[Écriture] Je partage des textes
ou un seul si je bide
Je suis quand même intéressé par vos retours
Des mercenaires sans scrupule ont spolié nos terres. Ils sont arrivés par bateau et se sont répandus dans la ville comme les rats, à la recherche d’un coin humide et sale où se nicher en attendant leur heure. De leur passé on ne savait rien. On ignorait leur nombre, leur force, nous n'avions même pas l’identité de l’un des leurs. On a commencé à les appeler les Sept, par facilité ou par habitude, sans se demander d’où partait l’expression et si elle était vrai.
Au début ça a commencé par des brefs changements subtils. Dans la ville ils s’installaient, imitaient les passants, se mêlaient à la vie citadine avec l’air de ne toucher à rien. Dans l’atmosphère déjà nous sentions que quelque chose divergeait. En tout cas on ne les a pas vu s’intégrer au décor. Pourtant ils ne passaient pas inaperçu, avec leur dégaine exubérante. Ils étaient trop visibles pour que nous puissions les voir. Ils attiraient à eux la lumière et l’avalaient sans rien rejeter. Ils étaient les rideaux de la ville.
Les gens ont commencé à craindre, le frisson parcourait l’épiderme de la métropole et nous ne mettions pas un doigt dessus. Nous étions inquiets aussi. Il était difficile de s’attaquer à l’animation urbaine. Un aimable divertissement peut cacher un sombre décor. Je pense après coup qu’ils n’étaient que six, et que le septième c’était nous, ou la ville. Ils étaient les murailles au sein desquelles nous nous sommes tous retrouvés prisonniers. Leur présence immobile et angoissante à transformer les rires et l’agitation en une inertie désespérée. Comme la vague ils nous ont happé. Tout le monde s’est plié à leur sombre spectacle et s’est retrouvé forcer à sourire en y abandonnant son cœur.
Mira, heureusement que tu ne peux me voir. J’ai encore passé une semaine en Enfer. Je creuse la distance avec mes semblables et je ne fais pas exprès de me sentir si détaché d’eux. Ils sont reliés à la Terre, nourris par le feu et les divinités agraires. Ils sont contents d’avoir le ventre bien rempli, d’éprouver leurs muscles dans le sport, de s’entretenir de babillages sans importance, et rassurés dans leur chair de voir le soleil succéder à la lune et la lune succéder au soleil. J’ai besoin de plus que ça, j’ignore d’où vient ce courant d’air qui me transit de froid, pour lequel parfois j’éprouve des fractures dans les os et une difficulté à respirer. Peut-être que c’est toi qui m’as transmis ce mal en réveillant ma foi.
Hier j’ai rêvé que je prenais possession de ce lieu qui me hante. Tu sais, l’université. Redécorée à l’image de mon inconscient. Je m’y retrouvais seul, sans le tourbillon de vie qui emporte des pièces de mon âme à chaque fois qu’il me heurte, dans les couloirs. Cette fois je pouvais admirer le silence, et j’ai eu l’impression de visiter un sépulcre. Je ne savais pas vraiment ce que je cherchais. Les murs étaient hauts et je ne pouvais voir les toits. Tout à coup, pas loin de l’entrée sur la droite j’ai été frappé par l’apparition d’un gigantesque fossile animé. Il avait la dégaine d’un cerf préhistorique. Étonnamment je n’ai pas cédé à la première impulsion qui me saisit d’habitude en ce lieu, la peur, mais j’ai contemplé la bête avec une forme de tendresse hébétée. Elle avait l’air toute aussi perdue que moi dans ce bâtiment à la gloire des Lumières et de la raison pure. Nous étions juste deux êtres affectés par une dissonance fondamentale avec cet environnement bétonné, entretenu, rénové, peuplé et gorgé par les rires et les tressaillements d’une humanité prometteuse. Je n’ai pu que contempler cet être préhistorique dépouillé de sa chair et me plonger dans ses orbites creuses, et commencer à voir la réalité à travers mon rêve, à voir la vie sous l'angle de la mort.
Bon je up avec une tentative de poème
Derrière des cimes hautes où s’embrassent ciel et mer
Attend la vallée sourde égarée par les vents
Décimée par le temps qui assèche ses rizières
Attend d’être découverte par le héraut errantIl donnera sa chair à la végétation
Nourrira les berges et son cœur le néant
Condamnera à l’exil ou ira le défaire
Et la fumeterre élira sa maison
Un air de piano léger et entraînant lui vint soudain en tête, alors qu’il était allongé sur sa couchette de béton, essayant de dégager toute forme de pensée de son esprit. Ce n’était pas une entreprise facile, son cerveau était en ébullition. Un jour avant la fin, un jour avant la fermeture des rideaux, l’extinction des feux, peut-être le jour le plus précieux de son existence. Il fallait rentabiliser ce jour sacrément unique par quelque renversement scénaristique, ou par une prestation scénique hors norme. Quelque chose qui touche le cœur des spectateurs, quelque chose qu’il n’aurait pas pu donner dans une journée sans décompte à l’attention d’une vie. Il fallait bien qu’il marque sa sortie, se disait-il. Et comme il se voyait dans l’impossibilité de réaliser son projet fantasque, il préférait au moins ne pas songer à la chute, donc ne penser à rien. Mais le crissement calculé des touches d’un piano virtuel, c’était si voluptueux. Peu importe d’où ça venait, il n’allait pas refuser. Une jambe passée sur l’autre, la tête dodelinant. Jamais une mélodie ne lui avait fait tant de bien. Il retrouvait sa paix de l’âme.
Un peu plus tard, mettant fin à un temps de repos délicieux, on apporta au détenu Stique un formidable hamburger du chef, son dernier repas offert par la maison. Toute l’atmosphère de la pièce en prenait un coup, au changement d’humeur du locataire, d’une méditation pieuse à un soulèvement de joie euphorique. Ce brusque changement d’état était une névrose connue chez les condamnés à mort imminente. Les pieds nus du détenu claquèrent sur le sol froid lorsqu’il se redressa, et lorsque son regard croisa celui du gardien, on aurait pu croire que les rôles étaient inversés. Aux mouvements imperceptibles des doigts de Stique répondait un orchestre de micro-actions et d’événements, comme s’il avait changé la pièce en théâtre de marionnettes. Il courba son majeur droit et le premier gardien haussa la tête avec un sourire, auquel il répondit affable, sûr de sa gloire. Il claqua de la main gauche et le second gardien ouvrit la porte, et Stique se décida à diriger la plus grande tragédie de sa vie dans le couloir de la mort.
Un nuage d’envie a surgi,
avec lui tout projets il a emporté
La jeunesse égarée, en manque d’évasion
grisée par ce nouvel orage s’y est précipitéeElle y croyait aveuglement
en ce nouvel élément turbulent
Cette fougue indisciplinée qu’ils admirent tant
Alors elle s’est laissée portée
Et dans un souffle elle s’est retirée
Abandonnée au prisme de la chairElle l’a tant chéri qu’elle en a fini meurtri
Et ce qu’elle prenait pour l’étincelle de ses nuits
Seulement une bougie sans lumière
passé le masque éphémère
Des illusions, des chimères, lorsque l’on atterrit.
Données du topic
- Auteur
- Brebisrouge
- Date de création
- 11 janvier 2021 à 17:29:49
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