Interview du Figaro :
LE FIGARO. - Qu'estimez-vous avoir le mieux réussi dans cette campagne?
François FILLON. - J'ai réussi à imposer l'idée que l'alternance exigeait un projet sérieux et radical pour redresser la France et c'est d'ailleurs autour de ce projet que s'est assez rapidement organisé le débat entre les candidats. Je pense à la libre négociation du temps de travail dans les entreprises, à la réduction des déficits, à l'allocation sociale unique… Certains auraient aimé réduire le débat à un match de personnalités, mais les Français veulent des engagements précis, et je crois qu'à cet égard, ils sentent que mon projet est le plus cohérent et le plus puissant. Le «vote Fillon», c'est un vote de fond, un vote d'adhésion à un programme carré: c'est le fruit de trois ans de travail sur le terrain, avec les Français, avec des professionnels, avec des groupes d'experts, ce qui me permet de dire à ceux qui prétendent incarner la voix du peuple que moi, j'ai préparé mon programme avec le peuple. Il y a six ou sept mille personnes qui, d'une manière ou d'une autre, ont participé à son élaboration. C'est une garantie de réalisme.
Et qu'avez-vous le moins bien réussi?
J'ai mis du temps à percuter les certitudes de ceux qui pensaient que la primaire était jouée. Pendant des mois, le programme que je présentais n'était pas dans la lumière. Il l'est maintenant si j'en crois les commentaires. J'invite les électeurs à casser les prétendus scénarios écrits d'avance par d'autres que les Français… Vive la liberté!
Quel sera selon vous le critère déterminant pour les électeurs?
La capacité à les libérer d'un système économique et social qui les étouffe, qui les empêche d'aller au bout de leurs projets, et la volonté de leur rendre leur fierté de notre pays. Ma conviction, c'est qu'ils choisiront le candidat qui veut vraiment réformer la France et qui est capable de la diriger avec dignité et droiture.
«Moi, j'ai préparé mon programme avec le peuple. Il y a six ou sept mille personnes qui, d'une manière ou d'une autre, ont participé à son élaboration», affirme François Fillon.
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Alain Juppé vous reproche de donner des leçons de courage alors que votre bilan de réformes à Matignon est, selon lui, «très mitigé», notamment sur les 35 heures. Que lui répondez-vous?'
Je ne donne de leçon de courage à personne, je dis que son programme est trop prudent et qu'il ne permettra pas, même s'il va dans le bon sens, de déclencher le processus de redressement national. Ce n'est pas un jugement de personne! Sur les 35 heures, je lui rappelle que le contrat passé avec les Français en 2007 ne prévoyait pas la suppression des 35 heures, mais la défiscalisation des heures supplémentaires. Le respect du contrat démocratique, c'est important! Je rappelle aussi que si on a eu tant de mal à réformer le pays en 1995, c'est parce que la lutte contre la fracture sociale avait été la colonne vertébrale de la campagne présidentielle alors que le fil directeur de la politique conduite entre 1995 et 1997 a été la réduction des déficits pour permettre à la France de rentrer dans les clous du passage à l'euro.
Mais Alain Juppé promet lui aussi des réformes «radicales». Dimanche, il a même dit qu'il voulait combattre l'«islamisation de la société française»…
Une certaine fébrilité le conduit à dire des choses qui ne correspondent pas à la réalité. Moi, je ne dis pas qu'il y a une islamisation de la société, mais que les intégristes sont en train de prendre en otage les Français musulmans, et que c'est à eux et à l'État de faire le ménage. Je ne change pas de position au gré des sondages.
Y a-t-il un sujet que vous auriez aimé voir aborder davantage?
La place de la France et de l'Europe dans le monde dans dix ans. Nous ne sommes que 66 millions de Français dans un monde en surchauffe de 7 milliards d'habitants, avec un centre de gravité de l'économie mondiale qui a basculé en Asie. Si notre problème de sécurité immédiat est le totalitarisme islamique, en termes économiques, c'est la domination asiatique. Je suis le seul à dire clairement qu'il y a un choix de civilisation entre le sursaut ou le déclin, ce qui me conduit à insister fortement sur les deux souverainetés, française et européenne, qui ne sont pas suffisamment au cœur de nos débats.
L'Europe doit-elle se doter d'«outils protectionnistes», pour reprendre la formule de Nicolas Sarkozy?
Il faut que l'Europe soit beaucoup moins naïve, ce qui passe d'abord par un pouvoir politique qui exerce des choix, qui assume le principe de souveraineté. Quand l'application des traités sur la concurrence aboutit à défavoriser l'Europe face aux États-Unis ou à l'Asie, il devrait y avoir un leader européen qui tape du poing sur la table. Ce qui se passe avec nos industries spatiales est typique: elles tentent de se regrouper pour lutter contre une concurrence très dure des États-Unis et de la Chine, et la Commission les en empêche en engageant une procédure pour atteinte aux règles de la concurrence! C'est de l'angélisme suicidaire. Ensuite, il faut rendre coup pour coup. Les Américains n'ont pas attendu Donald Trump pour pratiquer le protectionnisme, notamment à travers leurs normes et la menace juridique qu'ils font peser sur les entreprises européennes. Nous, on ne le fait pas parce qu'on est les bons élèves de la classe mondialisée. Il faut réagir, expliquer aux États-Unis qu'on ne va pas se laisser faire, en essayant dans un premier temps de leur parler pour éviter que chacun se barricade derrière ses frontières.
Votre projet peut-il résister à la hausse des taux d'intérêt qui se produit depuis l'élection de Trump?
