Aujourd’hui est un jour plus sombre que les autres. Alors qu’une pluie sans fin s’abat sur la ville de Blackwood, des nuages sombres recouvrent le paysage entièrement sans laisser la moindre chance à ce soleil de mai de laisser passer sa lumière. Le vent souffle dans les arbres avec acharnement comme si la nature elle-même ne voulait pas que le calme s’installe. Cela fait des jours que la pluie tombe sans arrêt. Il fait froid et personne ne sort dehors hormis pour faire quelques courses pour pouvoir manger. Il faudra attendre l’été et le retour des jours ensoleillés pour espérer voir de nouveau des enfants s’amuser dehors.
La ville entière est encore marquée par les terribles événements qui se sont déroulés ici l’année dernière. Tout le monde se souvient encore du nom des quatre jeunes adultes qui ont fait face au mal lui-même. Ils se souviennent également du nom du plus célèbre psychopathe de notre temps. Mais ces derniers mois, personne n’en parle plus. Les gens cherchent à oublier ce chapitre de leur vie. Le pays entier s’est servi de cette histoire comme sujet de discussion pendant des semaines. Mais aujourd’hui, maintenant que les médias ont arrêté de s’y intéresser, maintenant que le méchant est en prison et qu’il n’y a plus de retournement, tout le monde a déjà oublié. Ils s’intéressent aux évènements d’actualité et le passé n’a pas d’importance pour la plus-part des gens.
Mais pas pour tout le monde. Certaines personnes ont laissé une partie d’eux-mêmes dans ce passé. Certaines personnes ont fait face au démon d’un peu trop prêt. C’est le cas de James Harrison. Courageux et implacable commissaire de la ville de Blackwood. Ce temps déprimant ne l’aide pas à se sentir mieux. Les bruits des branches qui craquent et de l’eau qui frappe le sol retentissent dans le cœur du commissaire. Voilà maintenant plus d’un an qu’il a vaincu son pire ennemi. Voilà un an que le plus mortel des criminels qu’il a dû affronter a été mis en prison : Le psychopathe anarchique le plus recherché de tous les temps : Lawrence Storm.
Aujourd’hui, James se rend compte que l’histoire n’est pas encore terminée : Une prison ne peut pas retenir le mal très longtemps…
Ce pauvre commissaire n’avait jamais réussi à se sentir heureux après avoir mis Lawrence en prison. Dès qu’il commençait à ressentir la moindre satisfaction, il repensait à tous ces gens assassinés par ce psychopathe. Il revoyait les visages de ses défunts collègues, des dizaines d’agents de police entrainés et volontaires. Ils l’ont suivi aveuglément dans la gueule du loup, dans une destinée funeste que James a évité de justesse.
Pourtant il se demande chaque jour pourquoi. Pourquoi l’arrestation de ce monstre a causé autant de souffrance ? Pourquoi n’est-il pas tombé avec ses hommes ? Il n’a jamais eu les réponses à ces questions. Il ne pense qu’à son échec, l’échec de sa mission : celle de protéger Wesley Garrick des griffes de son sinistre père. Après-tout, il se dit que s’il avait été plus efficace, Wesley serait encore prêt de sa mère. Il serait encore plein de vie et de joie de vivre. Au lieu de ça, il est enfermé à l’asile pour toujours.
Le commissaire Harrison est assis dans un fourgon de police. Il semble porter une tenue spécifique aux interventions policières, avec gilet par balle et tout l’équipement qui va avec.
La pluie battante résonne sur le toit du véhicule, c’est d’ailleurs le seul bruit qui se fait entendre, car ni James, ni aucun de ses collègues présents avec lui ne disent quoi que ce soit. Le commissaire fixe le sol et reste concentré sur sa mission. Car aujourd’hui est un jour spécial et cette mission le replonge dans son ancienne vie. Le fourgon de police roule à toute vitesse sur les routes inondées de Blackwood et il n’est pas seul : plusieurs autres fourgons identiques, remplis eux aussi de plusieurs agents, le suivent de prêt en empruntant la même route.
James relève la tête et regarde sa collègue, juste en face de lui : Natalie. Elle est plus que sa simple collègue : ils ont tous les deux une relation spéciale depuis bien longtemps. Natalie était là il y a un an. Elle a vu ce qu’il s’est passé, le déferlement de terreur et de folie sur la ville a failli la tuer elle aussi. Bien que le temps s’écoule pour tout le monde, certaines choses ne s’effacent pas. Nous ne pouvons pas tourner la page et faire comme si rien ne s’était passé. Natalie n’était pas investie comme l’était James à l’époque. Cette traque à l’homme, c’était sa mission, son objectif. Il vivait pour ça. Il était prêt à y laisser sa vie, et malgré toutes les fois où la mort lui a tendu les bras, le destin a toujours sauvé sa peau au détriment de quelqu’un d’autre.
Alors que les fourgons roulent toujours à pleine vitesse vers leur objectif, Natalie sort James de ses pensées en lui disant :
"- James, ça va bien se passer cette fois.
- La dernière fois qu’on était aussi sûr de nous, les choses ont tourné au désastre…
- Mais cette fois c’est différent… On sait ce qu’on a à faire.
- Justement, ça me semble trop facile cette fois encore… "
Natalie essaye de donner de la confiance à son ami, mais elle ne sait plus quoi lui répondre. James a gardé une blessure profonde ce jour-là. Il sait que tout peut basculer très vite. Il n’a plus la même confiance qu’autrefois.
