Ressaisi, la nuit dernière, de mon mal habituel, je fus vaincu par l'émotion et tremblait sous le poids des larmes qui se vidaient de mon corps ; je pensa alors à cet acte lâche mais si aguicheur qui consistait à s'ôter soi-même la vie.
C'est alors qu'un être jusque-là inconnu à mon esprit se révéla à mes yeux ; sa beauté fut la première chose qui ne manqua pas de me frapper et je ne puis que sourire devant cet amas de splendeur. Il tenait sa beauté de l'harmonie de ses proportions assortie de sa brillante chevelure châtaigne qui arrivait ondulant à hauteur de ses oreilles et qui encadraient son teint blanc et lisse. Son visage brillait du doux éclat de la lune. Son regard de feu s'arquait au niveau de yeux bleus profonds. Et quant à la puissante énergie que dégageait cet être, quel mortel le décrira jamais ?
Aucun doute, il s'agissait là de l'archange Gabriel qui se révélait, par une raison jusqu'alors inexpliquée, à mes yeux humains dont le voile ne couvrait plus le monde de l'invisible. Il flottillait devers moi, soutenu par ses ailes largement déployés alentours. Il était tout de blanc vêtu, comme s'il était d'une pureté qui nous serait jamais étrangère à nous autres communs fils d'Adam.
- Pardi, seigneur des Romains, que diable fais-tu ? me hurla-t-il de manière effrénée.
Tout stupéfait que je fus, tant par sa beauté physique que par l'incompréhension qui traversait mon âme, je ne pus lui avancer le moindre mot, pétrifié. Il avait bien compris que je songeasse lors au suicide, et il ne manqua pas d'ajouter les paroles suivantes d'un ton furieux :
- Abandonnerais-tu lâchement tes siens parmi la nation des hommes ? Laisserais-tu ainsi ta poitrine s'étioler sous le fiel aigri de l'amertume et de la tristesse jusqu'à commettre pareil péché détestable et suspect à ton salut ? Décevrais-tu ton Seigneur par tant d'indécence, ô prince des hommes ?
Je comprenais alors le cheminement qui me poussait à penser que j'étais quelque élu auprès de la cause divine, ce que l'ange Gabriel ne tardait pas à démentir.
- Alors que suis-je ? Pourquoi moi et pas un autre ? Pourquoi diable suis-je destiné à rancir sous les auspices de nos temps présents ? lui demandais-je alors.
Il me répondait que je devais seoir à l'éclat de mon rang. L'intelligence que portent mes épaules, la rare prudence dont le destin, avec approbation divine, m'a confiée, un savoir éminent que d'aucuns jalouseraient un jour venu, la grande vertu qui effleure sur les revers de mon âme ne pouvaient que naturellement se joindre à la légitimité qui m'incombait : je descendais en effet d'un basileus qui naguère se pavanait aux Blachernes, depuis sa capitale, Constantinople.
Je compris alors, depuis ce jour, que j'étais destiné à devenir empereur Romain et à revêtir un jour la pourpre impériale.