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La théorie du genre.

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Tout d'abord la rumeur : une "théorie du genre" serait enseignée à l'école pour nier les différences sexuelles entre filles et garçons, si possible dès la maternelle. Avec quel objectif ? Détruire le modèle traditionnel (hétérosexuel) de la famille et encourager l'homosexualité, la bisexualité et la transsexualité. D'où un appel à boycotter les salles de classe, relayé par SMS et sur les réseaux sociaux. Facile aujourd'hui de savoir que cet appel et cette rumeur proviennent de personnes proches de l'extrême droite. Mais rien n'y fera : les rumeurs ont la peau dure à défaut d'être fondées. Même à l'heure de la société de l'information il demeure difficile de s'en débarrasser. Au contraire, les rumeurs se propagent désormais sans aucune limite physique grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. D'où parfois leur nature explosive : d'un jour à l'autre la rumeur surgit et occupe les esprits. Et plus elle gagne du terrain, plus elle peut donner l'illusion de l'objectivité.

Mais de quoi parle t-on au juste dans le cas présent ? D'une théorie du genre qui n'existe pas. Ce qui existe, en revanche, c'est une distinction entre "sexe biologique" et "genre". Le genre est un concept issu des sciences humaines et sociales pour affirmer l'importance de l'environnement social et culturel dans la construction de l'identité sexuelle de chacun. En effet, au moment de l'enfance nous ne faisons pas qu'apprendre notre appartenance à l'un des deux sexes. Nous intégrons aussi--souvent de manière implicite--les valeurs et les rôles sociaux associés par les adultes à cette appartenance. En gros et pour faire vite : je "joue aux petites voitures et non à la poupée" parce que je suis un garçon. Je "joue à la poupée et non aux petites voitures" parce que je suis une fille. Construites très tôt au cours du développement mental, de telles associations conduisent à la fois à une identité sexuelle (perception d'être soi-même de genre masculin ou féminin) et à des "rôles de genre" qui contrairement au sexe biologique sont socialement et culturellement construits. De ce fait, les rôles de genre et l'identité sexuelle (ou identité de genre) permettent à l'âge adulte la reproduction de certaines inégalités inscrites de longue date entre hommes et femmes, aujourd'hui encore en matière par exemple de salaire, d'accès à certaines professions et à certains statuts. Et c'est bien là tout le problème et aussi tout l'intérêt des travaux consacrés depuis une soixantaine d'années aux "constructions genrées" et aux "rapports de sexe" sous l'impulsion historique des "études de genre" ("gender studies") inspirées notamment de Simone de Beauvoir--et de son célèbre "On ne naît pas femme, on le devient". Il ne s'agit pas de nier les différences biologiques entre hommes et femmes, mais de dévoiler l'origine éminemment sociale et donc le caractère en réalité arbitraire de l'inégalité des sexes dans de multiples domaines. De nombreuses connaissances ont été accumulées dans ce cadre dont on s'efforce aujourd'hui de faire la synthèse, avec difficulté en raison de la diversité des disciplines impliquées (historiquement la littérature, la philosophie, l'histoire, la psychologie, la sociologie et l'anthropologie, plus récemment les neurosciences sociales, les sciences politiques, la linguistique, l'éthique, l'esthétique, la géographie, l'économie, le droit). Même morcelés, les travaux sur le genre donnent cependant une vraie légitimité à la lutte contre les inégalités de sexe.

Les efforts conjugués du Ministère des Droits de la Femme et du Ministère de l'Éducation Nationale en faveur de l'enseignement de l'égalité filles-garçons à l'École visent précisément à lutter contre ces inégalités, et non à gommer les différences biologiques entre les deux sexes contrairement à ce qu'affirme la rumeur (relayée sans honte par certains intellectuels peu informés et à l'occasion soucieux de préserver leur famille politique). On peut certes toujours contester, par totale naïveté ou par idéologie, les inégalités entre sexes et sans cesse chercher à les naturaliser (en faire des faits de nature plutôt que de culture), mais en réalité cette posture se heurte aux données scientifiques disponibles, dont bien entendu les intégristes de la naturalisation se fichent éperdument.