Un agent de police assis à côté de James se retourne vers lui pour lui demander :
"- Vous le connaissez bien il parait ? Lawrence…
- Tu connais déjà la réponse non ? On a dû t’en parler quand t’as débarqué en ville ?
- On m’a dit que vous l’aviez affronté l’année dernière. Ça fait quoi de le voir en vrai ?
- Ce n’est qu’un être humain Steeve. Un humain complètement dingue, mais rien d’autre qu’un humain.
- Les légendes sur la fontaine magique sont vraies ? Vous l’avez vue ?
- Tu viens de le dire. Ce n’est qu’une légende.
- Mais il a quand même envoyé son fils à l’asile…
- Arrête d’en parler maintenant d’accord ? Concentre-toi sur ta mission. "
James n’a pas envie de parler de tout ça. Wesley, la fontaine, toutes ces choses… Il ne veut jamais aborder le sujet. Il se souvient pourtant très bien de chaque détail. Après quelques secondes, un autre policier assis un peu plus loin dans le véhicule se met à parler avec le jeune Steeve.
"- Vous avez vu ses yeux à ce type ? Lawrence… Ils sont terrifiants ses yeux putain ! Je n’ai jamais vu quelque chose comme ça. Je suis sûr que ces histoires d’eau magique ne sont pas des conneries.
- Il parait que son fils a les mêmes yeux maintenant qu’il est enfermé chez les dingues.
- C’est peut-être une sortie de drogue ? Ce n’est pas une coïncidence pour moi. "
Alors que les agents présents dans le fourgon parlent entre eux des rumeurs qu’ils ont entendues, James reste silencieux en repensant à tout ce qu’il a vu de ses propres yeux. Tous ces secrets qu’il garde pour lui et qui le rongent de l’intérieur. Ces rumeurs qui passent de ville en ville depuis des mois, ces gens qui parlent de choses qui les dépassent, ça le met dans une rage folle. Il finit par intervenir pour les faire taire :
"- Fermez… Tous… Vos gueules. Vous ne savez rien sur ce qu’il s’est passé. Vous ne pouvez même pas imaginer. J’étais là, et si je décide de ne pas en parler, ce n’est pas pour rien. On en a rien à foutre de la couleur de leurs yeux. Le plus important, c’est que ce fumier retourne dans sa cellule le plus vite possible. S’il nous échappe, il faudra s’attendre à un nouveau bain de sang. Vous comprenez ? Alors concentrez-vous sur la mission. "
Personne n’ose répondre. James parle rarement depuis toute cette histoire, mais il sait diriger ses hommes d’une main de fer. Son autorité n’a jamais été contesté au sein de la police. Steeve reprend la parole une dernière fois, sûr de lui :
"- Si j’avais été là, je ne l’aurais pas envoyé en prison. Je l’aurais tué sans hésiter ce fumier. "
Au fond du véhicule, un autre policier, plus âgé, prend la parole pour faire redescendre le jeune flic sur terre :
"- Si t’avais été là gamin, tu serais mort aujourd’hui.
- Je croyais que t’avais des couilles Max ? T’étais là toi non ? Depuis quand t’as la trouille comme ça ?
- Les couilles ne suffisent pas pour affronter le diable. "
Le sourire qui était jusque-là présent sur le visage de l’ambitieux et jeune policier se dissipe peu à peu. James approche son visage du sien pour lui dire à voix basse :
"- Surtout, quand on arrivera, ne dis pas un mot. Laisse-moi faire mais je t’en supplie, ne lui dis rien. Ne le regarde pas et ignore-le !
- Il… Il ne me fait pas peur chef.
- Je ne te parle pas d’avoir peur. Je te parle d’instinct de survie. "
Les trois fourgons blindés s’arrêtent alors brusquement sur le bord de la route. Le conducteur donne le signal dans l’oreillette de James pour lui confirmer qu’ils sont arrivés à destination.
James donne le signal à ses hommes. Il ouvre les portes du véhicule et il sort en premier. Il saute du fourgon pour arriver sur le bord de la route. L’orage est encore bien présent.
L’eau s’écrase sur le sol avec violence. Il pleut tellement que l’eau n’arrive plus à s’évacuer suffisamment. Les routes commencent à être inondées peu à peu. Les agents de police en mission comment à sortir un par un des fourgons et courent sur la route pour rejoindre un grand bâtiment. Les agents se déploient en plusieurs petits groupes, certains contournent le bâtiment, d’autres se mettent devant les portes…
James quant-à-lui s’avance devant l’entrée principale. Il ne reste que quelques secondes avant qu’il se retrouve de nouveau face à Lawrence Storm. Il le sait très bien.
James veut savoir comment Lawrence s’est échappé, il veut surtout savoir pourquoi il se rend aussi facilement quelques mois après son évasion seulement. Tout ceci n’a aucun sens mais James est déterminé pour avoir les réponses à ses questions.
Peu importe ce qu’il se passera dans les minutes à venir…
Lawrence Storm a fait suffisamment de mal dans ce bas monde, et James doit l’arrêter coute que coute.
Si Lawrence se rend comme il le prétend, alors il retournera en prison pour le reste de sa vie, mais si c’est un piège… alors James se dit qu’il fera ce qu’il a toujours voulu faire…
Presser la détente de son révolver pour envoyer ce monstre en enfer une bonne fois pour toutes.
Il pourrait ainsi venger Wesley, celui qu’il avait promis d’aider autrefois.
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