une future plaidoirie.

Un cognement à la porte vint le tirer de son vertige et réveilla en lui son instinct véritable.

« Tout va bien monzieur ? » C’était la petite serveuse, dépêchée par une patronne inquiète qui se demandait qui du plombier ou du grutier elle allait devoir appeler en premier.

« La paix Ching-Choung ! rugit le ténor du barreau, toujours le cul en bombe en entrouvrant la porte. Tu viens pas me déranger quand je suis en train de bouffer, pourquoi diable viendrais-tu le faire quand je suis en train de chier ? » Il ponctua sa sentence en claquant violement la porte au nez de l’infortunée, projetant au-dehors un nuage de vapeurs viciées.

« Une nouvelle victoire pour la République », se plait-il à commenter tandis que la jeune asphyxiée courait se réfugier au comptoir, une main sur la bouche et l’autre serrée sur une bonbonne de sent-bon qu’elle vaporisait à l’aveugle dans sa fuite.

« Le plus difficile dans ces situations, c’est de ne pas… salir sa cravate » laissa-t-il échapper en ahanant. Il plongea la patte dans le paquet d’essuie-cul. Cette fois, ses doigts s’attardèrent plus longtemps, comme pris d’un spasme fébrile. Puis, lentement, presque religieusement, avec toute la délicatesse dont un orang-outan pouvait faire preuve, Eric en sorti une lingette. La malheureuse semblait trembler comme une feuille.
« La der des der » murmura-t-il dans un silence de mort. Il perçut le bruit que fit une gouttelette de sueur en s’écrasant sur le carrelage froid.

Chapitre 2

Sans attendre le feu vert de sa hiérarchie, Rémi sorti de sa 206 aux couleurs de la force publique.
Il fallait qu’il en ait le cœur net. Un bruit de roulement singulier attira son oreille juste après qu’il eut claqué la portière du véhicule de fonction. L’enjoliveur tournoyait sur le pavé comme un manège cassé. Rémi sourit tristement, il n’était pas surpris. Le budget de la police ne cessait de diminuer, sans doute pour combler les appétits voraces de ces messieurs des hautes sphères…

Arrivé à la hauteur des Délices d’Asie, il avisa la patronne qui sanglotait sur le trottoir, sans s’encombrer des convenances qui ne convenaient pas aux situations d’urgence.
-Il est encore là-dedans ?
-Oui Mozieur oui, il a dou détruit c’est sûr, la puhanteur… elle est aboninable ! Za zent pire que l’œuf de mille ans. La petite là, elle a vomi tlois fois !
-Pour une fois que le masque va servir à quelque chose…

Rémi frissonna d’excitation, mais aussi de peur. Cela faisait 6 mois que l’insaisissable « serial merdeur », comme on l’avait surnommé au central, dévastait les restaurants et brasseries de la capitale, frappant au hasard des arrondissements. Le procédé était toujours le même, tel un rituel occulte consacré aux écuries d’Augias. Sauf que cette affaire, il ne s’agissait pas de simple crottin de cheval ou de bouse de vache, mais d’une véritable éruption de mélasse irrespirable et poisseuse dont on retrouvait les éclaboussures sur les miroirs et les devantures. En certaines occasions, on avait même observé de longues traces brunes sur les rideaux et les fauteuils à chaque angle de la pièce, comme si la bête cherchait à marquer son territoire, laissant l’empreinte indélébile de son cul jusque sur les menus.

Les témoins étaient formels : le suspect était humain, du moins en apparence, dépourvu des manières les plus élémentaires, et mangeait comme un ogre après le carême.
Son repas englouti, il prétextait un petit passage aux commodités tout en demandant la note, non sans laisser entrevoir son portefeuille rempli de grosses coupures afin de rassurer le patron.
Ce qui se passait ensuite dépassait l’entendement et Rémi chassa de sa mémoire les détails horrifiants qu’il avait pu lire dans les rapports de ses collègues.

Mais cette fois, la chance souriait à la police. Fait exceptionnel, la patronne n’avait pas perdu connaissance et avait pu appeler à l’aide dans les temps.
Le monstre était toujours là, tapis à l’intérieur, et sans doute sur le point de commettre l’irréparable. On ne pouvait plus attendre, aussi Rémi prit-il une initiative qui allait bouleverser sa vie.

La main sur la crosse de son Sig-Sauer, comme pour se rassurer, il inspira longuement avant d’ajuster son masque chirurgical, puis poussa la porte du restaurant.

Chapitre 3 - repost après modération et retrait d'un passage fâcheux.