Voyons-en un exemple simple en référence à la question de la sous-représentation des filles et des femmes dans les filières des sciences dites "dures" impliquant de solides compétences en mathématiques. Adam et Eve seraient-ils donc biologiquement inégaux sur le terrain de Pythagore ? Cette inégalité traduit-elle au contraire l'action d'un stéréotype ? Démonstration : dans plusieurs études conduites en collaboration avec Isabelle Régner de l'Université d'Aix-Marseille, plusieurs centaines d'élèves du secondaire devaient mémoriser une figure géométrique complexe, sans signification particulière, pour ensuite la reproduire sous une forme graphique. Cette épreuve leur était présentée soit comme un test de géométrie soit comme un test de dessin (des élèves comparables étaient assignés au hasard à l'une de ces deux conditions). En condition "géométrie", les filles produisaient une performance inférieure à celle des garçons. Cette différence s'inversait dans la condition "dessin" ! Le test étant strictement le même dans les deux conditions de l'étude, on voit à quel point la perception que les élèves se forgent d'eux-mêmes en fonction de leur appartenance de sexe peut s'avérer déterminante (ce type de phénomène est repérable à l'école non sur les résultats de contrôle continu mais sur les épreuves plus formelles utilisées lors des examens). Cette perception stéréotypée, qui fait des mathématiques un territoire essentiellement masculin, affecte de manière drastique les choix d'orientation des élèves à l'adolescence. Pour réussir en mathématiques et s'engager dans les filières de sciences dites dures ou les formations d'ingénieur, les filles doivent donc surmonter un handicap psychosocial (et non biologique) auquel les garçons ne sont pas confrontés.

Comme le montre une étude récente du Centre Hubertine Auclert (financé par la région Ile-de-France), ce handicap est entretenu par les manuels scolaires eux-mêmes. Non seulement les savants et autres découvreurs célèbres évoqués dans ce cadre sont presque toujours des hommes (seulement 3,2% de femmes citées), mais il en est de même pour les personnages de fiction imaginés à l'appui des leçons ou des exercices. Or, en réalité l'histoire des mathématiques et des sciences est aussi peuplée de femmes, qui manifestement tombent au fur et à mesure aux oubliettes. En outre lorsque des femmes sont citées, elles le sont souvent en référence à une figure masculine, telle Marie Curie toujours associée à Pierre Curie (pour leur prix Nobel de physique partagé avec Antoine Henri Becquerel), alors qu'elle est seule lauréate d'un second prix Nobel, celui de chimie. N'attendons pas davantage pour introduire véritablement les femmes de science dans les manuels scolaires. Leur absence contribue assurément à renforcer le stéréotype d'une infériorité intrinsèque des filles et des femmes s'agissant de la pensée logico-mathématique et plus généralement de la pensée scientifique. Aussi ne faut-il pas s'étonner de leur désaffection pour les filières scientifiques et techniques à l'adolescence, alors même que tous les indicateurs de la performance scolaire montrent que le vivier est disponible. Quel gâchis et quel coût économique pour notre société ! À l'aube du troisième millénaire, il est bien temps en effet de se préoccuper des stéréotypes de genre, comme le font aussi depuis longtemps et avec efficacité la Mission pour la Place des Femmes (MPDF) au CNRS et des associations telles que "Femmes et Mathématiques" ou "Femmes Ingénieurs".

Petit test en guise de conclusion : en dehors de Marie Curie, des noms de grandes scientifiques vous viennent-ils facilement à l'esprit ? Et Mozart, saviez-vous qu'il avait une sœur (Maria Anna Walburga Ignatia "Nannerl" de son petit nom) comme lui jugée prodige mais en effet vite reléguée au second plan ? Aussi la lutte contre les stéréotypes de genre est-elle légitime, n'en déplaise aux quelques pourfendeurs d'une "théorie du genre" certes imaginaire mais visiblement utile pour la reprise des hostilités après l'essoufflement des manifestations contre le mariage pour tous.

:pave: ceux qui te liront pas te saluent
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Pseudo7454
Date de création
16 mai 2017 à 04:32:57
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