La remontée des taux aux États-Unis annonce une remontée prochaine en Europe aussi. Cela veut dire que, pour l'État, le temps de l'argent facile est révolu. C'est pour cela que le seul chemin possible est de réduire résolument les dépenses publiques pour pouvoir accompagner les baisses de charges sans creuser les déficits.
Y a-t-il à l'inverse un sujet qui a pris trop de place dans la campagne?
Le débat sur la place du centre et de M. Bayrou! La primaire a pris des allures de IVe République: on a d'un côté un candidat, Alain Juppé, qui fait à l'évidence une alliance avec François Bayrou, ce qui donne le sentiment qu'il est prêt à gouverner dans le cadre d'un compromis politique avec le centre, et de l'autre, un candidat, Nicolas Sarkozy, qui refuse tout dialogue avec une partie du centre. Moi, je présente mon programme à tous les Français, et c'est à prendre ou à laisser. Si on entre dans la logique de la négociation, où s'arrête-t-on? J'entends déjà beaucoup dire que si la droite est face au Front national au second tour de la présidentielle, il faudra bien gouverner avec la gauche. Eh bien moi, je dis non. Je ne gouvernerai pas avec la gauche. À force de compromis, la France décroche et Mme Le Pen finira par être élue un jour.
«Il y a une France profonde, de droite et du centre, qui se reconnaît dans mes valeurs et mes objectifs, et que je vois progressivement sortir de l'ombre»
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Comment sentez-vous la mobilisation?'
Je pense qu'il y aura autour de trois millions d'électeurs. Il y a une très forte mobilisation autour de mes réunions sur le terrain, qui font salle comble depuis de nombreux mois. C'est l'une des raisons qui m'ont conduit à être optimiste et à douter des sondages. Il y a une France profonde, de droite et du centre, qui se reconnaît dans mes valeurs et mes objectifs, et que je vois progressivement sortir de l'ombre.
La sortie de votre dernier livre, Vaincre le totalitarisme islamique , a coïncidé avec votre remontée dans les intentions de vote. Aviez-vous sous-estimé la place de ce sujet dans les préoccupations des Français?
Non, je ne l'ai jamais sous-estimée, mais j'ai toujours considéré que le rôle d'un président de la République c'est de fixer le cap et mon cap, c'est la modernisation du pays, l'emploi, la croissance. J'ai décidé de rédiger un livre en juillet parce qu'après l'attentat de Nice, j'avais le sentiment qu'il était temps de se faire entendre au milieu de voix plus excessives les unes que les autres. Le moment était venu d'écrire ce que je disais depuis des mois sur la nécessité d'une coalition internationale intégrant la Russie, ou sur la condamnation à trente ans de prison des gens qui ont des relations avec des entreprises terroristes.
Vous préconisez de laisser les universités gérer le problème du voile islamique. Les lycées ont essayé de le faire, ils ont échoué et il a fallu une loi. Pourquoi les universités seraient-elles plus efficaces?
Depuis le Moyen Âge, les universités sont des zones de franchise. Ce n'est pas l'État qui y est en charge de l'ordre public. On ne peut pas invoquer en permanence notre culture et s'asseoir dessus pour régler le problème de quelques intégristes qui nous provoquent. Si la justice venait à contester la possibilité pour les conseils d'administration des universités de réglementer cette question, je serais prêt à faire voter une loi, non pas pour interdire le voile, mais pour permettre aux conseils d'administration de délibérer sur le sujet. On parle de manifestations intégristes dans la communauté musulmane mais pas de la poussée fondamentaliste elle-même, qui est alimentée par le wahhabisme, par les prêcheurs des pays du Golfe, et c'est cela qu'il faut combattre plutôt que de se focaliser sur les tenues. Le voile, c'est le symptôme, pas la maladie. Moi je veux abattre l'État islamique, m'attaquer à l'intégrisme, interdire le salafisme mais aussi les Frères musulmans, qui dominent l'UOIF.
Comment la France peut-elle reprendre la maîtrise de sa politique migratoire sans braquer ses partenaires privilégiés en Europe, Allemagne en tête?
Il va peut-être falloir la braquer un peu! La question migratoire touche à l'essence de notre identité française. Je veux une immigration réduite au strict minimum. Il y a deux solutions: soit les Européens prennent leurs responsabilités vis-à-vis des flux migratoires, soit nous prendrons toutes les nôtres. J'ai dit que j'étais prêt à ce qu'on quitte la CEDH (Convention européenne des droits de l'homme, NDLR) pour y retourner ensuite avec des réserves qui nous permettront notamment d'appliquer la politique de quotas que je propose, y compris en matière de regroupement familial.
Quelles mesures immédiates prendrez-vous pour les migrants qui sont sur notre territoire?
Je veux qu'on regroupe les demandeurs d'asile dans des centres d'accueil, pour savoir où ils sont, qu'on accélère le traitement de leur dossier et qu'on entreprenne une politique extrêmement volontariste d'expulsion des migrants en situation irrégulière avec les accords diplomatiques nécessaires. Il faut conditionner l'aide au développement à des accords de retour de migrants. L'Espagne y est parvenue avec plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest. Nous devons y arriver nous aussi avec les pays concernés.
La candidature d'Emmanuel Macron peut-elle avoir, selon vous, un impact sur la primaire?
Cette candidature, qui est tout sauf une surprise, signe surtout la fin du quinquennat Hollande. Le président n'a plus aucune autorité sur son camp.
Compte tenu de vos déclarations sur la situation judiciaire de Nicolas Sarkozy, vous resterait-il un autre choix que d'appeler à voter pour Alain Juppé si vous ne vous qualifiiez pas pour le second tour?
Je me présente pour gagner.
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ça me fait penser à une vidéo de sciences étonnantes qui présentait des modes de scrutins censés faire fie des calculs stratégiques électoraux