Le battant pivota dans un cliquetis musical joyeux, qui contrastait avec l’ambiance lugubre du lieu déserté. A première vue, l’endroit était propre et bien tenu. Nulle trace des dévastations habituelles au passage du serial-merdeur, si ce n’est quelque bols renversés par les infortunés clients dans leur fuite précipitée. Mauvais endroit, mauvais moment, celui-là ne finirait jamais ses nouilles sautées. On avait vu pire.
Le jeune nervi de la BAC se détendit quelque peu, avec une légère déception : fausse alerte, probablement. Le mec retranché dans les chiottes avait sans doute été victime d’un canard laqué à la fraîcheur douteuse.
Pourtant, quelque chose dérangeait son instinct de flic. Quelque chose de primaire, d’animal, qui lui collait aux narines et mettait ses sens de fin limier en alerte.
Une odeur rance, qui lui rappelait un souvenir enfoui. Le Vietnam. Cette ruelle crade de Saigon, à la fin d’une chaude journée d’été. Il déambulait tranquillement, heureux et insouciant vacancier, quand ce fumet agressif lui avait brusquement retourné les tripes. Il avait pivoté sur lui-même, encore et encore, interrogeant les passants du regard, avant de finalement le voir. Là, près d’un caniveau auréolé d’une flaque jaunâtre, gisait dans son jus un poulpe crevé. Il avait dû rebrousser chemin et fuir dans une ruelle attenante, tellement l’odeur était infecte.

Les effluves qui lui parvenaient désormais lui rappelaient cette horreur, et il décida d’explorer les lieux. Tandis qu’il enjambait prudemment une grosse soupière, il entendit un bruissement étouffé provenant du couloir du fond. Deux pandas, un mâle et une femelle, ornaient le mur pour indiquer aux clients la proximité de leurs toilettes respectives.

Tandis qu’il avançait en silence, le bruissement et l’odeur gagnèrent en intensité. Le son évoqua à Rémi celui d’un ours raclant son dos contre un gros tronc d’arbre. Il n’était pas loin de la vérité. La puanteur était telle qu’elle s’insinua dans son masque pour ne plus en sortir. Rémi fut forcé de le retirer, ce qu’il fit en laissant échapper un raclement de gorge. Les bruissements cessèrent subitement. Peu importe ce qui remuait là-dedans, cela l’avait entendu.
Rémi posa à nouveau la main sur la crosse de son arme et défit la sécurité de son étui. Il entendit le bruit caractéristique d’un froc qu’on remonte dans la hâte, puis deux portes claquer l’une après l’autre. Merde, il se barre l’enfoiré, pensa le jeune flic privé de renfort.
« Police Nationale, il y a quelqu’un ? » Pas de réponse, Rémi décida de franchir la distance au pas de course.

Arrivé au seuil des WC pour femmes, il fut tout surpris d’entendre une voix d’homme mûr fredonner l’hymne des armées du nord ( https://www.youtube.com/watch?v=F0KMxoTetnc), accompagnée du gargouillis sonore d’un lavabo à pleine puissance.
Rémi poussa la porte du pied, et se trouva nez à nez avec un gros bonhomme à la mine satisfaite.
Un monsieur imposant qu’il connaissait trop bien.

Il balbutia, interloqué.
-M… Monsieur Moretti ?
-Repos, auxiliaire ! lui répondit joyeusement l’intéressé. Vous êtes ici pour une affaire pressante ? Laissez-moi vous dire que vous vous êtes trompé de toilette, les hommes c’est en face. Quoiqu’à votre place je ne m’y risquerais pas, c’est une véritable scène de bataille qui s’est jouée là-dedans !

Avant que Rémi ne puisse répondre, le maître poursuivi son exposé, enjôleur.
-Voyez-vous, j’ai préféré moi-même venir me rafraîchir ici, et au diable la bienséance, hors de question de gâcher mon appétit ! A propos… avez-vous aperçu un serveur ? J’ai une grosse commande pour lui.
-Il n’y a personne ici à part vous et moi monsieur Moretti. Pour tout vous dire le restaurant est temporairement fermé, les patrons m’ont appelé en catastrophe car un client incommodant était en train de dévaster les commodités. Ils redoutaient la présence de celui qui a défrayé la chronique ces derniers mois…
-Vous voulez parler du détraqué qui essuie son cul partout ? Ah ! Cela ne m’étonne pas. Aller, fis de mes prérogatives, je vous accompagne sur les lieux du crime ! s’exclama le ministre en s’essuyant les mains.
Sans prendre le temps de les sécher complètement, il les abattit sur les épaules de Rémi avec un sourire forcé. Le flic avait beau pratiquer le MMA depuis maintenant 7 ans, 1m82 pour 78 kilos, il se sentit remué comme un fétu de paille.

Avant même que Rémi ne puisse esquisser un geste, le gros Dupont le poussa jusqu’aux toilettes des hommes.
A peine la porte entrouverte, Rémi se sentit défaillir. Il y avait là de quoi remplir une baignoire de merde.
« Oui, prononça la voix derrière lui, empreinte d’une gravité soudaine. Je ne sais pas quel est le porc qui a fait ça, mais foi de Dupont-Moretti, croyez-moi que la République ne le ratera pas. »

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frappe_fort
Date de création
20 février 2021 à 20:26:54
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